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L’inflation est-elle réellement morte?

Laura O'Laughlin|Édition de la mi‑mai 2019

EXPERTE INVITÉE. Pendant la majeure partie des 60 dernières années, des banques centrales telles ...

EXPERTE INVITÉE. Pendant la majeure partie des 60 dernières années, des banques centrales telles que la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine ont surveillé de près l’inflation et le taux de chômage. Ces indicateurs sont les deux piliers de la politique bancaire. Chaque pays est étroitement surveillé par sa banque centrale, qui ajuste les taux d’intérêt afin de maintenir la croissance de l’économie sans provoquer d’inflation plus élevée ni d’impact sur l’emploi.

Au centre de cette politique se trouve un outil appelé la courbe de Phillips. Cette courbe trace une relation entre le chômage et l’inflation, montrant que lorsque le taux de chômage baisse, l’inflation augmente à mesure que les entreprises se font concurrence pour obtenir une main-d’oeuvre de plus en plus rare en augmentant les salaires. Pour moduler l’effet de l’inflation ou de la surchauffe de l’économie, les banques centrales invoquent les pressions inflationnistes comme principale justification de la hausse des taux d’intérêt. Pourtant, malgré un taux de chômage en chute libre au Canada, aux États-Unis et dans de nombreux autres pays depuis la récession de 2008, les salaires ont obstinément résisté aux augmentations, affichant une croissance faible, voire nulle. Cette apparente rupture de relation entre salaire et inflation a conduit certains observateurs à déclarer que la courbe de Philips était «morte».

Alors qu’est-il arrivé à cette relation ?

Les banques centrales sont peut-être victimes de leur propre succès, maîtrisant l’inflation au cours des années de politique monétaire régulière et «autorenforçante». Si les entreprises et les particuliers sont convaincus que l’inflation est contrôlée à long terme, leurs attentes quant à l’inflation sont «ancrées» et ne réagissent pas aussi rapidement aux pressions sur les prix à court terme, en cherchant à augmenter les prix et les salaires.

D’autres économistes ont imputé la stagnation des salaires au progrès technologique et à la mondialisation. Les travailleurs des pays industrialisés ont été forcés de faire concurrence aux ouvriers à bas salaire à l’étranger ainsi qu’aux robots et aux algorithmes dans leur propre pays, ce qui a exercé une pression à la baisse sur les rémunérations.

Il existe néanmoins des signes d’ajustement potentiel, et donc un retour possible à la relation inflation-salaire. Les revenus commencent enfin à augmenter pour les travailleurs qui ont moins de ressources, comme chez les mieux nantis. Enfin, la croissance des salaires rapprochera peut-être l’inflation du taux cible de 2 %.

Le retour de cette relation n’est pas sans risque. La récession de 2008-2009 est arrivée au moment même où les salaires commençaient à augmenter. La simple menace d’un ralentissement pourrait rendre les entreprises réticentes à augmenter les salaires des employés au bas de l’échelle, à ralentir leurs dépenses, freinant ainsi l’économie.

Sur le plan inflationniste, notre dépendance à l’argent cheap pourrait également sonner le glas d’une décennie de croissance. Au sud de la frontière, Trump continue de jouer au cheerleader en chef, plaidant pour de faibles taux d’intérêt et un marché boursier vigoureux. Mais attention, un marché boursier alimenté par une inflation monétaire plus faible et une dette bon marché comporte un risque de croissance excessive du crédit et de bulles boursières.

En bref, il est beaucoup trop tôt pour déclarer la fin de la relation chômage-inflation alors que les nuages macro-économiques se rassemblent. Compte tenu de la situation actuelle du marché, l’inflation – avec son amie la récession – pourrait simplement attendre leur heure, prête à revenir dans l’immédiat.

EXPERTE INVITÉE
Laura O’Laughlin
est vice-présidente au cabinet de consultation Groupe d’analyse. Elle est aussi fondatrice de l’Institut des générations, un organisme sans but lucratif qui s’intéresse à l’équité entre les générations.