Nunavik: la pénurie de logements ralentit la construction
La Presse Canadienne|Publié le 24 mai 2022L’entrepreneur québécois Daniel Gadbois est habituellement à la chasse à cette période de l’année. Il travaille présentement de 10 à 12 heures par jour. (Photo: La Presse Canadienne)
Kuujjuaq — L’entrepreneur québécois Daniel Gadbois est habituellement à la chasse à cette période de l’année, alors que des troupeaux de bernaches du Canada réapparaissent dans leurs formations en V dans le ciel du Nunavik, retournant à leurs aires de nidification dans le nord du Québec.
C’est le signal pour lui et bien d’autres chasseurs de sa ville natale de Kuujjuaq d’arpenter les lieux de chasse.
Mais par les temps qui courent, l’électricien travaille de 10 à 12 heures par jour, alors que les entreprises et les gouvernements se bousculent pour combler une pénurie critique de logements.
«Le nord grandit trop vite», selon M. Gadbois.
Les projections démographiques de 2020 de Statistique Canada montrent que le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest auront les populations médianes les plus jeunes du Canada au cours des quatre prochaines décennies, bien en deçà de la moyenne canadienne. Une étude de la population du Nunavik réalisée entre 2006 et 2016 montre qu’elle a progressé à un rythme beaucoup plus élevé, 22%, que le reste du Québec à 8%. Pendant cette période de dix ans, le tiers des habitants du Nunavik avaient moins de 15 ans.
Daniel Gadbois, qui est président de Services Ikumak, est issu d’une famille d’entrepreneurs. Un de ses frères possède une entreprise de plomberie et de chauffage et l’autre est menuisier.
Il s’agit d’entreprises locales qui travaillent à la construction de logements dans les communautés nordiques. Mais même pour les artisans de l’habitation, il y a des problèmes de logement dans cette région.
Pour honorer ses contrats, Daniel Gadbois loue les services de huit travailleurs d’une entreprise située près de Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue, en payant leurs vols, leur nourriture, leur logement et leurs salaires.
M. Gadbois constate que tous ses profits sont investis dans la location d’un logement pour quelqu’un qui va faire des allers-retours.
Daniel Gadbois et sa famille vivaient dans le sud du Québec pendant qu’il obtenait sa certification. Sa région nordique d’origine lui manquait, mais il voulait aussi que sa fille reçoive la meilleure éducation possible dans le sud.
Lorsqu’est venu le moment de retourner vivre dans le nord, la famille a vendu sa maison et a fait une demande de logement au Nunavik ; c’est là qu’elle a appris qu’il y avait une liste d’attente de trois ans pour en obtenir un.
Daniel Gadbois a donc construit sa maison à Kuujjuaq, mais il est bien conscient que ce n’est pas quelque chose que tout le monde peut faire, d’autant plus que la courte saison de construction et l’éloignement des fournisseurs ajoutent au défi.
Le plus récent budget du gouvernement du Canada a réservé 150 millions de dollars sur deux ans pour soutenir le logement abordable et les infrastructures connexes dans le nord.
Vendredi dernier, la députée de Churchill—Keewatinook Aski à la Chambre des communes, Niki Ashton du Nouveau Parti démocratique (NPD), a déclaré que cette somme était loin d’être suffisante pour résoudre la crise du logement dans les communautés autochtones.
Dans sa réponse, le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, a déclaré que les engagements en matière de logement changeront la donne, tout en reconnaissant qu’ils ne suffisent pas.
L’organisation socioculturelle inuite Tapiriit Kanatami qualifie les engagements budgétaires de pas important dans la bonne direction. Son président, Natan Obed, signale que la crise du logement chez les Inuits est à la fois particulièrement aiguë et de longue date.
Chez Services Ikumak, Daniel Gadbois emploie trois travailleurs du Nunavik et il travaille à encourager plus de jeunes à apprendre des métiers.
«Il y a beaucoup de jeunes qui ont intérêt à sortir de leur ville natale pour quitter leurs maisons surpeuplées, parce que c’est vraiment le problème. On peut facilement retrouver sept ou huit personnes dans une maison de deux chambres à coucher».
M. Gadbois aimerait assister à la création d’une école de métiers au Nunavik pour former la prochaine génération. En ce moment, la plupart des résidents du Nunavik qui aspirent à une formation font ce qu’il a lui-même fait: se diriger vers les régions du sud, vers les écoles du Québec et de l’Ontario.
Or, Daniel Gadbois souligne que «pour quelqu’un qui n’est jamais vraiment allé dans le sud, qui a passé toute sa vie dans le nord, c’est une sorte de choc culturel».
Il reste tout de même optimiste, signalant qu’il voit des changements positifs se produire, en ayant à l’esprit que rien ne se passe du jour au lendemain.