Mardi, les cours perdaient plus de 5%, en réaction aux progrès annoncés dans les négociations entre l'Ukraine et la Russie, signe de leur extrême fébrilité. (Photo: 123RF)
Londres — L’Arabie saoudite et la Russie, piliers du cartel pétrolier OPEP+, font front commun dans leur refus d’ouvrir largement les vannes de l’or noir, malgré les nombreux appels à freiner la volatilité des prix.
Les treize membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), menés par Ryad, et leurs dix partenaires conduits par Moscou se réunissent jeudi pour faire leur traditionnel point mensuel sur la production.
Les prix ont connu plusieurs envolées depuis le début de l’invasion russe, frôlant le 7 mars les records historiques des deux références de l’or noir (139,13 dollars américains pour le baril pour le Brent de la mer du Nord et 130,50 $ US pour le WTI américain).
Mardi, les cours perdaient plus de 5%, en réaction aux progrès annoncés dans les négociations entre l’Ukraine et la Russie, signe de leur extrême fébrilité.
Mais l’OPEP+, alliance qui a vu le jour en 2016 pour réguler le marché, ne devrait pas déroger à sa stratégie d’ouverture modeste de ses robinets, selon les analystes.
«La guerre en Ukraine rappelle au monde que nous sommes toujours dépendants de l’OPEP+ pour assurer l’approvisionnement énergétique de la planète», souligne Edward Moya, analyste chez Oanda.
Et Ryad comme Moscou en profitent, ignorant les avertissements des pays du G7 qui ont récemment appelé les pays producteurs à augmenter leurs livraisons, insistant sur «le rôle clé» du cartel dans la régulation des prix de l’énergie.
L’Agence internationale de l’Énergie (AIE) lui a également demandé d’être «du bon côté», en espérant que la rencontre de jeudi permettra de «soulager» le marché.
Plus que tout autre membre du cartel, les Saoudiens, premiers exportateurs mondiaux de brut, «n’ont pas vraiment intérêt à augmenter leur production, car ils bénéficient des prix élevés du pétrole et de la forte demande», fait remarquer l’expert Edward Moya.
«Tenir le monde en otage»
En outre, ils ne veulent pas s’aliéner la Russie.
Bien loin des considérations d’un marché très tendu, une nette hausse des volumes serait par essence une décision politique, à savoir celle de se ranger du côté de la Maison-Blanche.
«En pleine guerre russo-ukrainienne, toute mesure qui viserait à faire en sorte que le pétrole russe ne soit plus une arme entre les mains de Poutine serait perçue à Moscou comme une provocation», décrypte pour l’AFP Philippe Sébille-Lopez, directeur de Géopolia, spécialiste des enjeux géopolitiques énergétiques.
À l’inverse, par sa posture attentiste, le prince héritier Mohammed ben Salmane permet à la Russie «de tenir le monde importateur (d’énergie russe) en otage», abonde Stephen Innes, analyste chez SPI Asset Management.
Moscou «compte beaucoup sur l’utilisation de son influence, principalement grâce à ses approvisionnements en pétrole et en gaz naturel, pour négocier avec l’Occident» et amortir le choc des sanctions, explique Walid Koudmani, analyste pour XTB.
Si les États-Unis, rejoints par d’autres nations comme le Royaume-Uni, ont décrété un embargo sur les hydrocarbures russes, ce n’est en effet pas encore le cas du Vieux Continent, beaucoup plus dépendant.
Loyauté changeante
En réalité, la guerre en Ukraine «expose les failles du partenariat de longue date entre Arabie saoudite et États-Unis», estime M. Innes.
Ryad a jusqu’ici évité de prendre position contre la Russie, ne condamnant pas publiquement l’invasion tout en réitérant son engagement envers l’alliance OPEP+.
Et sa stratégie sur le volet pétrolier «pourrait être interprétée comme un changement de loyauté des États-Unis vers la Russie», poursuit l’expert, interrogé par l’AFP.
Pendant sa campagne, le président américain Joe Biden avait juré de traiter le royaume comme un État «paria» après le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, tué et démembré à Istanbul en octobre 2018.
Mais pour Stephen Innes, le cœur du problème est surtout l’Iran, ennemi juré de l’Arabie saoudite, alors que Washington est engagé dans des négociations avec Téhéran pour réintégrer l’accord sur le nucléaire iranien.
Des discussions «pas nécessairement bien accueillies par les Saoudiens», note Bjørnar Tonhaugen, chez Rystad Energy.
Le retrait des rebelles Houthis du Yémen, proches de l’Iran, de la liste noire américaine des «organisations terroristes» a également crispé les relations.
Longtemps proche partenaire de Ryad, l’administration américaine a progressivement pris ses distances avec ce conflit.
«Le prince héritier se range peut-être imprudemment du côté du Kremlin, espérant que la Russie le soutiendra si l’Iran et les Saoudiens se réengagent dans un conflit» ouvert, conclut M. Innes.