Le rapport Doing Business est vital pour l'investissement mondial. (Photo: AJ Colores pour Unsplash)
CHRONIQUE. Tous les ans, la Banque mondiale publie un rapport d’une importance considérable, Doing Business, qui classe les pays du monde entier en fonction de la facilité d’y faire des affaires. Ce rapport a une influence telle que des milliards de dollars sont en jeu, nombre d’investisseurs et d’entrepreneurs des pays développés en faisant leur «Bible» pour effectuer les meilleurs investissements possibles. Or, la Banque mondiale vient de reconnaître, dans un communiqué laconique, que ses données sont manipulées!
«Un certain nombre d’irrégularités ont été signalées concernant des données modifiées, indique la porte-parole Nicole Frost. Celles-ci concernent les rapports de 2018 et de 2020.»
Que s’est-il passé? La Banque mondiale ne l’indique pas clairement, mais il semble que la Chine, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et l’Azerbaïdjan aient falsifié des données à leur sujet, histoire d’améliorer leur classement dans le rapport Doing Business, et donc leur attractivité auprès des investisseurs et des entrepreneurs du monde entier. Dans le rapport de 2020, la Chine était passée de la 78e à la 31e place; les Émirats arabes unis, de la 21e à la 16e place; l’Arabie saoudite, de la 92e à la 62e place; et l’Azerbaïdjan, de la 57e à la 34e place.
La Banque mondiale s’appuie sur une dizaine de critères pour établir son palmarès mondial comme la rapidité avec laquelle on peut créer une entreprise, la facilité d’accéder au crédit, ou encore le taux d’imposition. «Dans les faits, l’accent est surtout mis sur la dérégulation, explique dans un billet de blogue Isolda Agazzi, la responsable du bureau romand d’Alliance Sud, une coalition d’organisations non gouvernementales (ONG) suisses dédiées au développement socioéconomique. Pour espérer améliorer leur classement et attirer les investisseurs étrangers, les pays en voie de développement se lancent dans une course vers le bas, en réduisant notamment la protection sociale des travailleurs et le niveau de taxation des multinationales. Moins un pays accorde de sécurité sociale à ses travailleurs, mieux il est classé.»
Et d’ajouter: «Paul Romer, l’ex-économiste en chef de la Banque mondiale, a d’ailleurs reconnu que le Chili avait été rétrogradé pour avoir élu une présidente socialiste, Michelle Bachelet.»
Pour Mme Agazzi, une décision s’impose: «En raison du scandale qui vient d’éclater, il faut envisager la suspension pure et simple de Doing Business. Car il y a là tromperie d’États autoritaires».
La Banque mondiale prend l’affaire très au sérieux. Dans son communiqué, elle indique que la publication du prochain rapport – prévue pour octobre 2020 – est «suspendue» jusqu’à nouvel ordre, le temps de procéder à «un examen et une évaluation des falsifications de données (survenues) dans les cinq derniers rapports Doing Business»; au besoin, ces derniers seront «corrigés retrospectivement». «Nous avons également demandé un audit indépendant concernant le processus de collecte et de vérification des données fournies par les pays les plus touchés par les irrégularités», souligne Mme Frost.
Et le Canada, dans tout ça? Il n’est pas directement concerné par la tricherie, mais il en pâtit visiblement: il ne figure qu’à la 23e place du palmarès de 2020, tout juste devant l’Irlande et le Kazakhstan. Ce qui, on s’entend, n’est pas glorieux…
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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