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L’IA tue impitoyablement nos jobs. Voici comment!

L'économie en version corsée|Publié le 18 février 2020

L’IA tue impitoyablement nos jobs. Voici comment!

Progrès ou... dévastation? (Photo: This Is Engineering/Unsplash)

CHRONIQUE. Non, l’intelligence artificielle (IA) ne vous veut pas que du bien. Sous ses airs enjôleurs empreints de petits miracles (ex. : détecter des cancers plus tôt; prendre en main les tâches qui nous rebutent; conduire à la perfection camions et automobiles; etc.), se cache en vérité une tueuse. Oui, une impitoyable tueuse. De nos jobs.

Je sais, je sais… Nombre d’«experts» clament haut et fort depuis des années que, certes, il y aura des perdants à court terme, mais que nous serons tous de grands gagnants de l’avènement de l’IA à moyen et long termes : «Au final, l’IA créera plus d’emplois qu’il n’en détruira!», affirment-ils catégoriquement, avec une morgue qui en impose.

Le hic? C’est qu’une telle affirmation est fausse. Totalement fausse. J’en veux pour preuve la destruction massive et irréversible des emplois des entrepôts de Loblaw à Laval et à Ottawa, ou encore celle qui va suivre l’arrivée prochaine de 1.000 robots intelligents chez Walmart. J’en veux également pour preuve une toute nouvelle étude à ce sujet, intitulée Competing with robots : Firm-level evidence from France et signée par trois professeurs d’économie : Daron Acemoğlu, du MIT à Cambridge (États-Unis); Claire Lelarge, de l’Université Paris-Saclay (France); et Pascual Restrepo, de l’Université de Boston (États-Unis). Regardons ça ensemble….

Les trois chercheurs ont voulu en avoir le cœur net sur ce sujet, c’est-à-dire sur l’impact réel sur l’emploi que peut avoir l’adoption de robots intelligents par les entreprises. D’où leur idée de considérer 55.390 entreprises françaises, tous secteurs d’activités confondus, parmi lesquelles 598 avaient fait l’acquisition de robots intelligents entre 2010 et 2015. Et d’analyser en profondeur les conséquences d’une telle modernisation, tant pour les entreprises concernées que pour leurs concurrentes, et même pour le secteur d’activités dans lequel elles évoluent.

Résultats? Tenez-vous bien avant de lire ce qui suit, car ça risque fort de vous secouer:

– Un impact fou sur les entreprises robotisées. Les entreprises qui se sont dotées de robots intelligents ont vu leur productivité s’apprécier, et par suite leurs profits bondir d’en moyenne 20% entre 2010 et 2015. Par la même occasion, elles se sont séparées globalement d’en moyenne 4,3% de leur main-d’œuvre; plus précisément, elles ont renvoyé des employés dont les talents étaient devenus, à leurs yeux, obsolètes et en ont embauché d’autres, aux talents plus en phase avec la robotisation, si bien que le nombre d’heures travaillées par des êtres humains a crû, entre 2010 et 2015, d’en moyenne 11%. À noter, en passant, que la rémunération horaire moyenne a alors «modestement progressé» au sein de ces entreprises-là.

– Un impact dévastateur pour les concurrents non robotisés. Du côté des concurrents des entreprises qui se sont robotisées, la donne a changé du tout au tout. Ainsi, chaque fois que les entreprises robotisées augmentent de 10% le nombre de leurs robots, leurs concurrents non robotisés licencient en moyenne 2,5% de leur main-d’œuvre et voient leurs profits reculer d’en moyenne 2,1%. Ce qui est considérable. Je le souligne, con-si-dé-ra-ble. En particulier pour l’emploi : ce recul de 2,5% de la main-d’œuvre concerne 99% des entreprises considérées (le 1% restant correspond à celles qui sont robotisées).

– Un fléau pour l’emploi du secteur d’activités concerné. Quand on considère l’ensemble d’un secteur d’activités, on note que, chaque fois que les entreprises robotisées augmentent de 20% le nombre de leurs robots – ce qui s’est justement produit en France entre 2010 et 2015, selon les données de l’étude –, l’emploi fond globalement d’en moyenne 3,2%. Ce qui montre clairement que plus on se dote de robots intelligents, plus on supprime d’emplois.

«Au final, même si les entreprises robotisées travaillent plus fort que jamais, l’impact sur l’emploi de leurs secteurs d’activités est irrémédiablement négatif», concluent, laconiques, les trois chercheurs.

C’est que le phénomène peut se résumer comme suit:

1. L’élite des entreprises d’un secteur d’activités – le 1% d’entre elles qui sont les plus riches – se dote de robots intelligents. Ce qui booste leur productivité, puis leurs profits. Et ce, après avoir purgé les talents obsolètes pour s’équiper de nouveaux talents, pointus sur le plan technologique.

2. Le 1% écrase ainsi davantage le 99% représenté par leurs concurrents. Et ces derniers doivent se résoudre à réduire la voilure, voire à carrément mettre la clé sous la porte. Ce qui se traduit par des vagues de licenciements.

3. L’ensemble des secteurs d’activités dans lesquels croissent les entreprises du 1% se mettent à péricliter du point de vue de l’emploi. Rapidement. Massivement. Irrémédiablement.

Un dernier point, si vous me le permettez : M. Acemoğlu a mené en 2017 une étude similaire aux États-Unis, et il avait alors noté un impact supplémentaire, à savoir que la robotisation allait de pair avec un recul global des salaires du secteur d’activités concerné – ce qui n’a pas été considéré dans l’étude présente, vu que la France offre moins de souplesse en matière de variation de salaires qu’aux États-Unis. Autrement dit, si ce phénomène devait se produire chez nous, au Canada, il conviendrait d’anticiper également un contrecoup sur les salaires. Sans l’ombre d’un doute.

Voilà. L’IA tue nos jobs. Sans pitié aucune. Car elle permet, certes, d’améliorer les emplois du 1% d’entreprises qui se dotent de robots intelligents, mais au détriment de ceux des 99% autres.

Malheur aux démunis! Malheur aux 99%! Voici la véritable promesse de l’IA.

Est-ce ce que nous souhaitons vraiment? Est-ce ce que vous-même vous souhaitez comme avenir? Pour votre secteur d’activités? Pour votre entreprise? Pour vos employés? Pour votre propre job?

Quant à moi, j’imagine que vous connaissez ma réponse. Et que vous avez d’ores et déjà deviné mon modeste conseil : n’écoutez plus ceux qui promettent monts et merveilles grâce à l’IA, car ce ne sont qu’ignorants ou charlatans. Ne les écoutez plus jamais. Et au besoin, faites-leur lire cette chronique, et observez du coin de l’œil leur mâchoire se décrocher d’un coup d’un seul…

En passant, le journaliste français Philippe Meyer a dit dans Les Progrès du progrès : «Le progrès a encore des progrès à faire».

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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