« La force de l’investissement a eu un effet accélérateur extrêmement important », a dit Loïc Chabanier d'EY. (Photo: 123RF)
Le 15 mai, Donald Trump annonçait une opération pour développer un vaccin contre le Covid-19 avant la fin de l’année, une mission aujourd’hui quasi-accomplie et peu affectée par l’incident de parcours du développement du vaccin d’AstraZeneca/Oxford, l’un des six soutenus par Washington.
« Une entreprise scientifique, industrielle et logistique massive, jamais vue dans notre pays depuis le Manhattan Project » qui a donné la bombe nucléaire, déclarait alors le président, à l’époque accusé de faire cavalier seul et de promouvoir le « nationalisme vaccinal ».
Il baptise l’opération « Warp Speed », terme de science-fiction signifiant plus vite que la lumière. Dirigée par un général de l’armée de Terre et un ancien des laboratoires GSK, elle combine l’expertise des scientifiques du département de la Santé et des logisticiens de la Défense.
Six mois plus tard, le « miracle », un mot que les scientifiques n’aiment pas, mais qu’affectionne M. Trump, est en vue : le vaccin Pfizer/BioNTech a déjà soumis les résultats de ses essais cliniques à l’Agence américaine des médicaments (FDA) pour une autorisation attendue peu après le 10 décembre. Celui de Moderna, petite entreprise américaine directement subventionnée, pourrait suivre rapidement.
En janvier, un troisième, développé par le groupe américain Johnson & Johnson, pourrait livrer des résultats, puis des doses, et aider à atteindre l’objectif d’une vaccination offerte à tous les Américains d’ici avril.
Au total, l’opération a misé au printemps et à l’été sur six projets, deux par technologie, pour diversifier les risques : Pfizer et Moderna (technologie nouvelle de l’ARN messager), Johnson & Johnson et AstraZeneca (vecteur viral), Novavax et Sanofi/GSK (à base de protéines). L’espoir était qu’au moins un fonctionne.
Initialement, le vaccin développé par Oxford avec l’industriel AstraZeneca était en position de tête. En juin, le directeur général du groupe annonçait qu’« en septembre on devrait savoir si on a un vaccin efficace ou non ».
Mais un premier incident s’est produit début septembre, quand un participant à l’essai britannique est tombé malade. Il a fallu six semaines pour la reprise de l’essai aux États-Unis.
Puis un imbroglio dans l’annonce des résultats d’efficacité, autour d’une erreur de dosage, a forcé le groupe à annoncer jeudi un nouvel essai pour dissiper tout doute.
Pas merci
Des analystes pensent que les États-Unis peuvent s’offrir le luxe de se passer d’AstraZeneca, dans l’attente des nouveaux résultats. Des millions d’Américains seront vaccinés avec Pfizer ou Moderna avant le Nouvel an si la FDA donne son feu vert.
Les six projets Warp Speed sont ceux sur lesquels le reste du monde a parié, parmi des dizaines d’autres.
L’Union européenne a commandé des doses auprès de six fabricants, dont cinq soutenus par Warp Speed.
« La force de l’investissement a eu un effet accélérateur extrêmement important », a dit à l’AFP à Paris Loïc Chabanier, du cabinet de conseil EY.
L’appui américain a permis de financer les essais cliniques à grande échelle, ainsi que la mise au niveau ou la construction d’usines.
« Les Américains ont financé l’étude clinique pour la planète entière » a dit à l’AFP le patron de Moderna, Stéphane Bancel. Le gouvernement Trump lui a aussi commandé 100 millions de doses, payées même en cas d’échec des essais.
« Je ne suis pas Pfizer ou AstraZeneca », dit M. Bancel. « J’ai un besoin de trésorerie qui est énorme ».
Mais les experts refusent généralement d’attribuer des mérites à Donald Trump, accusé d’une gestion calamiteuse de la pandémie et d’avoir tout misé sur de futures réponses pharmaceutiques, au détriment de mesures immédiates de santé publique qui auraient pu sauver des milliers de vies cette année.
« L’Amérique n’est pas bonne en prévention », disait en septembre à l’AFP Eric Topol, directeur du Scripps Research Translational Institute, très remonté contre M. Trump. « Mais elle est bonne dans les sciences de la vie ».
« C’est une force des États-Unis, cela n’a rien à voir avec Trump. C’est sûr, il a donné des milliards de dollars… mais ce sont les entreprises qui ont conduit cela », assurait l’expert, en vantant aussi l’excellence des Instituts nationaux de santé qui ont co-développé le vaccin de Moderna et géré les essais cliniques.