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Les consommateurs ont changé, mais pas les entrepreneurs!

L'économie en version corsée|Publié le 01 septembre 2020

Les consommateurs ont changé, mais pas les entrepreneurs!

Une attitude qui freine la reprise au Canada... (Photo: Artem Beliaikin pour Unsplash)

CHRONIQUE. COVID-19 oblige, les consommateurs ont changé de comportement, ils ont même adopté de toutes nouvelles habitudes. Le hic, c’est que les entrepreneurs, et a fortiori leurs entreprises, peinent à suivre cette évolution aussi subite que radicale. Explication.

Ainsi, 70% des consommateurs canadiens disaient avoir modifié leurs préférences en matière d’achat de biens au début de la pandémie, soit en mars dernier, d’après une étude d’EY Canada. Et aujourd’hui, à l’orée de la rentrée, on retrouve la même proportion de gens qui disent la même chose. Ce qui est la signe que le changement de comportement des consommateurs est devenu durable.

Qu’ont-ils changé, au juste? Ils sont 55% à dire qu’ils ont renoncé à suivre les tendances de l’heure, c’est-à-dire qu’ils se sentent nettement moins influencés par les effets de mode dans leurs achats. Et ils sont la même proportion à dire qu’ils ont diminué leurs achats de biens et services non essentiels, à avoir tiré un trait sur «les marques de luxe» et autres «gadgets électroniques».

«Bien avant l’éclosion de la pandémie, les consommateurs avaient commencé à changer leurs habitudes de consommation, et cette tendance s’est accentuée avec le contexte actuel, dit Daniel Baer, associé et leader, produits de consommation et commerce de détail, certification, d’EY Canada. L’un des changements les plus frappants concerne le commerce électronique : maintenant, les gens tiennent à effectuer des transactions sans contact humain.»

De fait, 55% des consommateurs canadiens disent avoir opté pour les paiements sans argent comptant, pour les achats sans contact humain ainsi que pour les services de livraison à domicile. Et ce, tout bonnement parce que leur priorité en termes de consommation est devenue double, toujours d’après l’étude d’EY Canada: d’une part, une expérience-client «fluide», sans attente déraisonnable; d’autre part, une expérience-client «sécuritaire», sans risque de contracter le nouveau coronavirus.

Mine de rien, il s’agit là d’un véritable virage dans les habitudes des consommateurs canadiens. En effet, 41% des Canadiens qui étaient réfractaires à l’idée de faire leur épicerie en ligne avant la pandémie adhèrent maintenant à cette solution. Ce qui est majeur, vu que les dépenses d’épicerie représentent aujourd’hui le troisième poste de dépenses des ménages en importance.

«Les commerçants doivent maintenant considérer que les magasins physiques et les plateformes en ligne font partie d’un même écosystème, et donc arrêter de les voir comme des canaux distincts, dit M. Baer. Et ils doivent concrétiser cette nouvelle vision au plus vite, car les périodes de magasinage du Vendredi fou et des Fêtes approchent à grands pas.»

On le voit bien, l’heure est à l’adaptation pour l’ensemble des entrepreneurs, à commencer par les commerçants. Mais voilà, il semble que nombre d’entre eux n’arrivent pas à suivre le rythme accéléré du changement…

L’édition 2020 de l’étude mondiale «Perspective des chefs de direction» du cabinet-conseil KPMG montre que seulement 16% des chefs de direction canadiens estiment avoir vraiment progressé au cours des derniers mois dans la numérisation de leur exploitation. Pis, à l’échelle mondiale, ce pourcentage-là est de 30%.

Ce n’est malheureusement pas tout. L’étude montre également qu’à peine 4% des chefs de direction canadiens considèrent avoir vraiment progressé ces derniers temps en matière de numérisation de leur modèle d’affaires. Et le même pourcentage est de 17% à l’échelle mondiale.

«De toute évidence, la COVID-19 accélère les stratégies numériques, dit Stephanie Terrill, leader, services-conseils, management, de KPMG Canada. À tel point que de nombreux entrepreneurs et chefs d’entreprise doivent repenser radicalement leur exploitation, intensifier la technologie, redéfinir leur chaîne d’approvisionnement et innover, sans quoi ils mettent en péril leur pérennité (préserver la sécurité de leurs employés; continuer à livrer produits et services à leurs clients; etc.). Le problème, c’est que les entreprises canadiennes n’évoluent pas assez rapidement sur ces points…»

La prise de conscience est faite… Ainsi, 76% des chefs de direction canadiens jugent essentiel d’investir dans la technologie pour être en mesure d’atteindre une croissance durable. Mieux, ils sont 84% à avoir l’intention d’investir dans la technologie pour atteindre leurs objectifs de croissance et de transformation.

Mais là où le bât blesse, c’est au niveau du passage à l’action. Il se trouve que les chefs de direction canadiens ont… d’autres priorités que le développement technologique de leurs activités. «Si les chefs d’entreprise étrangers repensent à présent leur chaîne d’approvisionnement pour mieux s’adapter à l’évolution des besoins des clients, leurs homologues canadiens, eux, s’emploient plutôt à… protéger leur entreprise contre les catastrophes naturelles», dit Mme Terrill, un peu éberluée, en précisant que cela avait néanmoins une certaine logique, vu que «l’économie du Canada repose grandement sur les ressources naturelles et les produits exportés».

L’étude de KPMG montre bel et bien que les chefs de direction canadiens voient aujourd’hui deux freins principaux à la croissance de leur entreprise: le protectionnisme américain et les risques climatiques. Car, à leurs yeux, les deux peuvent gripper leurs activités du jour au lendemain, et représentent donc une menace imminente.

Résultat? L’évolution technologique attendra encore un peu… «L’ennui, c’est qu’une telle attitude freine inévitablement la reprise, laquelle demeure précaire au Canada», souligne Mme Terrill. CQFD.

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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