Les entreprises du Québec sous-estiment le risque de fraude
La Presse Canadienne|Publié le 15 février 2022Dans les PME où l'on adopte souvent un esprit «familial» dans les relations avec les employés, les propriétaires et les employés baissent parfois leur garde. (Photo: 123RF)
Personne n’est à l’abri d’une fraude financière. Or, les entreprises québécoises sous-estiment ce risque, prévient la firme comptable MNP.
Dans les entreprises, les propriétaires et les cadres supérieurs sont 80% à croire que le risque de fraude financière au sein de leur entreprise est de très faible à modéré, selon un sondage réalisé auprès de 250 entreprises de plus de 25 employés au Québec.
Cette confiance procure un «faux sentiment de sécurité», prévient Corey Anne Bloom, chef d’équipe pour la région de l’Est du Canada au Service d’enquêtes et de juricomptabilité chez MNP. «Les entrepreneurs et les entreprises au Québec ne comprennent pas le risque de fraude, constate l’associée. Ils ne sont vraiment pas au courant de ces risques-là.»
À tort, les gens ont tendance à penser que la fraude est un problème qui touche les autres, ajoute Mme Bloom. «Tout le monde pense que c’est ailleurs: “ce n’est pas chez nous”. Ils pensent que c’est pire chez le concurrent. Même à l’intérieur d’une entreprise, on entend parfois que c’est pire dans une autre ligne de service.»
Dans les PME où l’on adopte souvent un esprit «familial» dans les relations avec les employés, les propriétaires et les employés baissent parfois leur garde. «Les propriétaires ne veulent pas mettre en place des procédures ou des contrôles, parce qu’ils craignent que l’équipe ne se sente pas comme une grande famille. Ce n’est vraiment pas le cas. Les contrôles antifraude, c’est là non seulement pour protéger la compagnie, mais aussi les employés.»
Une entreprise sur cinq dit avoir été victime de fraude financière, mais l’ampleur du problème est plus grande, croit la juricomptable. D’ailleurs, 21% des répondants au sondage ne savaient tout simplement pas si une fraude avait eu lieu ou non au sein de leur entreprise.
Fait surprenant, 8% des entreprises victimes d’une fraude disaient n’avoir rien fait après l’avoir appris. Ce chiffre démontre que plusieurs entreprises sont mal outillées pour comprendre leur facteur de vulnérabilité et déterminer la marche à suivre pour réduire les risques.
La formation est un bon moyen pour réduire les risques de fraude, dit Mme Bloom. Elle recommande également aux employeurs de vérifier les antécédents des employés embauchés. Pour les PME qui n’ont pas les moyens d’évaluer tout leur risque de fraude, viser les systèmes les plus critiques, comme celui de la paie, pourrait être une solution de rechange.
En entrevue, son collègue Simon Gaudreau, directeur en juricomptabilité chez MNP, donne quelques exemples de détournement de fonds faits par le biais du système de paie. Il raconte avoir vu des employés se créer de faux profils dans le système de paie pour recevoir un deuxième paiement. D’autres fraudes ont été détectées du côté des demandes de paiement des heures supplémentaires, qui n’avaient pas été vérifiées. Il dit avoir vu dernièrement des cas où les employés s’étaient fait payer plus de 24 heures pour une même journée.
La pandémie a empiré les choses
Bien des entreprises ignorent également que la pandémie et l’adoption massive du télétravail peuvent les avoir rendues plus vulnérables à une fraude. Plus de la moitié des organisations ont découvert plus de fraudes que d’habitudes depuis le début de la pandémie, selon une autre étude de l’Association of certified fraud examiners (ACFE). Or, au sein des entreprises québécoises, 73% des répondants estiment que le risque serait le même, ou même qu’il aurait diminué, selon le sondage de MNP.
L’adoption du télétravail a ouvert de nouvelles brèches, notamment avec la signature numérique. «Ça apporte plus de risque de fausse signature ou de contrat signé par la mauvaise personne», explique M. Gaudreau.
Au début de la pandémie, des entreprises ont été contraintes de remercier une partie de leurs employés, rappelle Mme Bloom. Or, ces employés effectuaient parfois des tâches de contrôle antifraude, qui «sont tombées entre deux chaises». L’attention des dirigeants a d’ailleurs été monopolisée par la pandémie et les mesures nécessaires pour assurer la survie de l’entreprise et la sécurité des employés. «Il y a beaucoup de choses qui sont devenues prioritaires et les plans antifraude, ça a été mis en arrière quelque part.»
Les entreprises gagneraient à remettre la lutte antifraude à l’ordre du jour. En moyenne, les pertes liées à la fraude représenteraient 5% des revenus d’une entreprise, selon des estimations de l’ACFE. «Ça vaut la peine de s’informer, de faire de la formation et de comprendre vos risques de fraudes», conseille Mme Bloom.