Les mères entrepreneuses, ces femmes que rien n’arrête
Émilie Parent-Bouchard|Édition de la mi‑septembre 2022Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à privilégier l’entrepreneuriat hybride (ou flexipreneuriat) pour diverses raisons. (Photo: 123RF)
ENTREPRENEURIAT. Le congé de maternité est certes un moment privilégié pour prendre une pause afin d’accueillir un nouveau venu dans la famille. Certaines nouvelles mamans en profitent aussi pour accoucher d’un projet entrepreneurial, qu’elles mèneront parfois de front avec un emploi salarié une fois leur congé achevé. Regard sur le phénomène des mères entrepreneuses.
Mai 2020. Magalie Bellavance accouche de son deuxième enfant alors que s’estompe à peine la première vague de COVID-19. « On ne savait pas trop ce qui allait arriver et on était isolés. J’avais beaucoup de temps pour réfléchir et me projeter à long terme : ce que je visais comme maman, ce que je souhaitais être comme modèle pour mes enfants », se souvient la travailleuse sociale qui a profité de la pause forcée pour suivre une formation en lancement d’entreprise.
Magalie Bellavance a finalement mis sur pied un service-conseil en zoothérapie baptisé Bella & ses bêtes, tout en conservant son emploi de travailleuse sociale au CIUSSS de l’Estrie-CHU à raison de quatre jours par semaine.
« Ça me permettait de réaliser mon rêve de travailler avec les animaux. En conservant mon emploi dans le réseau de la santé, ça me permettait aussi de continuer d’acquérir de l’expérience, de pouvoir travailler en équipe et d’avoir des avantages sociaux, surtout que j’ai une jeune famille », énumère celle qui attend un troisième enfant en septembre.
Son cas n’est pas unique. Selon la SADC-Shawinigan, qui s’est penchée sur la question et a même enregistré le terme « flexipreneur-e » comme marque déposée, les femmes sont plus susceptibles d’aborder l’entrepreneuriat en douceur par la stratégie des petits pas.
« Plusieurs personnes, quand elles arrêtent pour leur congé de maternité ou parental, entrent en réflexion quant à leur avenir professionnel, souligne le directeur général de la SADC-Shawinigan, Simon Charlebois. Surtout quand elles veulent passer plus de temps avec leur enfant et envisagent l’entrepreneuriat, parfois parce qu’elles ne se réalisent pas pleinement dans leur emploi. »
Répondre aux besoins des « mères-preneures »
Simon Charlebois ajoute que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à privilégier l’entrepreneuriat hybride (ou flexipreneuriat) pour diverses raisons.
La conciliation travail-famille, la susceptibilité accrue d’avoir une personne à charge, la perception de s’adonner davantage à une passion qu’à un projet entrepreneurial et la plus faible tolérance au risque comptent parmi les raisons qui sont énumérées dans l’étude à la base de l’initiative « Entreprendre au féminin autrement », menée par la SADC-Shawinigan, de concert avec l’Université du Québec à Trois-Rivières, entre 2018 et 2021.
Si les besoins d’accompagnement des flexipreneurs sont « à peu près identiques » à ceux des « entrepreneurs à temps plein » — questions comptables ou fiscales, financement —, leur perception quant à leur propre projet entrepreneurial les fait encore trop souvent hésiter à faire appel aux services offerts, note le directeur général.
« Les personnes ne viennent pas chercher les services parce qu’au départ, elles ne se perçoivent pas comme des entrepreneuses ou elles ont le syndrome de l’imposteur. Dans le cas des femmes qui se lancent en affaires, cela représente 80 % d’entre elles », estime-t-il. Simon Charlebois précise que les établissements — organismes de soutien et d’accompagnement des entrepreneurs et banques — doivent aussi adapter leurs services, notamment en ce qui a trait à la flexibilité des horaires et à l’accès à des financements plus modestes, de type microprêt.
La nécessité, mère de l’invention
Son projet entrepreneurial, Mélanie Cossette l’a effectivement mené sans l’aide des institutions. La Rouynorandienne mère de deux enfants, dont Sofianne, une jeune adolescente lourdement handicapée, ne pouvait se résoudre à ce que sa fille ne puisse profiter d’un bol d’air frais lors des récréations à l’école.
« Sofianne n’a pas de tonus, donc lui mettre une salopette l’hiver, c’est difficile. Une fois habillée, la récréation est finie », illustre-t-elle.
Mélanie Cossette a donc entrepris un parcours du combattant pour tenter de faire fabriquer des vêtements adaptés pour sa fille par des entreprises manufacturières au Québec. En vain. Elle a fini par se mettre elle-même à la couture afin de fabriquer des bottes « couvre-souliers » faciles à manipuler et des housses qui se fixent directement sur un fauteuil roulant.
« Il y a un parent qui a vu ça à l’école et qui voulait une housse. Je lui en ai fait une et je ne lui ai même pas vendue, parce que je commençais à coudre, raconte-t-elle. Après ça, tout a déboulé. J’ai créé le site web et les commandes se sont mises à entrer. Un moment donné, je n’avais plus le temps de coudre ! » dit celle qui a finalement réussi à trouver une entreprise manufacturière en Chine pour confectionner les vêtements.
Fait-elle ses frais ? « Disons que ça ne met pas grand pain sur la table, admet celle qui est devenue mère à la maison pour s’occuper de sa fille. Mais quand les gens m’envoient la photo d’un enfant ou d’un adulte avec un gros sourire, qu’ils me disent que ça a facilité leur quotidien, c’est là que je trouve la raison pour laquelle je fais ça. »