Vendredi, le nouveau gouvernement de Liz Truss avait annoncé des mesures de soutien à l’économie et des baisses d’impôts très coûteuses. (Photo: 123RF)
Londres — La Banque d’Angleterre est intervenue en urgence mercredi face à la flambée taux des bons du Trésor britannique de long terme pour contrer de «sérieux risques pour la stabilité financière britannique», en particulier sur les fonds de pension. Quels étaient les enjeux?
Flambée des taux
Évaluées à 100 à 200 milliards de livres par les économistes, les mesures budgétaires massives annoncées la semaine dernière par le nouveau gouvernement de la conservatrice Liz Truss ont semé le trouble sur les marchés, car elles n’étaient pas chiffrées: coût, financement ou impact.
Or, le gouvernement a prévu de les payer en empruntant sur les marchés, puisqu’aucune économie n’a été annoncée par ailleurs. Vu l’inflation à près de 10% au Royaume-Uni, la plus élevée du G7, emprunter sur les marchés devient de plus en plus coûteux.
«Les investisseurs se sont demandé: est-ce que le gouvernement britannique peut vraiment financer tout ça? Dans le doute, nous n’allons pas acheter de bons du Trésor britannique», résume David Madden, analyste à Equiti, interrogé par l’AFP. Les rendements des bons à long terme en particulier, qui représentent le montant que l’État britannique doit payer aux investisseurs et qui reflètent donc l’inverse de la demande, ont flambé à leur plus haut depuis la crise financière.
Les fonds de pension dans la tourmente
Les fonds de pension sont des investisseurs de long terme et ils recherchent la stabilité. Ils sont obligés par statut d’investir dans des actifs à faible volatilité.
Mais les bons du Trésor à plus de 10 ans, avec leurs rendements qui ont flambé et leur valeur qui a chuté ces derniers jours, sont soudainement devenus des actifs très volatils, ce qui a forcé certains fonds de pension à s’en délester. De plus, comme ces produits sont généralement prisés en particulier par les fonds de pension, il n’y avait pas beaucoup d’acheteurs en face: ils frôlaient une situation d’illiquidité. En outre, leur prix se dépréciant soudainement vu la demande qui s’effondrait, les fonds de pension voyaient la valeur de leur bilan se détériorer d’autant.
À cela s’est ajouté un phénomène de dérivés: certains fonds de pension cherchaient de la liquidité en vendant des dérivés de leurs bons à 30 ans, pour ne pas bloquer leurs capitaux sur d’aussi longues durées.
Mais lorsque les conditions de marchés changent aussi brusquement et que la valeur des collatéraux des dérivés chute, les fonds peuvent être tenus de vendre les collatéraux à un prix contractuel. Ils leur faut trouver des liquidités rapidement, donc vendre les actifs qu’ils ont en masse, en partie des bons du Trésor: un cercle vicieux. Les fonds de pension gourmands de ces stratégies de financement par dérivés se sont retrouvés d’un coup en risque de faillite.
Précédents historiques
«C’est pour ça que la Banque d’Angleterre a dû intervenir», note Russ Mould, stratège de marchés de AJ Bell, interrogé par l’AFP. Il rappelle que «c’est ce qui s’est passé avec les dérivés d’actions pendant la crise de 1929 à Wall Street et de nouveau en 1987 quand les dérivés de portefeuille d’assurance ont créé une vague de ventes pendant le lundi noir d’octobre».
Sans parler de la crise financière de 2008-2009, elle aussi provoquée par des dérivés sur les prêts hypothécaires risqués américains donc la valeur s’est soudainement dépréciée.
Risque terminé?
L’intervention de la Banque d’Angleterre «a enlevé le stress du marché, les taux de rendements des obligations d’État à 30 ans sont retombés», explique à l’AFP Alice Haine, analyste à Bestinvest.
Cette action a aussi eu le mérite, en faisant retomber les taux d’emprunt de l’État, de faire un peu retomber le coût de financement de la dette du Royaume-Uni.
Mme Haine affirme que les retraités eux-mêmes sont de toute façon protégés: en cas de manque de financement, les employeurs peuvent être tenus de verser plus d’argent aux fonds de pension et en dernier recours un fonds de protection des retraites intervient.
La banque d’Angleterre compte revendre progressivement les bons du Trésor britannique à 15, 20 ou 30 ans qu’elle aura rachetés dans l’urgence, pour un montant estimé pouvant aller jusqu’à 65 milliards de livres.
Revers de la médaille: «quand la banque centrale doit intervenir, cela montre à quel point vous êtes fragile», conclut David Madden.
Si la panique sur la dette à long terme semble s’être apaisée pour l’instant, le taux d’emprunt à trente ans reste à environ 4%, un point de pourcentage plus bas qu’à son sommet mercredi, mais qui reste très élevé: il se situait à 1% au début de l’année.