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Non, Trump n’est pas populiste. Il est pire que ça!

L'économie en version corsée|Publié le 23 août 2019

Non, Trump n’est pas populiste. Il est pire que ça!

Un appel à l'intelligence, et donc, à la résistance... (Photo: Jose Moreno/Unsplash)

Donald Trump aime à s’affubler des oripeaux du populisme. Il s’est fait élire à coups de slogans rageurs comme «Lock her up!» (à l’attention de sa rivale démocrate Hillary Clinton), «USA!», «Build the wall!» et autres «Drain the swamp!» (à l’attention de la classe politique de la capitale Washington). Il a su séduire les électeurs américains à coups de promesses tonitruantes comme celle d’assurer l’indépendance énergétique du pays et de créer des emplois grâce au «charbon propre», celle d’abroger l’Obamacare pour instaurer un autre système d’assurance maladie, ou encore celle de baisser les impôts, en particulier ceux de la classe moyenne, histoire de «remettre plein de dollars dans les poches des Américains».

Le hic? C’est que sous ces oripeaux-là ne se trouve… que du vent. En vérité, Donald Trump n’est en rien populiste.

Un populiste, c’est un politicien qui bannit les femmes qui portent un fichu sur la tête des métiers d’enseignante et de directrice d’école publique en proclamant que «c’est ce que veulent les Québécois». Un populiste, c’est un politicien qui instaure la bière à 1$ en proclamant que «c’est ce que veulent les Ontariens». Oui, un populiste, c’est un politicien disposé à adopter n’importe quelle mesure propice à la satisfaction des bas instincts des gens – xénophobie, débauche, etc. –, certain qu’il est que cela renforcera immanquablement son pouvoir.

Or, l’occupant de la Maison Blanche n’a pour l’instant pris aucune mesure franchement favorable au peuple américain. Aucune. Bien au contraire, ses principales mesures sont allées à l’encontre des souhaits, et même des intérêts, de la grande majorité des Américains. En voici deux exemples symptomatiques:

> Les baisses d’impôts? Une joke!

Les baisses d’impôts ont eu lieu depuis 2017, et ont été immensément favorables aux grandes compagnies et aux familles fortunées. Elles se chiffrent à 1.500 G$ US, et n’ont eu «aucun impact significatif sur la croissance économique, sur les salaires et sur les investissements des entreprises», d’après une étude du Congressional Research Service (CRS). Pis, le Bureau of Economic Analysis (BEA) vient de noter que le produit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis était freiné depuis 2018 par «la baisse notable des investissements des entreprises», laquelle s’est chiffrée pour le deuxième trimestre de 2019 par un recul de 0,6%, «du jamais vu depuis 2016». Autrement dit, les chefs d’entreprise n’ont pas profité de la manne financière résultant des baisses d’impôts pour investir dans leur capacité de production (achat de nouveau matériel,…), mais pour «accumuler leurs avoirs», voire pour «s’attribuer des primes».

Pour les autres, les baisses d’impôt ont été trop minimes pour être le moindrement ressenties. Ce sont plutôt les conséquences des coupures gouvernementales menées ici et là – baisses d’impôts obligent – qu’ils ont remarquées, comme l’indique un récent article du New York Magazine, chiffres à l’appui:

– plus de 10 millions d’enfants souffrent d’insécurité alimentaire;

– un nombre grandisant d’écoles publiques se battent pour offrir des services minimaux aux écoliers, pour offrir un salaire décent à leurs enseignants, et parfois même pour pouvoir ouvrir cinq jours par semaine;

– les listes d’attente s’allongent dans les centres de santé chargés des drogués aux opioïdes alors que les Etats-Unis sont en proie à une véritable épidémie de surdoses qui a fait rien qu’en 2017 plus de morts que le total des victimes américaines de la Guerre du Vietnam;

– un demi-million d’Américains sont devenus sans-abri, l’an dernier.

> Un système de santé saboté!

De nos jours, plus de 27 millions d’Américains n’ont aujourd’hui aucune couverture médicale. Et Trump a pourtant fait tout ce qu’il a pu pour abroger l’Obamacare, même si celui-ci est populaire auprès des Américains et si celui-ci a été bénéfique à des États comme le Kentucky et la Virginie-Occidentale, lesquels avaient pourtant plébiscité le candidat Trump en 2016.

Lorsque Trump a signé en octobre 2017 un décret non pas pour abroger – le Sénat s’y opposait farouchement –, mais pour contourner l’Obamacare, un sondage a été mené pour savoir ce qu’en pensaient les Américains. Résultat? Seulement 20% soutenaient alors Trump dans son opération de sabotage.

Bref, Donald Trump ne cherche pas à faire plaisir au peuple. Pas du tout. Il est même prêt à se battre becs et ongles pour faire entrer en vigueur des mesures qui sont défavorables à la grande majorité des Américains. D’ailleurs, un signe ne trompe à cet égard : depuis son investiture, jamais président n’a été aussi impopulaire auprès des Américains (il flirte ces temps-ci avec un taux d’approbation de seulement 42%, selon les données de FiveThirtyEight)…

Son but, quel est-il donc? Il devient lumineux dès lors qu’on réalise que les Etats-Unis sont devenus, sous sa gouverne, non plus une démocratie, mais… une ploutocratie.

Une quoi? Une ploutocratie, c’est-à-dire un régime politique où le pouvoir est détenu par une caste privilégiée, celle des plus riches. Où les mesures prises sont favorables aux plus riches. Et où les grands gagnants sont systématiquement les plus riches.

Des éléments permettent de le saisir:

> Le club des multimillionnaires. L’administration Trump compte 23 grosses fortunes, soit plusieurs multimillionnaires et même une milliardaire. À elles toutes, elles pèsent près de 3,2 G$ US, ce qui équivaut à la fortune personnelle du président lui-même, selon le magazine américain Forbes:

– Betsy DeVos, secrétaire à l’Éducation, 2 G$ US.

– Wilbur Ross, secrétaire au Commerce, 600 M$ US.

– Steven Mnuchin, secrétaire du Trésor, 400 M$ US.

– William Barr, procureur général des Etats-Unis, 40 M$ US.

– Robert Lightlizer, représentant au Commerce des Etats-Unis, 25 M$ US.

– Ben Carson, secrétaire au Logement et au Développement urbain, 20 M$ US.

– Elaine Chao, secrétaire au Transport, 20 M$ US.

– Alex Azar, secrétaire à la Santé et aux Services sociaux, 15 M$ US.

– Dan Coats, directeur du Renseignement national, 15 M$ US.

– Mark Esper, secrétaire à l’Armée, 5 M$ US.

– Mick Mulvaney, directeur du Bureau de la gestion et du Budget, 5 M$ US.

– Sonny Perdue, secrétaire à l’Agriculture, 5 M$ US.

– Patrick Pizzella, secrétaire adjoint au Travail, 5 M$ US.

– Andrew Wheeler, administrateur de l’Agence de protection de l’environnement, 3 M$ US.

– David Bernhardt, secrétaire à l’Intérieur, 3 M$ US.

– Rick Perry, secrétaire à l’Énergie, 3 M$ US.

– Gina Haspel, directrice de la CIA, 2 M$ US.

– Robert Wilkie, secrétaire aux Anciens combattants, 2 M$ US.

– Chris Pilkerton, secrétaire adjoint aux PME, 2 M$ US.

– Mike Pence, vice-président, 1 M$ US.

– Kevin McAleenan, secrétaire intérimaire à la Sécurité intérieure, 800.000 $ US.

– Mike Pompeo, secrétaire d’État, 800.000 $ US.

> La droite de la droite. L’administration Trump voit ses postes clés occupés par les Républicains les plus à droite sur l’échelle idéologique du Parti. Comme en attestent les différentes prises de position de ceux qui avaient déjà siégé auparavant au Congrès – Mike Pence, Mick Mulvaney, etc. –, lesquelles les ont fait figurer à l’époque «dans le décile des plus conservateurs du Congrès», selon une étude de Paul Pierson, professeur de sciences politiques à Berkeley.

Or, «l’agenda de Trump et de son administration – taxes, dépenses, décrets,… – se montre jusqu’à présent extrêmement favorable aux grandes entreprises, aux familles aisées et aux rentiers», note M. Pierson, en soulignant que «les directives de la Maison Blanche se révèlent, du même coup, dévastatrices pour les ruraux et pour la classe moyenne, deux catégories d’électeurs ayant pourtant massivement voté pour le candidat Trump».

Un exemple frappant : les agriculteurs. Le bras de fer entre Trump et Xi est devenu si intense que le président de la République populaire de Chine a décidé, la semaine dernière, l’arrêt de toute commande de produits agricoles en provenance des Etats-Unis. Ces commandes avaient déjà chuté de 19,5 G$ à 9,1 G$ en 2018; là, elles viennent de tomber brutalement à zéro. «Maintenant, nous risquons carrément de perdre tout ce marché, et qui sait pour combien de temps…», a lancé par voie de communiqué, abasourdi, Zippy Duvall, le président du syndicat agricole Farm Bureau.

Cela fait 18 mois que la guerre commerciale est entamée, et personne n’en voit le bout. Résultat? Des aides étatiques évaluées pour l’instant à 28 G$ à l’attention des agriculteurs américains qui, en raison de la politique Trump, voient les marchés étrangers se fermer à eux les uns après les autres. Des aides astronomiques, qui, pourtant, ne suffisent pas pour limiter la casse : les faillites d’exploitations agricoles ont bondi de 13% en un an, en date du 30 juin, alors même qu’elles avait légèrement reculé sur l’ensemble de 2018, d’après les données du Farm Bureau.

C’est clair, Trump et les siens ne font rien pour se faire aimer du peuple. Et les Américains, en particulier les fameux «Blancs en col bleu qui sont en colère contre l’establishment», semblent finir par le saisir : un récent sondage de la chaîne Fox News – favorable, s’il en est, à l’occupant de la Maison Blanche – a mis au jour le fait que «seulement 5% des Blancs sans diplôme universitaire considèrent que la politique économique de Trump leur est favorable» et que «45% d’entre eux pensent que celle-ci est favorable à des personnes plus riches qu’eux».

Par conséquent, on dirait bien que le vent a d’ores et déjà tourné, à un an à peine de la prochaine campagne présidentielle américaine. Pas étonnant, donc, qu’une vingtaine de Démocrates se soient lancés dans la course : le gagnant de la primaire paraît assuré, sauf accident, de la présidence en 2020; et ce, parce que la ploutocratie – fort heureusement – hérisse le poil des Américains.

Maintenant, une interrogation saute aux yeux : comment se fait-il que Donald Trump n’aie pas jouer le jeu du populisme à fond, alors que c’est ce qu’attendaient de lui ses électeurs? Pis, comment se fait-il qu’il aie «trahi» ceux qui avaient placés en lui tous leurs espoirs d’une vie meilleure?

«La réponse tient en grande partie à sa personnalité : toute sa carrière d’homme d’affaires montre qu’il est le genre de type qui ressent une satisfaction suprême dans la trahison de ceux qui lui font confiance», note le «prix Nobel» d’économie Paul Krugman dans un billet paru dans le New York Times.

Autrement dit, il cherche toujours à tirer profit de la naïveté d’autrui à son égard, à séduire pour mieux entourlouper par la suite, bref à enfirouaper tout ce qui passe à sa portée. C’est plus fort que lui, il ne peut s’en empêcher. Ce qui, pour un politicien, est on ne peut plus dommageable à moyen et long termes…

Voilà. Donald Trump n’est pas un populiste, mais un ploutocrate. Seul compte à ses yeux son enrichissement personnel et celui de ses proches. À tel point qu’il n’a aucun scrupule à tirer allègrement profit des autres, de tous les autres, sans distinction aucune – autant ses opposants que ses partisans.

«Appelons les choses par leur nom : le régime de Trump est une ploutocratie», avait alerté dès 2017 l’historien américain Robert Paxton, spécialiste des régimes autoritaires de la Seconde Guerre mondiale, dans une chronique parue dans Le Monde.

Et d’ajouter : «Donald Trump est un opportuniste, il ne se préoccupe que de sa propre célébrité et de sa propre richesse, et se laisse guider par des impulsions éphémères susceptibles de favoriser leur accroissement. Nous avons ici affaire à une personnalité autoritaire dépourvue de tout engagement envers l’État de droit, la tradition politique et même l’idéologie. (…) Les «Blancs pauvres» lui ont servi à gagner les élections de 2016; maintenant, ils peuvent être mis de côté.»

Visionnaire, ce Paxton, n’est-ce pas? Il avait tout vu venir, des années avant tout le monde. Chapeau bas!

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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