La Place Ville-Marie est passée au vert pour ses 60 ans. Ivanhoé Cambridge, propriétaire de l’iconique tour cruciforme du centre-ville de Montréal, prévoit notamment d’y installer des thermopompes et une chaudière électrique. (Photo: courtoisie - Stéphan Poulin)
INFRASTRUCTURES ET GRANDS PROJETS. Dans son plan pour une économie verte 2030, le gouvernement du Québec fixe comme objectif une diminution de 37,5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la province par rapport au niveau de 1990, notamment par une réduction de moitié de l’empreinte carbone qu’engendre le chauffage dans les bâtiments. Le levier majeur pour y arriver ? L’électrification.
« Cette planification stratégique vise à mettre les gens en action », indique Michel Fournier, responsable de la direction de la prospective énergétique au sein du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec (MERN).
Alors que plus des trois quarts de ses émissions de GES proviennent de la consommation d’énergies fossiles du parc immobilier public, l’État s’engage à atteindre la carboneutralité de ses bâtiments d’ici 2040.
On trouve une feuille de route encore plus ambitieuse du côté de la Ville de Montréal. À la suite d’une consultation publique à l’automne, la Ville envisage d’imposer un seuil de performance zéro émission pour les nouvelles demandes de permis de construction : dès 2024 pour les projets de moins de 2000 mètres carrés, et en 2025 pour les autres. Les bâtiments existants auront aussi des seuils graduels à atteindre.
Ce mouvement de décarbonation des bâtiments se généralise à plus large échelle.
Par exemple, la Place Ville-Marie est passée au vert pour ses 60 ans. Ivanhoé Cambridge, propriétaire de l’iconique tour cruciforme du centre-ville de Montréal, prévoit notamment d’y installer des thermopompes et une chaudière électrique. « On table sur une réduction de ses émissions de GES de 40 % », assure Annick Desmarteau, vice-présidente à l’exploitation des bureaux au Québec d’Ivanhoé Cambridge.
La biénergie comme dispositif pragmatique
Le chauffage des bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels au gaz ou au mazout représente la deuxième source d’émissions de GES de Montréal, après le transport, soit près de 30 % du total.
Le sort du mazout est déjà entendu : à partir de 2024, il sera interdit d’installer ou de remplacer un appareil de chauffage fonctionnant à ce combustible qui génère près de un million de tonnes de CO2 par année au Québec, soit l’équivalent de 300 000 véhicules légers. Pour le gaz naturel, la solution envisagée se nomme… la biénergie. En témoigne le partenariat en ce sens mis en application cet été entre Hydro-Québec et Énergir.
Le principe ? « Proposer aux clients qui ont des équipements au gaz naturel en fin de vie de les remplacer, grâce à des subventions, par une solution de biénergie qui fonctionnera la plupart du temps à l’électricité, puis au gaz naturel en dessous de -12 °C », explique Valérie Sapin, cheffe de la direction marketing d’Énergir et chargée des activités de décarbonation.
Une solution pragmatique qui permet à la société d’État de gérer les périodes de pointe de consommation hivernales. « Pas besoin d’attendre la construction de barrages supplémentaires : on décarbone tout de suite et à moindre coût pour la société », poursuit Valérie Sapin, qui avance un surcoût de 1,7 milliard de dollars pour une électrification totale. Ambition du projet : 100 000 clients en biénergie d’ici 2030 avec une réduction de la consommation de gaz naturel de 70 %.
Énergir ambitionne d’avoir 10 % de gaz naturel renouvelable dans ses réseaux à la même échéance. « Une énergie similaire produite à partir de déchets organiques, certes légèrement plus chère, mais non fossile », ajoute Valérie Sapin. L’entente reste malgré tout critiquée par des associations écologistes, qui lui reprochent de pérenniser le recours au gaz.
Le défi persistant du non résidentiel
Toujours est-il que l’enjeu reste important pour les bâtiments non résidentiels. « Chez les particuliers, 80 % se chauffent déjà à l’électricité contre près de 50 % des institutionnels et du commercial », énonce Étienne St-Cyr, gestionnaire de l’équipe Expertise énergétique à Hydro-Québec.
Cet écart s’explique par des raisons historiques, pratiques, mais aussi financières. « Le coût d’exploitation annuel est au moins 10 % inférieur avec le gaz, notamment pour les grandes surfaces. La conversion ne se serait pas faite de manière naturelle sans impulsion gouvernementale pour mettre en place ces solutions tarifaires innovantes », poursuit-il.
Le lancement de l’offre de biénergie pour les bâtiments non résidentiels est envisagé pour le milieu de l’année prochaine et visera en premier lieu les petits clients commerciaux et les édifices publics, par mesure d’exemplarité.
Gare, toutefois, à l’effet rebond de ce processus de décarbonation, prévient Francis Pronovost, expert en bâtiment durable à Écobâtiment. « Il ne faut pas que l’efficacité énergétique gagnée soit mangée par plus de pieds carrés et que cela se traduise finalement par une consommation plus importante, comme on le voit dans les secteurs de l’automobile ou des appareils électroniques », souligne-t-il, en prônant pour sa part un concept simple : la sobriété.