Les investisseurs vont vers des actifs moins risqués. (Photo: 123RF)
«Bouclez vos ceintures, l’année sera cahoteuse», prévient Drummond Brodeur, stratège mondial chez CI Global Asset Management. Cahoteuse, certes, mais pas nécessairement décevante : «Les cahots devraient créer des opportunités sur les marchés», ajoute-t-il
Pour la grande majorité des investisseurs, 2022 introduit une variable inconnue: l’inflation «au niveau le plus élevé que nous ayons vu dans nos carrières», note Drummond Brodeur. Cette variable s’accompagne d’une perspective indésirable de hausse des taux d’intérêt et, avant cela, de retrait des liquidités par la réduction des achats d’actifs de la Réserve fédérale.
Ces facteurs créent des turbulences sur une toile de fond qui semble par ailleurs solide. Le taux de chômage est relativement faible au Canada, à 5,9%, et encore plus faible aux États-Unis, à 3,9%. La croissance économique au Canada devrait naviguer à un taux très sain de 3,5% à 4% jusqu’en 2022, prévoit Drummond Brodeur, tandis qu’elle devrait atteindre 3,9% aux États-Unis, selon Dave Sekera, stratège en chef des marchés chez Morningstar, qui ajoute: « Ces taux de croissance restent supérieurs aux moyennes historiques récentes ».
Bien sûr, Omicron est toujours là, causant encore des problèmes d’approvisionnement et alimentant l’inflation, mais il ne semble pas avoir freiné la reprise économique, jusqu’à présent.
Garder à l’œil les dernières hausses, pas les premières
Dave Sekera s’attend à ce que la Fed relève les taux par incréments de 0,25% (ou 25 points de base) jusqu’à ce qu’ils atteignent 1% à la fin de 2022. «C’est ce que le marché évalue actuellement comme devant se produire en 2022», dit-il, soulignant immédiatement un aspect clé : «Ce sera encore très bas historiquement».
Évoquant le concept fugace du «niveau neutre des taux», lorsque les taux n’exercent ni un effet stimulant ni un effet restrictif sur l’économie, M. Brodeur note que «les universitaires considèrent actuellement que cette zone “neutre” se situe entre 1,5% et 2%». Ainsi, même à 1%, les taux seraient encore très stimulants. Toutefois, il met en garde: « Ce ne sont pas les premières hausses qu’il faut craindre, mais plutôt les dernières. Il est fort probable que la Fed pousse les taux juste assez haut pour que cela pose un problème à l’économie dans son ensemble, mais tout juste moins qu’ils ne l’ont déjà été.»
Toujours bon pour la valeur
Tout bien considéré, «cela reste un environnement favorable aux actions», estime Drummond Brodeur. Nous assisterons là à une rotation de certains secteurs vers d’autres. «Il faut vraiment se méfier des positions surchargées», prévient-il, faisant référence aux secteurs massifs du marché qui prospèrent grâce aux spéculations sur séance (day trading), aux transactions algorithmiques, au fort effet de levier et aux stratégies d’élan (momentum). En d’autres termes, tout «ce qui n’est pas de l’investissement fondamental», note-t-il.
Comme nous l’avons vu pendant une bonne partie du mois de janvier, nous assisterons à des ventes forcées dans les noms surfréquentés, principalement des valeurs technologiques «chouchoutées» promues par des sociétés comme ARK Funds et Robin Hood. À l’extrémité qui bénéficie de la rotation, Brodeur identifie les matières premières, les finances, le pétrole, la croissance de qualité, les sociétés générant des flux de trésorerie importants, qu’elles soient cycliques ou séculaires.
Dave Sekera vote résolument pour les titres de valeur, «qui représentent probablement le meilleur placement pour les investisseurs aujourd’hui», dit-il. À partir des minutes du comité monétaire (FOMC) en janvier, les marchés ont compris que la Fed envisageait sérieusement de commencer à relever ses taux et à resserrer la masse monétaire, ce que le discours de Jerome Powell a confirmé sans équivoque. Depuis ce moment, « es titres de croissance ont été vendus (…) et les titres de valeur ont augmenté», ajoute M. Sekera.
Repérer les secteurs surévalués
Dans un rapport publié à la mi-janvier, Dave Sekera a identifié les secteurs les plus largement surévalués (sur la base de la valorisation intrinsèque) et les plus sous-évalués, notant que les secteurs sous-évalués sont plus difficiles à repérer, bien qu’on trouve plus de secteurs se négociant à leur juste valeur qu’au trimestre précédent.
Il reste que la surévaluation domine la plupart des secteurs, en particulier l’immobilier, les soins de santé et les biens de consommation défensifs dans leurs segments de croissance (note de 1,43, 1,4 et 1,26 respectivement), et les matériaux de base dans leur segment principal (note de 1,23). Seuls deux secteurs se distinguent par des sous-évaluations attrayantes dans tous les segments: l’énergie, avec des sous-évaluations allant de 0,72 à 0,88, et les communications, la sous-évaluation de ce secteur allant de 0,79 à 0,88. «L’énergie et les communications ont encore un bon bout de chemin à parcourir, mais pas autant que lorsque nous avons publié le rapport», commente Dave Sekera.
Qu’en est-il des obligations ?
Du côté des obligations, 2022 ne sera pas une année faste en raison de l’effet dépressif de la hausse des taux sur les prix. Pour commencer, conviennent Dave Sekera et Drummond Brodeur, la croissance économique maintiendra les niveaux de défaillance à un bas niveau. Les obligations d’État devraient être légèrement négatives à la fin de l’année, prévoit Drummond Brodeur, qui ajoute : «Si vous parvenez à vous en tirer en zone neutre, vous pourrez vous considérer chanceux». Et il répète la même histoire pour les obligations d’entreprise de haute qualité, déclarant : «Une transaction sans perte ni profit serait une bénédiction». Toutefois, «l’année devrait être bonne pour les obligations d’entreprises à haut rendement, qui devraient dégager un rendement d’environ 5%. »
M. Sekera conseille de demeurer prudent : «Avec la hausse des taux, il est préférable d’opter pour des obligations à durée plus courte ; les émissions à 5 ans constituent un bon placement.»
Pour les portefeuilles qu’il gère, Drummond Brodeur reste optimiste, même si la route s’annonce «cahoteuse». «À la fin de l’année dernière, je suis passé à une position neutre en actions et quelque peu sous-pondérée en obligations. Je conserve donc des liquidités pour profiter des opportunités qui se présenteront.» Mais il ne s’agit certainement pas d’une perspective d’achat sur simple repli des titres.