Loi sur les mesures d’urgence révoquée, des questions demeurent
La Presse Canadienne|Publié le 24 février 2022Les mesures financières prises en vertu de la loi ont été particulièrement critiquées et un expert en renseignement financier prévient que les dégâts persisteront longtemps après la fin des premières manifestations. (Photo: La Presse Canadienne)
Ottawa — Le périmètre de sécurité autour du centre-ville d’Ottawa, gardé par des points de contrôle, restera en place en fin de semaine alors que les policiers municipaux tentent de maintenir la paix et l’ordre dans la capitale fédérale sans les pouvoirs supplémentaires qui leur ont été brièvement accordés par la Loi sur les mesures d’urgence.
Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé mercredi qu’il révoquait, après 10 jours, l’application de cette loi d’exception invoquée par le gouvernement fédéral pour répondre aux manifestations et aux blocages de routes contre les restrictions sanitaires.
Le chef par intérim de la police d’Ottawa, Steve Bell, a déclaré jeudi que cette décision de révoquer maintenant la loi avait suscité une certaine inquiétude au sein de l’état-major quant à la façon dont la police pourra garder les manifestants hors de la capitale.
Le chef Bell soutient que les pouvoirs exceptionnels prévus par la Loi sur les mesures d’urgence se sont avérés précieux pour aider les policiers à déloger les manifestants qui ont paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant plus de trois semaines, notamment en permettant à la police de boucler tout le secteur autour de la colline du Parlement.
Ce secteur reste bouclé pour quiconque n’y vit pas ou n’y travaille pas, avec des points de contrôle de la police dans le centre-ville. M. Bell a déclaré que les points de contrôle resteront en place en fin de semaine, mais la police n’interviendra que dans les cas où des personnes participent à des activités illégales, comme le blocage de rues.
L’un des principaux outils découlant de la Loi sur les mesures d’urgence sur lesquels la police s’est appuyée, a expliqué M. Bell, était la capacité d’ordonner aux institutions financières de geler les comptes des personnes qui refusaient de quitter la zone de manifestation du centre-ville. Il estime que cette menace a incité plusieurs manifestants à quitter la capitale.
Maintenant que les manifestants sont partis, le chef Bell admet que la police n’avait plus besoin de ce pouvoir. «Il y a encore des enquêtes financières qui vont se poursuivre», a-t-il déclaré.
Certains manifestants et leurs camions se sont regroupés sur les terrains d’agriculteurs, dans des petites villes et des relais routiers près d’Ottawa, mais M. Bell prévient que la police dispose d’un nouveau plan pour les empêcher de se réinstaller dans la capitale.
Précédent contre les manifestations?
Alors que les pouvoirs prévus par la Loi sur les mesures d’urgence sont disparus, des questions subsistent quant aux effets à long terme de l’invocation de telles mesures d’exception pour réprimer les manifestations citoyennes.
Les mesures financières prises en vertu de la loi ont été particulièrement critiquées et un expert en renseignement financier prévient que les dégâts persisteront longtemps après la fin des premières manifestations.
Kim Manchester affirme que les banques continueront probablement à suivre les personnes épinglées par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et que leurs noms pourraient se retrouver dans des bases de données tierces du secteur privé, sur lesquelles les institutions financières s’appuient pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Les institutions financières ont également été invitées à vérifier si des clients semblaient soutenir les manifestations, et ces gestes de surveillance pourraient bien se poursuivre, croit M. Manchester, directeur général de la formation en intelligence financière à la société ManchesterCF.
À plus grande échelle, il affirme que ces gestes créent un dangereux précédent quant à la façon dont le gouvernement décide de réagir aux manifestations populaires, et ouvrent la porte à l’utilisation de telles tactiques à l’avenir.
M. Manchester ajoute que les alliés du gouvernement dans la lutte contre la criminalité financière surveilleront également la façon dont Ottawa a utilisé son Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et ils compareront les actions prises contre les manifestants aux ressources relativement peu nombreuses consacrées à CANAFE en général.
Pour sa part, l’Association des banquiers canadiens (ABC) a déclaré que les institutions financières ont rapidement débloqué les comptes après que la GRC a identifié les personnes et entités signalées comme préoccupantes, mais que certains comptes pourraient encore être gelés.
«Bien que la plupart des comptes clients aient été débloqués, il est important de se rappeler que certains comptes peuvent être bloqués pour diverses autres raisons, notamment pour se conformer à des ordonnances judiciaires ou à des procédures liées à des activités illégales ou à d’autres questions juridiques non liées», a déclaré le porte-parole de l’ABC, Mathieu Labrèche, qui a refusé de commenter spécifiquement l’application révoquée de la Loi sur les mesures d’urgence.