Prix de l’essence: y aura-t-il une «destruction de la demande»?
La Presse Canadienne|Publié le 17 juin 2022Les experts n’arrivent pas à déterminer quand ― ou même si ―les conducteurs pourront voir une «destruction de la demande» importante à la pompe. (Photo: La Presse Canadienne)
Calgary — Il y a un dicton célèbre qui dit que «le remède aux prix élevés, c’est les prix élevés», mais quand il s’agit d’essence, ce n’est pas nécessairement le cas.
Les experts n’arrivent pas à déterminer quand ― ou même si ―les conducteurs pourront voir une «destruction de la demande» importante à la pompe.
La destruction de la demande consiste en une baisse soutenue de la demande d’un produit en raison de prix excessivement élevés.
En théorie, atteindre un prix insoutenable servirait de point de basculement et ferait finalement chuter les prix du carburant, offrant un certain soulagement aux conducteurs. Mais les analystes disent que nous n’en sommes pas encore là, même si les prix de l’essence oscillent autour de sommets historiques.
«Les prix de l’essence au Canada sont à des records ajustés en fonction de l’inflation. Mais je continue d’être étonné du niveau élevé de la demande que nous constatons», a déclaré Patrick De Haan, responsable de l’analyse du pétrole pour le service de suivi des prix du carburant GasBuddy.com.
Les prix de l’essence augmentent depuis février, depuis que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a envoyé des ondes de choc sur les marchés internationaux de l’énergie.
Jeudi, le prix de détail national moyen à la pompe au Canada était de 208,5 cents le litre, soit 76 cents de plus que la moyenne de 132,2 cents le litre de l’an dernier. Le pays a atteint un record absolu de 210,8 cents le litre le 12 juin, selon GasBuddy.
Bien que le Canada ne dispose pas de bonnes statistiques sur la consommation de carburant des consommateurs, M. De Haan a déclaré que les achats d’essence sont probablement comparables aux États-Unis, où les données fédérales montrent que la demande d’essence n’a reculé que d’environ 5 à 10% depuis que les prix ont commencé à grimper plus tôt cette année.
Il a dit que c’est étonnamment bas, mais que cela a probablement tout à voir avec la levée des restrictions liées à la COVID-19.
«Je me serais attendu à voir plus de destruction de la demande (au Canada) à la barre des 2 $ le litre», a indiqué M. De Haan. «Mais je pense que de nombreux Canadiens, comme leurs homologues américains, veulent sortir. Je pense aussi qu’il y a plus d’entreprises canadiennes qui retournent dans un bureau physique, et cela pourrait être une raison pour laquelle nous ne voyons pas les choses tomber plus significativement.»
M. De Haan a ajouté qu’il pensait qu’il faudrait que les prix grimpent jusqu’à 2,25 $ ou 2,50 $ le litre pour le carburant sans plomb ― ce qui est peu probable, mais pourrait se produire si une catastrophe naturelle ou un événement météorologique détruisait une grande raffinerie nord-américaine cet été ― pour déclencher des niveaux de destruction de la demande «exponentiels». Le carburant diesel a récemment culminé à environ 2,50 $ le litre.
Ian Jack, vice-président des affaires publiques de l’Association canadienne des automobilistes, a déclaré que toute destruction de la demande qui se produit à ce stade est probablement mineure. Il a souligné que pour de nombreux Canadiens, en particulier dans les petites villes et les régions rurales, la voiture est le seul moyen de se rendre au travail.
«Les gens qui conduisent, dans l’ensemble, ne peuvent pas simplement arrêter de conduire», a-t-il souligné.
Alors qu’un petit nombre de Canadiens pourraient modifier leurs plans de vacances d’été en raison des prix élevés de l’essence, M. Jack croit que plusieurs hésiteront à le faire après avoir passé les deux derniers étés à rester à la maison à cause de la COVID-19.
«Le kérosène et les tarifs aériens ont également augmenté. Cela signifie que si vous envisagez de prendre des vacances d’été, je ne sais pas si décider de ne pas conduire et de prendre l’avion à la place vous fera économiser de l’argent», a-t-il noté.
Vijay Muralidharan, directeur général de R CUBE Economic Consulting à Calgary, est toutefois moins convaincu que les prix élevés actuels pourront être soutenus par les consommateurs pendant longtemps. En fait, il pense qu’une destruction importante de la demande est déjà en cours.
«Selon mon analyse, lorsque le prix moyen dépasse 1,80 $ et y reste pendant un certain temps, il y a destruction de la demande. Donc, cela se produit déjà au Canada», a-t-il déclaré.
La raison pour laquelle les prix à la pompe dans ce pays ne reflètent pas encore une réduction de la demande est que la demande des conducteurs américains est toujours aussi élevée, a déclaré M. Muralidharan. Étant donné que les raffineurs de carburant nord-américains ont la possibilité de vendre sur les marchés canadien ou américain, tant que la demande demeurera élevée au sud de la frontière, les prix du carburant dans ce pays resteront élevés.
En fait, la performance de l’économie américaine est le «plus grand baromètre» auquel il faut prêter attention lorsque l’on surveille les premiers signes de destruction de la demande de prix de l’essence, a indiqué M. Muralidharan.
Jusqu’à présent, a-t-il dit, les revenus disponibles réels aux États-Unis sont restés élevés, mais l’inflation et les récentes hausses des taux d’intérêt par la Réserve fédérale font qu’il est probable que le pouvoir d’achat des consommateurs dans ce pays soit sur le point de plonger.
«Les revenus réels n’augmentent pas aussi vite que l’inflation, (par conséquent) vous verrez une sorte de recul de la demande», a-t-il déclaré. «Ma prédiction est que d’ici fin juillet, début août, nous verrons une sorte de répit sur les prix (de l’essence).»