(Photo: 123RF)
Un texte de Daniel Dufort et Gabriel Giguère, respectivement PDG et analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal
COURRIER DES LECTEURS. Lorsque vient le temps de gérer le bas de laine des Québécois et des Québécoises, on devrait prendre gare aux dérives idéologiques.
C’est malheureusement ce que propose l’ Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), en affirmant que la Caisse de dépôt et de placements du Québec obtiendrait un meilleur rendement en sortant de toutes industries connectées de près ou de loin avec les hydrocarbures.
Pour appuyer ces dires, l’IRIS se base sur la différence de rendement entre deux indices bien précis – l’un avec hydrocarbures, l’autre sans – entre les années 2010 et 2022. En observant la différence de rendement au cours des dix dernières années, les chercheurs ont regardé dans leur boule de cristal afin de prédire que, d’ici 2032, la CDPQ engrangerait « un rendement supplémentaire de 22,7 milliards de dollars » grâce à sa décision de se départir de ses actifs dans le domaine des hydrocarbures.
Cette affirmation se base sur des prémisses douteuses.
Premièrement, ils en arrivent à cette conclusion en présumant que les résultats passés sont garants de la performance future, ce qui est en contradiction avec les principes élémentaires de la finance.
Par exemple, un investisseur appliquant la même logique il y a une dizaine d’années de cela se serait probablement dit qu’il fallait rester loin des actions des firmes de technologie, bien représentées dans l’indice NASDAQ.
Entre février 2000 et février 2010, l’indice avait perdu plus de 60% de sa valeur, en ajustant à l’inflation. L’explosion de la bulle Internet avait eu pour effet de réduire de manière considérable les rendements des titres de technologie au cours de cette période-là.
Un investisseur s’étant basé sur cette piètre performance d’une décennie antérieure, afin d’informer ses choix d’investissement, se mordrait vraisemblablement les doigts en ce moment. Entre février 2010 et février 2020, la valeur de l’indice a plus que triplé, en ajustant à l’inflation.
Le fait est que les entreprises de chacun de ces secteurs évoluent. Les modes de production et de transformation changent, les clients ainsi que leurs besoins varient, et diverses innovations ont lieu. C’est notamment ce qui fait en sorte que le secteur continue à vivre et à changer, bien que cela fait plus de 20 ans qu’on nous parle de la fin du commerce de détail.
Le deuxième point dont les chercheurs font abstraction est le fait qu’un gestionnaire de portefeuille tel que la CDPQ n’est pas un investisseur passif. C’est-à-dire que, contrairement à un indice boursier, la composition du portefeuille d’actifs dont il dispose va changer au fur et à mesure qu’il transigera des titres, et ce en fonction – du moins l’espère-t-on – du potentiel de retour sur investissement de chacun.
C’est cette activité qui fait en sorte que certains gestionnaires de fonds sont en mesure d’obtenir un rendement beaucoup plus élevé que les indices boursiers utilisés pour comparer leur rendement.
Par exemple, sous la gouverne d’Eric Nuttall, le Ninepoint Energy Fund, se spécialisant exclusivement dans l’industrie du pétrole et du gaz canadien, a pu obtenir un rendement annuel moyen de 6,2% au cours de la dernière décennie, alors que l’indice comparable du secteur était plutôt à 2,3%.
Ce qui nous emmène au troisième point dont l’IRIS fait abstraction: généralement, on n’investit pas dans un secteur au grand complet. La CDPQ investit dans des entreprises qui, selon ses analystes, auront un retour meilleur à la moyenne, ou offriront une stabilité ou une régularité de revenus – entre autres choses – en fonction des besoins de ses épargnants.
De plus, les prévisions indiquent que la demande en hydrocarbures n’est pas près de baisser. Dans ses plus récentes prévisions, l’Agence internationale de l’énergie prévoit que la croissance de la demande de pétrole et de gaz naturel perdurera au moins jusqu’en 2030. Et ces prévisions, quant à un plateau de la demande en 2030, sont déjà qualifiées d’optimistes par de nombreux analystes, qui entrevoient encore une croissance de la demande en gaz naturel pour un certain temps alors qu’il est de plus en plus utilisé comme remplaçant du charbon.
En mêlant l’idéologie aux décisions d’investissements et en interdisant à la Caisse de dépôt d’investir dans certains secteurs d’activité, on bloque la capacité des gestionnaires de fonds à placer notre argent dans les entreprises qui obtiendront le meilleur rendement possible, avec le moins de risque possible.
Considérant que c’est principalement l’argent du Régime des rentes du Québec et autres fonds de retraite qui est géré par la Caisse de dépôt, on a tout intérêt à garder l’idéologie aussi loin des décisions d’investissement que possible.
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