Le secteur de la gestion de patrimoine fait aussi face aux pressions à la baisse exercées sur les honoraires. (Photo: 123RF)
La crise sanitaire qui sévit depuis 2020 a eu une incidence sur les sociétés de gestion de patrimoine. Ces entreprises ont dû réagir rapidement afin de mitiger les perturbations de leurs activités. Alors qu’elles passent d’un mode réactif à une période de reprise et de stabilité, plusieurs changements subsistent et des tendances se confirment, tout cela dans un contexte d’incertitude économique.
Dans son rapport « L’avenir de la gestion de patrimoine: un élan vers le changement », la firme de services-conseils Deloitte cite une étude d’Aite-Novarica Group, de Boston, laquelle a sondé plus de 31 sociétés de gestion de patrimoine du monde entier au plus fort de la pandémie, qui révèle combien celle-ci avait lourdement touché les activités des entreprises. Elle conclue notamment que « les firmes qui ont de mauvais bilans financiers ou qui ne prennent pas le virage technologique risquent de perdre des clients et peut-être même de faire faillite ».
Selon les quelques données de l’étude citée par Deloitte, plus de 54% des répondants au sondage ont déclaré que leur rendement avait été affecté par la crise. En revanche, la firme a observé que les participants de l’étude qui ont fait état d’« une amélioration de leurs résultats (22%) » attribuaient le tout « à la transition rapide de leur personnel vers le télétravail, à l’augmentation des demandes de leurs clients à traiter et au fait qu’elles disposaient déjà de solides plateformes de communication numériques ». Selon la firme basée au Royaume-Uni, il ne fait plus de doute que pour répondre aux nouvelles attentes des clients, l’« incitation au changement est plus forte que jamais ».
Ces changements touchent à de multiples facettes des activités des sociétés de gestion de patrimoine: l’expérience client, les services numériques, les attentes des organismes de régulation, mais aussi les honoraires, qui font l’objet de pression à la baisse en raison de la concurrence accrue, « notamment lorsque les gammes de services offerts sont uniformisées entre les sociétés concurrentes ».
« Il y a des tendances qui ne datent pas d’hier », fait remarquer Vincent Fournier, gestionnaire de portefeuille à Claret. Il observe, par exemple, que les gendarmes financiers ont ajouté avec les années des couches successives à la réglementation existante. « Il y a plus de paperasse. Cela a commencé avec la bulle technologique, mais c’est la crise financière de 2008 qui a marqué un avant et un après. » Même son de cloche du côté du vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Allard, Allard et Associés, Alexandre Legault, qui mentionne que le thème de la conformité est ce qui a le plus évolué depuis le début de sa carrière. « Globalement, je dirais que c’est une bonne chose, car cela sert à mieux informer et à mieux servir le client. »
L’écosystème des différentes sociétés de gestion de patrimoine est aussi passé sous le bistouri de la mutation numérique, un processus qui, s’il était déjà en cours, a connu une phase d’accélération sans précédent avec la pandémie. « Disons que nous sommes passés de la deuxième à la cinquième vitesse », illustre Vincent Fournier. « Avant, l’accès web était un “c’est-bien-de-l’avoir”, alors que maintenant, pour le client, il s’agit d’un must. » Le gestionnaire voit cependant d’un œil critique l’utilisation grandissante du numérique dans les relations avec la clientèle. « Oui, il y a plus d’outils technologiques et ça peut être avantageux, mais d’un autre côté, c’est de plus en plus difficile d’avoir de la main-d’œuvre qualifiée. Ça défavorise le client s’il a moins accès à un conseiller, surtout quand on sait que l’investisseur est souvent son pire ennemi. Ça n’a pas la même valeur de parler face à face avec ton client que de l’avoir en ligne. »
Pour Alexandre Legault, le virage technologique a été un bonus à la fois pour l’équipe en interne et pour sa clientèle. « Les outils ont été maîtrisés et cela enlève une contrainte de proximité pour ceux qui habitent à l’extérieur, comme les Snowbirds. » Il croit que des outils technologiques (signatures électroniques et copies numériques) ont notamment facilité le retraçage et l’archivage. « En matière de services, on s’adapte, et en communication, les rencontres en personne demeurent importantes, à la fois pour l’esprit d’équipe et les relations avec les clients. »
Le secteur de la gestion de patrimoine fait aussi face aux pressions à la baisse exercées sur les honoraires. « Oui, c’est vrai », signale Vincent Fournier. « Il y a dix ans, nous étions peut-être 25% moins chers que l’ensemble du marché, alors qu’aujourd’hui — sans avoir majoré notre structure de frais —, nous sommes plus près de nos concurrents. »
Selon ce dernier, il existe de moins en moins de gestionnaires de portefeuille, mais de plus en plus de vendeurs de produits financiers. « On exige plus de rentabilité. Il y a plus de réglementation — donc plus de travail, plus de dépenses informatiques, des honoraires à la baisse. » Cela peut affecter la qualité du service ou faire en sorte qu’une firme se concentre davantage sur ses clients plus fortunés. Il croit que l’investisseur de la classe moyenne a pu être pénalisé par ces changements. « Il existe, à mes yeux, une sorte de no man’s land pour un investisseur dont l’épargne oscille entre 100 000$ et 500 000$. »
« Il y a moins de fournisseurs, il y a eu de la consolidation dans l’écosystème de la gestion de patrimoine, plus de régimes à cotisation déterminée, etc. » Ces facteurs ont contribué à exercer une pression sur les honoraires, explique Alexandre Legault. Il note aussi qu’il existe davantage de solutions où tu peux acheter le marché au complet à peu de frais. « Il y a comme une sorte de convergence entre les frais de solution passive et celles de gestion active, qui peinent à se démarquer en obtenant des rendements supérieurs. »
Le gestionnaire chez Allard, Allard et Associés croit que les prochaines années seront marquées par un changement de l’environnement d’investissement. « On ne peut plus extrapoler à partir des 30 prochaines années. Il y a une sorte de bris des tendances passées (inflation, taux d’intérêt, etc.), ça va changer l’approche-conseil et casser certains automatismes », souligne ce dernier, qui estime par ailleurs que le thème de la finance durable (environnementale, sociale et de gouvernance, ou ESG) gagnera encore en importance.