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Québec n’a récupéré que le tiers des amendes imposées lors de la pandémie

La Presse Canadienne|Mis à jour il y a 12 minutes

Québec n’a récupéré que le tiers des amendes imposées lors de la pandémie

La grande majorité de ces contraventions ont été distribuées avant la fin de 2022. (Photo: Graham Hughes / La Presse Canadienne)

Plus de deux ans après que Québec eut levé la plupart de ses mesures de santé publique liées à la COVID-19, la province n’a récupéré qu’un peu plus du tiers des 68 millions de dollars (M$) qu’elle a imposés en amendes liées à la pandémie. 

Le Québec a appliqué certaines des mesures de santé publique les plus strictes au pays pendant la pandémie et a été la seule province à imposer un couvre-feu à ses résidants. Depuis le début de la pandémie de COVID-19 en 2020, les autorités ont imposé près de 44 000 contraventions pour violation de la loi provinciale sur la santé publique, notamment pour rassemblement illégal, non-port de masque et non-respect du couvre-feu. 

La grande majorité de ces contraventions ont été distribuées avant la fin de 2022 — la plupart des restrictions liées à la COVID-19 ont été levées au printemps de la même année. 

Cependant, deux ans plus tard, le gouvernement tente toujours de récupérer les sommes des amendes. En date du 30 juin, le gouvernement avait récupéré 25,2M$, soit environ 37% du total. Le montant moyen dû par contravention est d’environ 1500$.

Cathy Chenard, porte-parole du ministère de la Justice du Québec, affirme que seulement 17% des contrevenants ont plaidé coupable ou payé leur amende sans déposer de plaidoyer. Par ailleurs, 41% ont tout simplement ignoré les contraventions et risquent d’être condamnés à payer par défaut. Finalement, 42% ont plaidé non coupable, et certains de ces dossiers sont toujours en cours de traitement par le système judiciaire.  

Caroline Veillette-Jackson, avocate de l’aide juridique de Rouyn-Noranda, croit que plusieurs personnes qui ont reçu des amendes étaient motivées à les contester parce qu’elles remettaient en question la légalité des mesures de santé publique. 

«Le niveau de contestation est probablement lié au fait que c’est une loi spéciale, temporaire, qui restreignait énormément la liberté des gens», a-t-elle expliqué.

Peu de chances de succès

Le gouvernement ne s’attend pas à percevoir la totalité des 67,7M$ d’amendes qu’il a imposés. Certaines contraventions pourraient être retirées et certains contrevenants acquittés, a indiqué Cathy Chenard dans un courriel, tandis que d’autres dossiers n’ont pas encore été tranchés.

Mais les chances sont contre quiconque décide de contester sa contravention. Cathy Chenard a déclaré que le taux de condamnation des causes devant les tribunaux est d’environ 95%. Quoi qu’il en soit, de nombreuses personnes ont choisi de se battre, voire de faire appel de leur condamnation, ce qui signifie que certains dossiers peuvent s’éterniser pendant des années.

L’une des clientes de Caroline Veillette-Jackson, Sandra Plante, a été parmi les rares à avoir été acquittée plus tôt cette année. Cette dernière a été condamnée à une amende en avril 2021 pour avoir organisé un rassemblement illégal de six adultes. Elle n’a pas nié avoir enfreint les règles, mais un juge lui a donné raison parce que la police avait violé ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés en pénétrant dans sa propriété sans aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction avait été commise.

Bien qu’il ait laissé Sandra Plante s’en tirer, le juge a quand même utilisé des termes sévères quant à sa décision d’organiser une fête en pleine pandémie, parlant d’un comportement «purement égoïste» et «clairement moralement répréhensible».

Selon son avocate, le dossier a tout de même prouvé un point intéressant, même si sa cliente a bafoué les règles. 

«Ce n’est pas parce qu’il y avait des mesures sanitaires que ça leur donnait plus de pouvoir de rentrer sur le terrain ou dans les maisons des gens», a-t-elle expliqué.

Mais ce cas était inhabituel. Dylan Jones, un avocat criminaliste de Montréal, a déclaré que de nombreuses personnes condamnées à une amende ne veulent pas embaucher d’avocats et engager des frais supplémentaires. Au lieu de cela, ils se représentent eux-mêmes devant les tribunaux — généralement sans succès.

Lui et Caroline Veillette-Jackson ont tous deux déclaré qu’ils pensaient que la vague de cas impliquant des amendes liées à la COVID avait atteint son apogée. «Maintenant, il s’agit de récupérer les amendes ou de terminer le dernier lot de dossiers», a indiqué Dylan Jones.

Ni le ministère de la Justice ni le Directeur des poursuites pénales et criminelles n’ont fourni le nombre de cas de personnes luttant contre des contraventions liées à la pandémie qui sont toujours devant les tribunaux.

Approche punitive au Québec

Le Québec a adopté une approche punitive quant à l’application des mesures de santé publique au début de la pandémie. Un rapport de l’Association canadienne des libertés civiles révèle qu’en juin 2020, le Québec avait infligé 77% des amendes émises à travers le Canada jusqu’à cette date.

En février dernier, une juge québécoise a confirmé la légalité des couvre-feux imposés par la province en période de pandémie, probablement la mesure de santé publique la plus controversée du gouvernement. La juge Marie-France Beaulieu a estimé que les couvre-feux, imposés à deux reprises en 2021 et 2022, violaient effectivement les droits garantis par la Charte, mais que ces violations étaient justifiées compte tenu du contexte de santé publique.

Cette décision fait l’objet d’un appel. Olivier Séguin, avocat du Centre de justice pour les libertés constitutionnelles qui représente le défendeur dans cette affaire, a déclaré que les responsables de la santé publique ont admis que le but du couvre-feu était en partie d’envoyer un message sur l’importance de suivre les règles.

Cet objectif dépasse les limites de la loi provinciale sur la santé publique, selon Olivier Séguin.

Si la Cour supérieure du Québec annule la décision du tribunal inférieur, a soutenu Olivier Séguin, le gouvernement devrait rembourser toutes les amendes que les gens ont payées pour avoir enfreint le couvre-feu.

Par Maura Forrest