Propos farfelus et insultants sur la gestion de l’offre
Le courrier des lecteurs|Publié le 04 novembre 2024Martin Caron (Photo: courtoisie)
Un texte de Martin Caron, président général de l’Union des producteurs agricoles
COURRIER DES LECTEURS. Manifestement inspiré par la flambée d’hyperboles électorales chez nos voisins du Sud, l’ex-ministre libéral John Manley a récemment déclaré que le «lobby agricole pour protéger la gestion de l’offre» était le «groupe de pression le plus efficace au Canada», semblable à la National Rifle Association of America, le lobby en faveur de la possession et du port d’armes aux États-Unis.
Alors qu’il témoignait au comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international, ce dernier a indiqué que la gestion de l’offre nuisait aux négociations commerciales, que le Canada devrait éventuellement s’en défaire et que le Sénat ne devrait donc pas adopter le projet de loi C-282. «Oui, nous pourrions devenir la Corée du Nord si nous le voulions, mais je crois que nous sommes confrontés à la réalité», a-t-il aussi mentionné, en référence aux intérêts commerciaux du Canada.
Les propos farfelus et insultants de l’ex-ministre et ancien président du Conseil canadien des affaires n’ont aucune incidence sur les faits. D’une part, la gestion de l’offre n’a jamais empêché la conclusion d’accords commerciaux, comme en témoignent les 15 traités signés par le Canada avec 49 pays (dont 12 sans aucune concession sur la gestion de l’offre). D’ailleurs, le Canada a exporté pour près de 99,1G$ de produits agricoles et alimentaires dans plus de 200 pays en 2023, se classant au huitième rang des plus grands exportateurs de produits agroalimentaires et de produits de la mer au monde.
D’autre part, rappelons que le Canada a concédé près de 8,4% de sa production et de sa transformation laitière dans les trois derniers accords de libre-échange (l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste et l’Accord Canada-États-Unis-Mexique), entraînant plusieurs milliards de dollars en pertes récurrentes et permanentes pour l’industrie. Les secteurs de la volaille et des œufs ont également subi des pertes considérables. Les compensations fédérales, dans les trois secteurs, n’ont jamais comblé ce recul historique.
Ces pertes récurrentes et à perpétuité, tout comme le premier examen conjoint de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique en 2026, militent très fortement en faveur du projet de loi C-282, qui modifie la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement pour faire en sorte que le ministre ne pourra plus, au nom du gouvernement canadien, signer des accords qui mettent en péril le système de gestion de l’offre, soit en augmentant les contingents tarifaires ou en diminuant les tarifs.
Les secteurs laitiers et avicoles sont névralgiques pour l’économie du Québec et du Canada et le maintien intégral de la gestion de l’offre est fondamental pour ces productions. Ces dernières ont déjà été durement touchées par les concessions octroyées dans les récents accords commerciaux. La gestion de l’offre au Canada génère 339 000 emplois et contribue à la hauteur de 30,1G$ au PIB du pays. Au Québec, les quelque 6 500 fermes familiales des productions sous gestion de l’offre génèrent 116 000 emplois et sont à la source de 8,7G$ en contributions au PIB et de 2,1G$ en retombées fiscales. Elles jouent un rôle déterminant dans l’occupation du territoire de nos régions, tout en contribuant fortement à la sécurité alimentaire des Canadiennes et Canadiens.
Quoiqu’en pense John Manley, le Canada peut très bien, comme tous les autres pays sur la planète, s’ouvrir à la mondialisation des échanges en défendant ses marchés les plus sensibles (comme, à titre d’exemple, le sucre et le coton aux États-Unis ou le riz au Japon). Il n’y a pas de contradiction entre les deux. Et rien n’est plus sensible, plus important, qu’alimenter durablement nos concitoyens et faire vivre nos collectivités, partout au Canada.