Nos sociétés pâtiront si la réforme de l’OMC échoue, dit Jim Carr
François Normand|Publié le 26 février 2019Le ministre de la Diversification du commerce international, Jim Carr, explique pourquoi la réforme de l'OMC est vitale.
Les entreprises canadiennes auront de plus en plus de difficultés à faire valoir leurs droits en cas de litige commercial si la réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) échoue et que l’organe d’appel de l’institution fonctionne au ralenti à compter de 2020, affirme le ministre de la Diversification du commerce international du Canada, Jim Carr.
En entrevue à Les Affaires, le ministre Carr a indiqué que cette réforme est vitale pour le Canada et tous les pays qui ont recours à l’OMC -le chien de garde de l’application des règles du commerce international- lorsqu’ils ont un litige avec un autre pays, surtout les puissants tels que les États-Unis ou la Chine.
Par exemple, au fil des ans, le Canada a eu recours à plusieurs reprises au processus de règlement des différends de l’OMC afin de se défendre contre les décisions des États-Unis dans l’épineux conflit du bois d’oeuvre.
Or, dans tous les cas, l’OMC a donné raison au Canada, même si l’industrie canadienne a dû payer des droits compensatoires et antidumping aux Américains pendant des années en attendant la décision du tribunal d’arbitrage basé à Genève, en Suisse.
C’est pourquoi la réforme de l’OMC est si importante, souligne Jim Carr.
«Cela va devenir de plus en en plus difficile d’être entendu par l’organe d’appel s’il n’a pas suffisamment de juges, dit-il. Dans ce contexte, le vieux système de règlement des différends pourra difficilement prendre des décisions dans un délai raisonnable.»
Washington bloque la nomination de juges
Depuis des mois, les États-Unis bloquent la nomination de juges à l’organe d’appel, car ils estiment que ses décisions ne respectent pas l’esprit du fonctionnement de l’OMC (qui a remplacé le GATT, en 1995), précise le ministre.
«Les Américains estiment que l’organe exerce ses pouvoirs au-delà de son mandat», dit-il
Les décisions de l’OMC ont présence sur le droit national des 164 États membres en cas de litige commercial. Washington y voit donc en une atteinte à sa souveraineté, lorsque les décisions de l’OMC renversent celles de tribunaux américains au détriment d’entreprises américaines.
Cette crise est préoccupante pour les entreprises canadiennes.
Car, si une solution n’est pas trouvée en 2019, le tribunal administratif ne pourra plus entendre de nouveaux différends à partir de décembre, c’est-à-dire le mois à partir duquel se termine le mandat de deux des trois juges.
D’ici là, les trois jugent peuvent cependant achever les dossiers en cours.
Cette course contre la montre est problématique pour le Canada, car Ottawa a porté plainte contre les États-Unis qui imposent respectivement, depuis le printemps 2018, des tarifs de 25% et de 10% sur les importations d’acier et d’aluminium.
L’organe d’appel de l’OMC pourrait-il poursuivre son travail sur ce cas spécifique après le mois de décembre si jamais les Américains bloquaient toujours la nomination des juges? Il n’y pas de certitude à ce sujet, disent les spécialistes.
Le Canada essaie de solutionner la crise
Le Canada joue un rôle de leader pour tenter de résoudre cette crise.
Depuis octobre, le ministre Carr et l’ambassadeur du Canada à l’OMC ont réuni les ministres du Commerce international d’une vingtaine de pays, représentant tous les continents, qui partagent sensiblement les mêmes vues que le Canada sur le commerce international.
«Les Américains et les Chinois ne participent pas à ces rencontres, mais nous les tenons informés», assure Jim Carr.
Outre le Canada, ce groupe comprend des ministres de pays comme le Japon, le Chili, la Norvège, Singapour et le Kenya. L’objectif est de trouver un consensus, et ce, afin d’élargir par la suite la discussion à d’autres pays.
Cette démarche ne sera pas facile, car les États-Unis demandent deux choses fondamentales, souligne le cabinet montréalais CMKZ dans ses Prévisions 2019 en droit du commerce international.
- Que les règles de l’OMC s’appliquent aux subventions versées aux grandes sociétés d’État et au transfert technologique forcé, une mesure qui vise principalement la Chine.
- Que l’OMC trouve une nouvelle façon de tenir compte des différents niveaux de développement des économies afin que des pays comme la Chine et l’Inde ne puissent plus utiliser des règles appliquées généralement aux pays moins développés.
La vingtaine de ministres du Commerce international se sont déjà réunis en janvier. Une autre rencontre est prévue en mai, avant le G20 à Osaka.
Ils doivent aussi se réunir en juin, toujours au Japon.