Les villes sont plus congestionnées que les artères des mangeurs de poutine. Les Québécois s'endettent et se ...
Les villes sont plus congestionnées que les artères des mangeurs de poutine. Les Québécois s’endettent et se sédentarisent plus que jamais. Les gaz à effet de serre mettent en péril l’équilibre climatique de la planète. Conseils pour s’affranchir de notre dépendance envers le voiturage en solo.
Jean-Sébastien Thibault travaille et habite à Sainte-Adèle. Comme la majorité des habitants des Pays-d’en-Haut, ce père de famille pourrait utiliser sa voiture chaque jour pour se déplacer, optant pour l’apparente simplicité du voiturage en solo. Or, depuis une vingtaine d’années, il fait bande à part. «Tout le monde croit que la voiture est toujours plus efficiente. Je pense le contraire. En combinant transport actif, transport régional et train de banlieue, je me déplace aussi rapidement qu’en voiture», dit ce père de famille de 42 ans.
Pour son travail, le directeur général du parc linéaire Le P’tit Train du Nord doit se rendre régulièrement à Montréal ou dans les autres municipalités des Laurentides. Peu importe son mode de transport, il ne perd jamais de temps. «Dans l’autobus régional – Transport adapté et collectif des Laurentides (TACL) -, en direction de Mont-Tremblant ou ailleurs, j’embarque mon vélo que j’utilise à destination. Pendant ce navettage, je rentabilise mon temps en travaillant sur mon portable. Même chose quand je prends le train de banlieue vers Montréal pour des réunions», explique ce grand sportif.
Pour les allers-retours au bureau et pour les rendez-vous à proximité, Jean-Sébastien Thibault enfourche sa bécane, optimisant des minutes de la journée qui auraient platement servi à la locomotion, combinant entraînement et boulot. «De nos jours, plus personne ne s’offusque quand j’arrive en short à une rencontre. Au contraire, ça provoque des discussions sur mon trajet et mon temps de déplacement. En fait, tout le monde m’envie», dit ce dynamique quarantenaire qui économise ainsi des milliers de dollars. «L’équivalent d’au moins un voyage par année», calcule-t-il rapidement.
Si seulement plus de Québécois imitaient Jean-Sébastien Thibault, l’autoroute 15 et les autres ne seraient plus des stationnements à ciel ouvert plusieurs heures par jour. Les Québécois économiseraient des milliers de dollars annuellement, argent qui serait mieux investi ailleurs, comme dans leur bas de laine, plutôt que dans le pétrole des sables bitumineux. L’État pourrait réduire ses dépenses en infrastructures, en entretien et en frais de santé, et atteindre ses cibles de réduction des gaz à effet de serre. Qui dit mieux ?
Pourquoi, collectivement, ne prenons-nous pas le virage de la mobilité durable ? Mettons le doigt sur le bobo : le Québec souffre de dépendance à la voiture. À la source du problème, ce n’est pas le manque de ponts ou d’infrastructures routières, comme peuvent le dire sans fondement des animateurs de radio, mais un problème d’explosion du nombre de véhicules de promenade. À preuve : leur nombre a explosé de 23 % sur l’île de Montréal et de 48 % dans les banlieues de la métropole depuis l’an 2000, ajoutant plus de 45 000 véhicules annuellement sur nos routes !
Dans l’ensemble du Québec, la croissance du parc automobile s’élève à 48 % depuis le tournant du millénaire, soit 77 000 voitures de plus par année. Résultat : le parc automobile québécois a enflé de 1,4 million de voitures en 18 ans ! Une croissance 2,7 fois plus rapide que celle de la population ! Et ça continue. Dans ses prédictions actuarielles, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) prévoit immatriculer 5 014 000 véhicules de promenade en 2019, une hausse de 5 % par rapport à 2017. Les causes de cette dépendance sont multiples : étalement urbain, sous-investissement dans le transport collectif – un indice parmi tant d’autres, aucune nouvelle station de métro sur l’île de Montréal depuis 30 ans – et politiques publiques favorables au voiturage en solo.
Ça va plus loin : des chercheurs parlent désormais de dépendance psychologique. «Ça fait des décennies que nous sommes victimes d’un lavage de cerveau de la part des constructeurs automobiles, qui présentent toujours une image extrêmement positive de la voiture», analyse Jérôme Laviolette, boursier et chercheur invité en transports et changements climatiques à la Fondation David Suzuki. Dans cet univers irréel, les bouchons n’existent pas, la camionnette ne coûte que quelques dollars par jour et la conduite d’un 4 x 4 permet de dominer la nature. Ce bien matériel refléterait aussi notre statut social. «Le matraquage publicitaire entraîne l’aménagement de nos territoires en vue d’accommoder la voiture, et non le contraire», déplore ce doctorant en génie civil à Polytechnique Montréal.
L’expansion sans fin de l’auto n’est plus tenable. Les solutions de rechange existent, mais nous ne les voyons pas ou les ignorons, car la facilité de l’auto à la porte brise tout raisonnement. Toutefois, des citoyens et des entreprises réalisent que l’inaction mène à un mur. Comme Isabelle Doyon, 38 ans, qui a décidé qu’elle en avait marre de rouler 80 km par jour, de Val-David à Saint-Jérôme, pour se rendre à son travail. «Non seulement j’étais préoccupée par le fait que je polluais énormément, mais en plus, le stationnement à destination était devenu un casse-tête par manque d’espaces dans le centre-ville de Saint-Jérôme. C’était stressant. Il fallait absolument que je parte tôt de la maison, sinon je me stationnais très loin du travail», dit cette responsable des communications au ministère des Transports du Québec.
Conscient du problème, son employeur prend le taureau par les cornes et agit comme entremetteur entre ses employés. Isabelle Doyon trouve quatre collègues, que cette Val-Davidoise ne connaissait pas auparavant et qui faisaient chaque jour le même navettage. «Nous parvenons à concilier nos horaires et, depuis deux ans, nous voyageons à quatre.
Les effets ne sont que positifs : le temps passe plus vite, et en plus, nous sommes devenus des amis», dit cette mère de trois enfants. Grâce à ce mode de transport, Isabelle et son conjoint envisagent de ne pas remplacer leur deuxième voiture lorsqu’elle rendra l’âme, économisant des milliers de dollars en essence, entretien, assurance et immatriculation.
Malgré les embouteillages monstres et les coûts de la voiture, la mode du covoiturage demeure marginale. Selon Statistique Canada, moins de 15 % des Montréalais et des Québécois (de Québec) covoiturent pour se rendre au boulot. Une proportion parmi les plus faibles du Canada. Dans les agglomérations de St. John’s, Halifax et Ottawa-Gatineau, plus de 20 % des travailleurs le font.
Pier-Olivier Girard, fondateur de Covoiturage.ca, entreprise de services-conseils en mobilité durable, remarque que le Québec traîne énormément de la patte, faute de mesures incitatives. «Aux États-Unis, des villes aménagent des stationnements sécurisés destinés aux covoitureurs (carpool parking), où les gens se rencontrent et laissent leur voiture sans crainte d’être remorqués. Les voies réservées aux covoitureurs se multiplient. Au Québec, rien ne bouge. La promotion de ce mode de transport ne se fait pas», déplore le président de Covoiturage.ca.
Pourtant, le potentiel étourdit. Chaque jour, les Québécois des cinq plus grandes agglomérations transportent 25 millions de sièges vides dans leurs voitures, dont 14,8 millions dans la grande région de Montréal. C’est cinq fois la capacité totale de la Société de transport de Montréal. «En favorisant le covoiturage, on réglerait les problèmes de congestion et on atteindrait les cibles de GES avec un très faible investissement public. On peut faire du transport collectif avec des voitures privées», avance Marc-Antoine Ducas, président-directeur général de Netlift, application qu’utilisent 50 000 covoitureurs au Québec.
Les employeurs, en moussant le covoiturage, améliorent leur recrutement et leur rétention de personnel, un atout précieux en période de pénurie de main-d’oeuvre. L’enjeu n’est pas de proposer seulement le covoiturage entre les employés d’une même entreprise. «C’est de mettre en relation toutes les entreprises d’une zone en vue d’optimiser les connexions», déclare Paul Galiba, cofondateur de MonLift.com, qui se qualifie de LinkedIn de la mobilité entre professionnels. Parcs industriels des banlieues, unissez-vous !
En fait le covoiturage se révèle payant. «En prenant deux personnes à huit dollars par jour, un propriétaire de voiture portant la casquette du chauffeur amasse 4 000 dollars par année, coupant sa propre facture en transport», explique Marc-Antoine Dugas. Certaines entreprises appuient financièrement les covoitureurs, rendant encore plus alléchant l’abandon du voiturage en solo.
«On remarque souvent qu’il faut simplement un coup de pouce pour propulser les modes de transport différents», affirme Mégane Mandruzzato, leader stratégique en développement durable chez Optel, dont le siège social international se trouve dans le parc technologique de Québec. Depuis trois ans, cette firme spécialisée dans la traçabilité des produits met en avant un ensemble de mesures incitatives en vue de mousser les transports actif et collectif : financement de 50 % des titres mensuels d’autobus, espaces de stationnement réservés aux covoitureurs, supports sécurisés et boîte à outils pour les vélos, ateliers mécaniques et création de clubs de course à l’interne. Une application récompense en points, échangeables dans des boutiques partenaires, comme des épiceries zéro déchet, les employés qui marchent… même pendant leurs jours de congé. «Ça a créé un changement de culture au sein de l’entreprise. On n’a pas compilé le nombre d’employés qui abandonnent l’auto, mais on sait que l’engouement est majeur, car notre stationnement ne déborde plus comme avant», dit Mégane Mandruzzato.
Espadrilles comme mode de transport
Joan Roch n’a pas eu besoin d’encouragement pour dire bye-bye au voiturage en solo. «Je ne voulais plus perdre mon temps en déplacements», raconte ce père ultraoccupé de trois enfants. Sa solution : courir 10 km matin et soir, transformant ce navettage quotidien en entraînement deux fois par jour, sortant au beau soleil comme sous la pluie.
«Au départ, la distance me faisait peur, mais je me suis adapté très vite. Mon parcours, qui relie le Vieux-Longueuil au Vieux-Montréal, m’emmène sur la glace du fleuve ou sur le pont Jacques-Cartier. Les paysages changent continuellement et sont extrêmement impressionnants, décor impossible à contempler quand on est au volant ou dans les souterrains du métro», dit ce coureur, qui documente son expérience sur Instagram.
Son trajet au pas de course lui prend de 45 à 50 minutes, incluant la prise d’instantanés. Le même temps qu’en voiture ou en métro. «Imagine combien j’ai épargné de dollars en huit ans !» dit cet informaticien. Cet entraînement-navettage lui a permis de courir des ultramarathons à un rythme décoiffant et d’écrire un bouquin sur son expérience : Ultra-ordinaire : journal d’un coureur. Un best-seller !
Pas besoin d’être un marathonien à la plume facile pour s’adonner au transport actif. Selon L’état du vélo au Québec en 2015, de l’organisme Vélo Québec, un travailleur québécois sur trois parcourt moins de 5 km pour se déplacer jusqu’à son lieu de travail, une distance qui se pédale en 25 minutes. À Sherbrooke, Trois-Rivières et Saguenay, cette proportion atteint 45 %. À Saint-Georges, Joliette, Rivière-du-Loup, Saint-Hyacinthe, Dolbeau-Mistassini et Victoriaville, ce taux dépasse 60 %. Pourtant, la part modale du vélo n’était que de 1,6 % dans l’ensemble du Québec en 2013.
Par rapport au voiturage en solo, le vélo comme moyen de transport constitue une aubaine. Vélo Québec estime à 400 dollars le coût annuel de se transporter sur deux roues, en incluant l’achat d’une bécane et son entretien. «Et nous avons pesé fort sur le crayon !» insiste Suzanne Lareau, présidente-directrice générale de Vélo Québec, sous-entendant que le coût réel est moindre dans la majorité des cas. Quant aux frais d’une voiture, l’association automobile CAA-Québec l’évalue à 9 000 dollars annuellement pour une voiture compacte comme la Honda Civic LX, et à 11 800 dollars pour un VUS compact comme le Chevrolet Équinox LT, pour une distance de 18 000 km. Avantage : vélo.
Toutefois, le manque d’infrastructures pour la petite reine et pour les déplacements à pied, eux aussi très peu coûteux, nuit aux déplacements actifs. «La plupart des pistes cyclables ne répondent pas à des besoins utilitaires, mais à des besoins récréatifs, une lacune majeure à la grandeur du Québec», déplore Suzanne Lareau. Quant aux déplacements à pied, les boulevards surdimensionnés et les commerces excentrés poussent les marcheurs à la dépression. Seule solution : modifier l’aménagement urbain. «L’arrivée de la première vélorue à Montréal indique qu’on roule dans la bonne direction», se félicite Suzanne Lareau.
Vivre sans voiture n’est cependant plus un luxe réservé aux pauvres. Père de deux jeunes de moins de trois ans, Pierre-Yves Chopin a choisi de se libérer des contraintes et des dépenses de la voiture en habitant délibérément dans un quartier central de Québec, près de tous les services. «Le problème avec la voiture, c’est qu’on s’invente des besoins», soutient ce chargé de projets.
Grâce à l’économie d’un bolide, son couple a pu acquérir son duplex de rêve, tout en ne se privant de rien. «Quand on veut sortir à la campagne, on loue une voiture de Communauto», dit-il. Dans les gros mois, sa facture d’autopartage grimpe jusqu’à 200 dollars. «Mais ce n’est rien comparativement aux coûts d’une voiture», indique ce citoyen de 34 ans.
Ce mode de vie sans voiture attire de plus en plus les jeunes. Le Groupement des assureurs automobiles constate une baisse de 14 % du nombre de voitures assurées par les 16 à 24 ans entre 2012 et 2016. Preuve qu’il y a une vie au-delà de la voiture. Êtes-vous prêt à l’essayer ?
Diviser la facture de l’auto
Scandale : une écologiste roule en voiture ! C’est ainsi qu’a été traitée la nouvelle concernant l’achat d’une Subaru Crosstrek par la députée solidaire Catherine Dorion. L’excentrique députée a cependant confié qu’elle partageait son véhicule avec plusieurs personnes. Une voiture collective, quoi !
Acheter une voiture en groupe et la partager, est-ce possible ? Oui, mais ce scénario est très rare, affirme Desjardins, le seul assureur, à notre connaissance, qui permet l’achat collectif. Quelques conditions s’appliquent : le véhicule doit être immatriculé par la SAAQ aux noms de tous les copropriétaires, et au chapitre de la couverture, il y a une exclusion advenant le vol du véhicule par un des copropriétaires. Naturellement, tout changement important doit être fait avec l’autorisation de tous les copropriétaires. Une nouvelle avenue à explorer pour payer la facture à plusieurs ?
Gare au coût de renonciation
Une voiture de base coûte plus ou moins 10 000 dollars par année. Un véhicule utilitaire sport gourmand en essence est encore plus dispendieux. Que pourrait-on se payer avec cette manne de fric ? C’est ce que les financiers appellent le coût de renonciation. En voici des exemples.
> En plaçant 10 000 dollars par année pendant 10 ans dans un compte REER, votre investissement vaudra 148 357 dollars au bout d’une décennie, à un rendement modeste de 4 %. En plus, vous déduisez cette cotisation annuelle de votre déclaration de revenus, recevant ainsi un remboursement d’impôt important, en fonction de votre taux d’imposition.
> Deux séjours de chasse au cerf de Virginie de sept jours, avec guide et repas, sur l’île d’Anticosti. Vous avez le droit de récolter deux trophées. Coût : 7 000 dollars avant taxes. Permettez-vous un habit de camouflage neuf en prime !
> Un voyage de randonnée de 14 jours tout inclus pour vous et votre douce moitié en Patagonie, dans l’extrême sud de l’Amérique du Sud, avec l’agence Terra Ultima Voyages.
> Dix « Forfaits ultimes » d’une nuitée pour deux en chambre supérieure à l’Hôtel & Spa Le Germain Charlevoix, à Baie-Saint-Paul. Inclus : souper et déjeuner gastronomiques, massage en duo, accès à la thermothérapie et demi-bouteille de champagne.