(Photo: 123RF)
FINANCES PERSONNELLES. Qui ne rêve pas de gagner à la loterie, d’hériter d’une grande tante richissime ou encore de faire un mégaprofit lors de la vente de sa maison ? Seriez-vous toutefois capable de gérer efficacement cette entrée d’argent soudaine, si ça vous arrivait ?
À la fin de l’été, Martin G. (nom fictif à sa demande) a vendu son duplex qu’il possédait depuis une dizaine d’années dans une banlieue nord de Montréal. Il en a obtenu près d’un demi-million de dollars. En plus de lui permettre de renflouer la dette hypothécaire de l’immeuble, la vente s’est soldée par un profit de près de 200 000$. Un bonus qui n’était pas du tout prévu au budget 2021 de la famille.
«Wouah ! Que faire avec tout cet argent ?», s’est questionné Martin, dans la mi-trentaine. Il avoue que son coeur battait fort. «Autant j’avais plein d’idées en tête, autant je savais que je devais respirer par le nez et garder les deux pieds sur terre», confie-t-il. C’est pourquoi il a demandé conseil à son institution financière ainsi qu’à son père. Surtout, il a pris un mois de réflexion avant de faire quoi que ce soit avec son pactole.
Prendre conscience du montant
Prendre son temps. C’est ce que suggère constamment Daniel Laverdière, directeur principal du Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859, à ses clients qui vivent la même situation que Martin. «Qu’importe le montant surprise, la plupart des gens commettent l’erreur de ne pas prendre suffisamment de temps afin de visualiser ce que représente réellement cette somme d’argent inattendue au sein de leur quotidien. Plusieurs se font prendre par le senti- ment de richesse», soutient cet expert qui compte plus de 30 ans d’expérience dans le domaine.
Combien de fois cet actuaire de formation a-t-il vu des gens souhaiter dire «bye-bye boss» ou encore vouloir s’offrir un château ou d’autres folies dépensières inimaginables à la suite d’un gain majeur ? Il a cessé de compter.
Chaque fois, le planificateur raconte à ces derniers l’histoire du million de dollars. «Sur le coup, cette somme paraît énorme. Pourtant, je les incite à faire le calcul. S’ils reçoivent ou gagnent cette somme à l’âge de 50 ans, il leur reste, selon une espérance de vie de 90 ans, au moins 40 ans à vivre. En divisant ce million par 40, ils obtiennent un montant de 25 000 $par année, indexé. Bref, je leur pose ensuite la question. Cette somme est-elle suffisante pour renoncer à leur emploi ? J’ai rarement vu ma clientèle me répondre “oui”», expose Daniel Laverdière.
Les amis et membres de la famille
Donne-t-on une partie de l’argent à sa famille, à ses enfants ou à ses amis ? Nathalie (nom fictif) a voulu être généreuse après avoir remporté le gros lot à la 6/49 il y a une quinzaine d’années. Elle a offert à chacun de ses frères et soeurs, sans oublier ses parents, un montant dans les cinq chiffres. Près d’un quart de millions en cadeau pour sa fratrie. Malgré tout, certains membres ont jugé que ce n’était pas suffisant, dit-elle.
Des demandes auxquelles la gagnante a cependant refusé de donner suite. Ce qui a malheureusement généré des frictions dans son entourage.
«La décision de donner ou non une partie de ses gains revient à chaque individu», soulève Catherine Laurin, gestionnaire de portefeuille principale chez BMO Nesbitt Burns. Accréditée à titre de spécialiste en gestion du patrimoine, cette experte financière n’a pas de solution miracle pour gérer ces situations. N’empêche qu’elle recommande, elle aussi, de laisser passer le temps… et surtout de laisser s’estomper l’euphorie du moment avant de donner des enveloppes.
«Miser sur la carte de la discrétion constitue également un solide allié dans ce genre de situation», avise-t-elle. Autrement dit, communiquer sa joie sur les réseaux sociaux n’est sans doute pas la meilleure idée qui soit.
Résister aux tentations
Comment expliquer que plusieurs d’entre nous adoptent un comportement dépensier lorsqu’un montant d’argent nous tombe du ciel? Que l’argent soudainement acquis nous brûle les doigts ? «Ce comportement s’explique généralement par trois facteurs», avance Sabine Kröger, professeure titulaire au Département d’économie de l’Université Laval. Directrice fondatrice du Laboratoire d’économie expérimentale de l’établissement, cette experte s’intéresse depuis plus de dix ans à la finance comportementale.
La première cause relève de ce qu’on appelle dans le jargon financier, le house money effect. Cette expression anglophone, qui s’inspire du milieu des casinos, provient des recherches de deux professeurs de l’État de New York, Richard H. Thaler et Eric J. Johnson qui, dans les années 1990, se sont intéressés aux comportements des adeptes de jeux de hasard. Ils ont observé que le joueur qui gagne réutilise systématiquement ses gains pour continuer de jouer et pour prendre de plus grands risques.
«En fait, ce concept de finance comportementale soutient que les gens risquent plus avec des gains inattendus qu’ils ne le feraient autrement. Les gens ont l’impression qu’un montant d’argent gagné soudainement, tels un gain boursier majeur, des profits supplémentaires non attendus à la suite de la vente d’un bien ou une somme reçue d’un héritage, ne leur appartient pas, mais qu’ils peuvent le consommer», soulève la professeure Kröger.
Gérer sa consommation
Le deuxième facteur repose sur la gestion d’un point de référence de consommation qui nous vient de la théorie de perspective des psychologues Amos Tversky et Daniel Kahnemann.
«Nous dépensons notre argent en fonction de ce que l’on gagne. Les gens qui voient leurs revenus prendre du volume, ne serait-ce qu’une augmentation de salaire, ont souvent le réflexe de vouloir dépenser davantage. Un comportement qui n’est pas malsain en soi», énonce Sabine Kröger. Sauf que cette situation implique une certaine illusion qui incite une personne à modifier ses points de référence quant à sa consommation. «Et parce qu’il est plus facile d’augmenter sa consommation individuelle que de la réduire, lorsque des pépins se pointent à l’horizon, cette personne pourrait éprouver des difficultés à les surmonter.»
Elle cite en exemple, celui ou celle qui décide de s’acheter un bateau à la suite d’un gain de 50 000 $. «Ce bateau nécessite de l’essence, un entretien annuel, des frais d’entreposage qui ne figurent pas nécessairement dans les points de référence de consommation de son nouveau propriétaire», image-t-elle.
Impatience et myopie
Et le troisième facteur ? «L’impatience et la myopie des gens les amènent à une tendance à surévaluer l’importance de leurs besoins d’aujourd’hui… et non ceux de demain», soutient Sabine Kröger. «Du coup, ajoute-t-elle, nous exagérons les sacrifices liés à l’épargne. Il devient difficile de se priver d’un bien, d’un voyage qu’on peut aisément s’offrir avec la somme d’argent surprise au lieu de payer l’hypothèque de la maison ou d’épargner pour la retraite.» Autrement dit, à quoi bon penser à nos vieux jours qui paraissent tellement lointains quand on peut jouir immédiatement de l’argent qui nous tombe dans les mains?
La décision de Martin G.
Quoi qu’il en soit, Martin G., lui, a pour le moment évité ces trois pièges comportementaux. «J’ai suivi les recommandations de mon paternel. J’ai remboursé la dette hypothécaire de ma maison et j’ai placé le reste de l’argent dans mon CELI, incluant la partie du gain du capital que je devrai verser à l’impôt lors de ma prochaine déclaration», indique ce jeune trentenaire qui se retrouve sans dette à l’âge de 35 ans. Un exploit.
Il a même ouvert un compte qui lui permet de s’initier à son rythme aux placements boursiers. «Certes, je ne dis pas non à d’éventuels voyages en famille et à des travaux pour rénover la cuisine. Mais je ne veux rien faire d’extravagant. En fait, conclut-il, jusqu’à présent, je m’en tiens aux mêmes dépenses que me permet mon salaire normal, et ma famille ne s’en porte pas plus mal.»