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Quand moins bonne santé signifie moins de chance d’aller voter

La Presse Canadienne|Publié le 30 septembre 2022

Quand moins bonne santé signifie moins de chance d’aller voter

Voilà quelques conclusions provenant d’une étude des chercheurs de la Chaire de leadership en enseignement des sciences sociales numériques de l’Université Laval, qui ont créé l’application Datagotchi. (Photo: La Presse Canadienne)

Être en moins bonne santé, ça veut aussi dire avoir moins de chances d’aller voter. Du moins, c’est ce qu’ont découvert les créateurs de l’application Datagotchi.

À l’aide d’un sondage conjuguant habitudes de vie et comportements politiques, les chercheurs ont dégagé quatre profils types d’électeurs qui partagent plusieurs caractéristiques communes.

La majorité des répondants (65%) ressemblent à Robert. Sans être un gourou du sport, il fait quand même plusieurs activités physiques d’intensité modérée par semaine, comme de la marche rapide ou des promenades en vélo. Côté bien-être mental, Robert a le meilleur profil de tous: il ne ressent presque jamais de signes d’anxiété ou de dépression.

À (re)lire: Et si on pouvait prédire votre vote d’après vos habitudes de vie?

Il est aussi celui qui a le plus de chances d’aller voter, soit 88%.

Mais tous n’ont pas la bonne fortune de Robert: Laurie, elle, est aux prises avec des enjeux de santé mentale. Plusieurs fois par semaine, elle ressent «un manque d’intérêt à faire les choses», une perte de contrôle sur ses inquiétudes, de l’anxiété ou de la dépression. Ce sont 15% des répondants qui lui ressemblent, ceux-ci étant surtout jeunes, célibataires et vivant dans un milieu rural.

Laurie ne fait que peu d’activité physique, mais ce n’est pas faute de volonté, comme elle «fait quand même pas mal d’efforts en matière de santé mentale», remarque le professeur en relations industrielles à l’Université Laval et cocréateur du Datagotchi, Simon Coulombe.

La route vers la boîte de scrutin reste toutefois plus difficile pour Laurie que pour les autres profils, et elle n’a au final que 75% de probabilité de s’y rendre, soit beaucoup moins que Robert. (Si ces chiffres peuvent sembler hauts quand on les compare aux taux réels de participation des élections passées, c’est parce que ce ne sont pas tous les gens qui disent avoir l’intention de voter qui finissent réellement par le faire.)

D’après le professeur Coulombe, plusieurs hypothèses pourraient expliquer cette différence. Souvent, «le tissu social autour de la personne qui vit des problèmes de santé s’effrite», rappelle-t-il, comme «la maladie épuise notre réseau social». L’isolement, qui est un risque accru pour les personnes en situation de détresse, est après tout un facteur de désengagement politique et «certaines personnes qui vivent des difficultés de santé mentale peuvent aussi se sentir aliénées dans la société», ajoute-t-il.

Le fait qu’une moins bonne santé indique une moins grande tendance à aller voter était un résultat que le Pr Coulombe n’avait «pas nécessairement prédit ou vu venir», mais le directeur du Centre de recherche en santé durable VITAM, le Dr Jean-Pierre Després, se dit de son côté «peu surpris que ces gens votent moins». «Ce sont ces voix-là qui ne s’expriment pas (…), pense-t-il, car elles ne se sentent pas écoutées». 

Il ajoute qu’alors que la maladie elle-même crée des difficultés, celles-ci sont souvent empirées par la «stigmatisation». 

 

Choisir son parti en fonction de sa santé

L’état de santé peut aussi donner des indices sur notre parti préféré. En effet, bien que Laurie n’ait pas de préférence marquée, les Québécois qui ressemblent à Robert penchent davantage vers la Coalition Avenir Québec.

Mais si, au contraire, ils ont des habitudes de santé plus près du profil nommé «Roxanne», ils risquent plus de soutenir les conservateurs ou les péquistes. Roxanne, qui représente 13% des répondants, est décrite comme «hédoniste». Ce n’est pas elle qui fait le plus attention à sa santé physique et elle ne se prive pas de plaisirs coupables: elle a la consommation d’alcool la plus élevée (plusieurs fois par semaine en moyenne) et fume la cigarette. Elle fait à peu près autant d’exercice que Robert, soit quelques activités à intensité modérée par semaine.

Mais elle se distingue par le souci de son bien-être psychologique, en faisant preuve de compassion envers elle-même, notamment en se rappelant régulièrement que l’erreur est humaine et que ses efforts comptent pour quelque chose. L’autocompassion «est un facteur protecteur en santé mentale», rappelle le professeur Coulombe.

Le dernier profil, surnommé Sébastien, regroupe le 9% de Québécois qui se lancent à fond dans la quête du bien-être. Sébastien ne fume pas, boit peu d’alcool (pas plus d’une fois par semaine) et évite la viande et les aliments transformés. Il est aussi celui qui bouge le plus: il s’adonne volontiers à des activités qui dépensent beaucoup d’énergie comme le jogging ou les sports d’équipe. 

Il peut éprouver quelques difficultés en santé mentale, mais cela reste dans la moyenne. Il va ainsi mieux que Laurie, moins bien que Robert, et se situe à peu près au même niveau que Roxanne.

Il tend à voter pour Québec solidaire.

 

Prévenir plutôt que guérir

Avec quatre grands profils, quatre manières d’aborder le bien-être et quatre états de santé, cet échantillon n’est que la pointe de l’iceberg concernant les différences d’une personne à l’autre.

Voilà pourquoi les créateurs du Datagotchi travaillent à exporter leur modèle dans un contexte de santé.

Pour l’instant, «nous prenons les habitudes de vie pour prédire l’intention de vote», explique le professeur Coulombe, mais il serait aussi possible de «donner à la personne une prédiction de sa trajectoire de bien-être, de santé mentale» en la comparant à d’autres qui ont des profils semblables.

Au lieu de se faire donner des directives strictes qui ne prennent pas en compte leurs situations personnelles, les gens pourraient ainsi tester quels changements auraient quels impacts, prendre des «suggestions de santé» et revenir plus tard pour noter si celles-ci les ont aidés ou non, dans le but d’améliorer l’algorithme.

C’est un projet que le Dr Després voit d’un très bon œil, comme «nos comportements sont presque aussi importants que notre biologie en matière d’évaluation de santé (…) et dans le dossier maladie, on n’a pas cette information-là».

«Moi, j’en ai ras le bol du discours moralisateur des saines habitudes de vie», lance-t-il, défendant plutôt une approche communautaire qui irait «interagir de manière non condescendante avec les citoyens».

Il enjoint aussi les autorités à miser sur ce genre d’initiatives de prévention, au lieu de seulement traiter les problèmes une fois qu’ils se sont déclarés. «Ce n’est pas un système de santé, c’est un système de gestion de la maladie», déclare-t-il.

Évidemment, même avec toute la prévention du monde «il y a une série de variables démographiques sur lesquelles on n’a pas le contrôle», comme son origine ethnique ou son genre, note le professeur Coulombe. Mais permettre à la population de voir comment ces choses incontrôlables peuvent affecter des prédictions de santé, «nous voyons ça comme un appel à l’empathie» qui ouvre la porte à une prise de conscience des inégalités sociales, soutient-il.

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Les données ont été tirées d’un sondage Léger commandé par la Chaire de leadership en éducation des sciences sociales numériques en juillet 2022. Ce sont 1500 personnes qui ont répondu au questionnaire.