Face caméra, certains investisseurs fondent en larmes, d’autres racontent que les répercussions des pertes financières subies ont de loin dépassé la question d’argent. Leur couple s’est brisé. Leur estime d’eux-mêmes a volé en éclats. (Photo: courtoisie)
On voit rarement un investisseur pleurer. Sauf devant la caméra des documentaristes Aude Leroux-Lévesque et Sébastien Rist, qui ont choisi une approche émotionnelle et à hauteur d’humains pour narrer un cauchemar financier improbable. Leur film, Lovaganza: la grande illusion, est disponible depuis mardi sur la plateforme Vrai.
Lovaganza, contraction de «Love» et d’«Extravaganza», est la promesse d’un couple québécois de réaliser un film hollywoodien si incroyable qu’il réglerait la paix dans le monde, éradiquerait la famine, et, au passage, permettrait à tous les investisseurs ayant cru au projet de multiplier leur mise de départ, d’abord par deux, puis jusqu’à 10 fois la somme investie. Jean-François Gagnon et Geneviève Cloutier clamaient même sur tous les toits que Steven Spielberg était leur mentor. Un mensonge parmi d’autres.
Mais certains y ont cru.
Au total, quelques 650 investisseurs québécois ont donné de l’argent au duo Gagnon-Cloutier. Par le biais de leur maison de production One-Land Films et de leurs collecteurs de fonds, Mark-Érik Fortin et Karine Lamarre, ils ont réussi à amasser quelque 24 millions de dollars (M$) durant 13 ans.
Les investisseurs trompés n’ont pas hésité à effectuer des transferts d’argent direct, puisant dans leurs économies ou leur REER. Certains ont donné leurs numéros de carte de crédit. D’autres ont entraîné des proches dans la combine, ce qui fait écho à un système d’escroquerie pyramidal, comme l’explique dans le film la journaliste de La Presse Isabelle Ducas, qui couvre l’affaire depuis des années.
Pendant ce temps, les pseudos cinéastes ont mené des vies de pacha sur le dos de ces gens arnaqués. Villa luxueuse en Californie, cocktails avec le gratin d’Hollywood et voyages autour du monde inclus.
Une approche sobre
Mais si l’histoire est sensationnelle, le parti pris formel d’Aude Leroux-Lévesque et de Sébastien Rist, lui, est loin d’être sensationnaliste. Ce choix de la sobriété était une évidence dès le départ, comme ils l’expliquent en entrevue avec Les Affaires.
«On voulait parler de l’humain en premier, dit Aude Leroux-Lévesque. Les faits sont rocambolesques en eux-mêmes, et on n’avait pas besoin d’en rajouter une couche. D’autant que les investisseurs éprouvent déjà un grand sentiment de honte.»
Les réalisateurs ont ainsi passé des heures à parler avec eux. Ils se sont entretenus avec des centaines de personnes afin de corroborer les faits. «C’est le temps qui nous a permis de gagner leur confiance», indique Sébastien Rist.
Face caméra, certains investisseurs fondent en larmes, d’autres racontent que les répercussions des pertes financières subies ont de loin dépassé la question d’argent. Leur couple s’est brisé. Leur estime d’eux-mêmes a volé en éclats.
Ce qui est fascinant, comme l’explique Sébastien Rist, c’est que le projet Lovaganza s’appuyait lui-même sur des leviers émotionnels. «Alors que ce qui se passait derrière c’était l’opposé total. Ils utilisaient cela comme appât pour convaincre les gens.»
Et même si les protagonistes de cette affaire devront un jour régler leurs comptes avec l’Autorité des marchés financiers (AMF), le «dommage humain», lui, restera pour toujours «impuni», déplore Aude Leroux-Lévesque.
Les documentaristes Aude Leroux-Lévesque et Sébastien Rist (Photo: courtoisie)
Pas qu’une question «de naïveté»
Dans un récent article sur le site Web qui regroupe les victimes de Lovaganza, l’initiateur du recours collectif Jean-François Simard, et ancien employé de One-Land Films, tient pour sa part à rappeler que «la naïveté n’était pas un facteur déterminant pour investir dans Lovaganza, mais bien le très haut niveau de préparation et d’organisation de l’ensemble de leur stratagème frauduleux.»
D’après lui, le duo savait très bien exploiter une peur bien connue des investisseurs: celle de voir ses placements s’envoler.
«Les investisseurs finissaient toujours par se dire: « On va attendre la signature dans un mois, au cas, puis l’autre mois, au cas », et ainsi de suite jusqu’à ce que ça finisse par tourner au ridicule et que 10 ans et 24 M$ plus tard, rien n’a été accompli, aucun film et aucune fondation.»
D’ailleurs, si l’arnaque était un film, elle serait maintenant une mauvaise séquelle, puisque Jean-François Gagnon et Geneviève Cloutier continuent de solliciter des fonds, sous le nom de JF&G pour Terradisio, un projet de… comédie musicale!