Pouvez-vous vraiment vous fier aux gourous de la finance?
L'économie en version corsée|Publié le 25 mars 2019Un péril qui dépasse tout ce que vous imaginez... Photo: DR
Les gourous et autres prévisionnistes de la finance sont partout aujourd’hui : télévision, quotidiens économiques, infolettres, Twitter, YouTube, etc. Ils multiplient les prévisions plus fracassantes les unes que les autres, en affichant systématiquement la sérénité du champion olympique qui sait que la médaille d’or n’attend que lui. Et ils semblent tous crouler sous une fortune dont ils ne savent plus trop quoi faire. Pas vrai ?
Mais voilà, ces fameux «experts autoproclamés» sont-ils si fiables que ça ? Oui, pouvons-nous vraiment nous fier à leurs prédictions pour effectuer nos propres placements financiers ? Ou allons-nous droit à la catastrophe si jamais nous avions l’idée de copier-coller tout ce qu’ils préconisent de faire ?
La bonne nouvelle du jour, c’est qu’une étude permet d’y voir (enfin) clair à ce sujet. Intitulée Do financial gurus produce reliable forecasts?, elle est signée par : David Bailey, chercheur en mathématique et en informatique à l’Université de Californie à Davis (États-Unis); Jonathan Borwein, feu-professeur de mathématique à l’Université de Newcastle (Australie); Amir Salehipour, professeur de mathématique l’Université technologique de Sydney (Australie); et Marcos Lopez de Prado, chercheur en intelligence artificielle à Berkeley (États-Unis). Regardons ensemble de quoi il retourne…
Les quatre chercheurs ont concocté un algorithme – si vous préférez, un programme informatique d’intelligence artificielle (IA) – à même d’évaluer la justesse des prédictions faites par n’importe quel expert de la finance ; et ce, en fonction de différents critères, dont la précision de la prédiction faite et l’échéance dans le temps de celle-ci. De fait, il est logique de considérer qu’il est plus «facile» de prédire une statistique économique qui sera dévoilée dans une semaine qu’une autre qui le sera dans un mois, ou pis, dans trois mois.
Ceci fait, ils l’ont testé. Puis, sûrs de leur coup, ils ont lancé leur algorithme sur très exactement 6.627 prédictions faites récemment par 68 gourous américains de la finance à propos de l’indice boursier S&P 500. Parmi ceux-ci figuraient David Nassar, Ken Fisher, Jeremy Grantham, Doug Kass et Marc Faber.
Résultats ? Voici les cinq principaux :
– 2 sur 5 voient juste presque 1 fois sur 2. 40% des gourous voient juste dans leurs prédictions dans 40-50% des cas. Autrement dit, 2 gourous sur 5 ont raison un peu moins de 1 fois sur 2.
– Les charlatans existent. 3% des gourous ne voient juste que dans 10-20% des cas. Autrement dit, il y a bel et bien des «experts autoproclamés» qui se trompent presque toujours dans leurs prédictions ; et qui continuent, néanmoins, de passer pour des experts.
– Les champions existent aussi. 6% des gourous voient juste dans 70-80% des cas. Autrement dit, il y a bel et bien des champions de la prédiction, même s’ils ne sont qu’une poignée.
– Seulement 1 prédiction sur 2 est juste. Tous gourous confondus, seulement 48% des prédictions se vérifient.
– Le cap fatal du mois. La majorité des prédictions qui se vérifient (67%) concernent le court terme, à savoir une échéance inférieure à un mois. Lorsque l’échéance va de 1 à 3 mois, le pourcentage chute à 28%. Et lorsqu’elle dépasse les 3 mois, le pourcentage ne fait plus que tutoyer la barre des 5%.
Les quatre chercheurs ont ainsi été en mesure de dresser le palmarès des meilleurs gourous américains de la finance, à tout le moins parmi les 68 qu’ils ont considérés. En voici le Top 3 :
1. John Buckingham (taux de justesse des prédictions : 79%)
2. Jack Schannep (73%)
3. David Nassar (72%)
À noter que ce palmarès est, bien entendu, à prendre avec des pincettes. En effet, si John Buckingham semble être le champion des champions, il convient tout de même de souligner qu’il n’a fait que 17 prédictions là où Schannep et Nassar en ont fait respectivement 63 et 44. Et qu’ils n’ont pas fait le même genre de prédictions : l’essentiel de celles de Buckingham concernait le moyen et le long terme – ce qui est a priori risqué – alors que celles de Nassar, par exemple, visaient surtout le court terme – ce qui est a priori moins risqué. Autrement dit, si l’on ne regardait qu’un critère seulement – disons, le court terme – Buckingham ne serait plus le champion des champions, loin de là, et serait largement supplanté par Nassar ; et inversement si l’on considérait un autre critère – disons, le long terme.
«De manière générale, il semble que les gourous de la finance s’en sortent très bien dans leurs prédictions, et même mieux que ce que laissaient entendre de précédentes études sur le même sujet, mais n’utilisant pas l’IA pour analyser leurs données. Mais attention, ce n’est là qu’une impression trompeuse : en vérité, la performance générale des gourous n’est pas plus élevée que celle qu’aurait une bande de singes, à savoir si on faisait des prédictions au hasard», notent les quatre chercheurs dans leur étude.
Voilà qui est dit, et à présent prouvé : écoutez les conseils d’un gourou de la finance, tirez au sort pour savoir quelle décision prendre en matière de placement financier, ou confiez-vous à ce que vous dira un singe, c’est du pareil au même ! Oui, du pareil au même. Ni plus n moins.
En passant, l’écrivain américain Paul Auster a dit dans Cité de verre : «Rien n’est réel hormis le hasard».
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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