Quand on regarde dans le rétroviseur, on constate que le coût de la vie n'a cessé d'augmenter depuis 25 ans. ...
Quand on regarde dans le rétroviseur, on constate que le coût de la vie n’a cessé d’augmenter depuis 25 ans. Pourtant, le prix de certains biens a diminué… Et nos habitudes de consommation ont changé. Comment savoir, dans ce contexte, si la vie «d’avant» coûtait vraiment moins cher ?
Vingt dollars pour un CD. Un dollar pour une canette de Coke achetée dans un distributeur automatique. Ce sont les deux seuls prix dont je me souviens avec certitude de l’année 1995. J’avais 19 ans, j’achetais des CD chaque semaine et je menais une sérieuse carrière de basketteur collégial… D’ailleurs, combien de fois ai-je fixé le distributeur à la sortie du gymnase, en me disant : «Ah, si j’avais un dollar sur moi, je boirais autre chose que de l’eau !»
C’est d’ailleurs ce distributeur, mine de rien, qui m’a initié à la notion d’inflation, qui se définit comme «une tendance à la hausse du prix des biens et des services sur une période donnée». Au fil des ans, j’ai vu le prix affiché sur les distributeurs automatiques passer de 1 $ à 1,25 $, puis de 1,50 $ à 2 $… pour atteindre, 25 ans plus tard, plus de 3 $ dans certains lieux publics !
En fouillant sur le site de Statistique Canada, on constate que plusieurs biens ont suivi cette trajectoire ascendante : de 1995 à aujourd’hui, le litre d’essence a bondi de 127 % ; les billets d’avion, de 163 % ; le boeuf, de 123 % ; et les fruits frais, de 53 %.
Pendant ce temps, mes vieux CD sont tombés en désuétude. Et le prix de la musique a décliné, comme celui des vêtements (-14 %), des ustensiles de cuisine (-16 %), des électroménagers (-13 %) et des équipements de divertissement maison (-51 %).
Le résultat des courses ? On sait, par la Banque du Canada, que l’inflation annuelle oscille autour de 2 % depuis des années et, donc, que les prix à la consommation ont subi une hausse générale durant cette période. Ce que l’on sait moins, c’est à quel point ce calcul est complexe et approximatif.
Un panier à géométrie variable
«La façon la plus commune de calculer l’inflation est d’établir un panier de biens et de services et de comparer l’évolution de son prix dans le temps, explique Alain Paquet, professeur de sciences économiques à l’UQAM. Ce panier est sujet à révision, pour refléter les changements de nos habitudes de consommation. Par exemple, plus personne n’achète de cassettes VHS. Ce genre d’article peut dès lors être remplacé par une dépense plus courante, comme un abonnement à Netflix.»
«Nos habitudes alimentaires ont aussi beaucoup changé, dit Jacques Nantel, professeur de marketing, spécialiste de la consommation. Si on additionne les repas au restaurant et le prêt-à-manger en épicerie, ça représente aujourd’hui près de 40 % des dépenses alimentaires des ménages canadiens, alors que c’était minime à l’époque.»
Imaginez la surprise d’une personne téléportée de 1995 à 2019 qui, en plus de découvrir la présence de mille nouvelles saveurs sur les tablettes de son supermarché (mets mexicains, indiens, asiatiques, végés, sans gluten, alouette), apprend qu’elle peut attraper une pizza Mikes et une tarte au sucre St-Hubert au rayon des surgelés !
Pour compliquer les choses, il n’y a pas que les habitudes de consommation qui changent, les biens aussi.
«C’est particulièrement vrai pour les produits technologiques, souligne Alain Paquet. Les iPhone qui se vendent aujourd’hui n’ont pas les mêmes caractéristiques que ceux d’il y a trois ans. La batterie a une meilleure capacité, la caméra est plus performante, etc. On cherche la meilleure approximation, mais il n’y a pas de mesure parfaite.»
Les forces en présence
Aussi imparfaite soit-elle, la mesure d’inflation n’en traduit pas moins un phénomène réel qui fait grimacer bien du monde. Quels sont donc les mécanismes qui poussent les prix à la hausse ?
«Le premier mécanisme qui agit derrière l’inflation est le principe de l’offre et de la demande, explique Jacques Nantel. Quand on regarde du côté de la demande, on constate que plus les gens veulent de biens, plus les prix ont tendance à augmenter. Et plus ils ont accès au crédit, plus ils font de gros achats, comme celui d’une maison.»
La manière dont s’organise l’offre pèse également dans la balance : «Les prix sont influencés par le contexte de production, explique Jean-François Grenier, directeur du Groupe Altus, spécialisé en recherche marketing. Ils dépendent du coût des matières premières, du salaire des employés, des coûts de transport et ainsi de suite.»
Des coûts de production croissants peuvent ainsi justifier la hausse du prix d’un article qui n’a pas changé d’un iota au fil des ans – pensons à la canette de Coke !
Par chance, le contexte de production tourne parfois à l’avantage des consommateurs : «Si le prix des vêtements a diminué, c’est principalement parce que l’industrie du textile a été délocalisée en Asie», explique Jean-François Grenier. La mondialisation, en ce sens, permet d’expliquer la chute de plusieurs prix.
«Le second mécanisme qui joue sur l’inflation, ajoute Alain Paquet, c’est la politique monétaire du pays. Le gouvernement n’a pas d’emprise directe sur le prix des maisons ou de l’essence, mais il a accès à divers leviers pour garder l’inflation à un taux acceptable et éviter qu’elle s’emballe (comme dans les années 1980). Il peut injecter de l’argent dans l’économie ou ajuster le taux directeur.»
En 1991, le Canada s’est donné une cible d’inflation de 2 %. Et c’est ce taux que l’on observe depuis, à 1 % près.
Par chance, les salaires augmentent
Avant de conclure trop rapidement que la hausse des prix nous a appauvris, jetons un oeil sur les salaires. «Ah bien, oui ! s’exclame Jacques Nantel. Les gens disent que la vie coûte plus cher qu’avant… mais ils oublient que leur salaire a augmenté !»
«Les augmentations salariales n’ont pas été uniformes dans tous les secteurs, précise Alain Paquet. Mais on peut dire, de manière générale, que la hausse des salaires a compensé l’inflation.»
Toujours aussi convaincu que la vie d’avant était moins chère ?