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Sommes-nous dans une super-bulle?

Morningstar|Publié le 08 février 2022

Sommes-nous dans une super-bulle?

Une super-bulle voit les prix s’écarter jusqu’à trois fois la tendance. (Photo: 123RF)

En 1971, l’investisseur Jeremy Grantham a participé à la création de l’un des premiers fonds indiciels, puis a prédit avec justesse les chutes boursières de 2000, 2007 et 2018. En 2022, il vient de publier une note d’opinion intitulée Let the Wild Rumpus Begin, dans laquelle il déclare: «Aujourd’hui, aux États-Unis, nous sommes dans la quatrième super-bulle des cent dernières années. Les précédentes super-bulles boursières présentaient une série de caractéristiques distinctes qui, individuellement, sont rares et, collectivement, sont uniques à ces événements. Dans chaque cas, ces caractéristiques communes se sont déjà produites dans le cycle actuel. La liste des étapes typiques d’une super-bulle est maintenant complète et l’agitation désordonnée peut commencer à tout moment.»

Il ajoute que trois classes d’actifs sont en état de super-bulle: les actions, les obligations et le logement. Une quatrième super-bulle est en train de se former dans les matières premières. Toutes sont prêtes à éclater à tout moment, deux d’entre elles donnant des signes d’avoir déjà commencé: les actions et les obligations. L’année dernière, les actions n’étaient «que» dans un état de bulle, mais elles ont depuis été gonflées à la taille d’une super-bulle.

Jeremy Grantham ne calcule pas une bulle en termes de multiples ou de valorisation, mais plutôt en référence à la tendance à long terme de chaque classe d’actifs. Une super-bulle voit les prix s’écarter jusqu’à trois fois la tendance. Lorsqu’elle éclate, les prix reviennent inévitablement à la tendance. Dans le cas des actions, la bulle «commence à se dégonfler à partir de l’extrémité la plus risquée du marché, comme elle le fait depuis février dernier». M. Grantham voit la valeur tendancielle du S&P à environ 2 500 (contre 4 700 au moment de publier sa note).

«Ce qui est nouveau cette fois, écrit Grantham, et qui n’est comparable qu’au Japon des années 1980, c’est l’extraordinaire danger d’additionner plusieurs bulles, comme nous le voyons aujourd’hui avec trois grandes classes d’actifs et demie qui bouillonnent simultanément pour la première fois dans l’histoire. Lorsque le pessimisme reviendra sur les marchés, nous serons confrontés à la plus grande réduction potentielle de richesse perçue de l’histoire des États-Unis (c’est Jeremy  Grantham qui souligne).» Ces chutes devraient se situer dans une fourchette sans précédent de 50% dans les trois domaines des actions, des obligations et du logement.

M. Grantham n’affirme pas que l’effondrement d’une classe d’actifs se propagera inévitablement aux autres classes d’actifs, bien que cela puisse arriver, comme ce fut le cas en 2008. Les super-bulles actuelles sont le «résultat direct du régime post-Volcker des patrons de la Fed», qui ont non seulement permis ces événements, mais les ont aussi «encouragés et facilités» avec ce que les marchés ont fini par appeler le «Fed put».

 

Arrêt à froid

Ce «Fed put» s’est présenté sous deux formes, indique Anil Passi, directeur, obligations d’entreprises mondiales, chez DBRS Morningstar: l’impression systématique d’argent par le biais de l’assouplissement quantitatif, et la relance budgétaire par les gouvernements. «Ces deux moteurs s’estompent rapidement, dit Anil Passi. On peut en débattre longtemps: s’agit-il simplement d’une correction? S’agira-t-il d’un krach? Quelle sera l’ampleur de la correction? Deux choses sont sûres actuellement: il y a une rotation vers la valeur et peu de gens pensent encore que les marchés vont poursuivre leur lancée vers les étoiles.»

Quant à prédire un krach obligataire, Anil Passi n’est pas prêt à en parler, bien qu’il soit évident «qu’une ère de marché baissier commence». Il donne l’exemple d’une obligation à 30 ans qui rapporte 2% et qui passe à un rendement de 3%. «C’est une augmentation de 50%, commente-t-il. Sur un horizon de 30 ans, un tel changement dans le taux d’actualisation fait une différence massive dans la valeur de cette obligation.»

Comme Anil Passi, d’autres commentateurs reconnaissent dans une certaine mesure la situation décrite par Jeremy Grantham, mais ils ne tirent pas des conclusions aussi pessimistes que lui. «Si vous prenez cela comme un marché baissier typique, non-associé à une récession, cela va entraîner une baisse d’environ 20%, peut-être un peu plus», a récemment déclaré à CNBC Ed Clissold, stratège en chef du marché américain chez Ned Davis Research.

Les fondamentaux restent stables

«Je suis d’accord avec Jeremy Grantham pour dire qu’au cours des 12 derniers mois, les marchés sont allés trop loin, mais s’agit-il d’une correction de prix ou de quelque chose de plus néfaste?» demande Craig Basinger, stratège en chef des marchés chez Purpose Investments. Il rappelle aux investisseurs que derrière toute cette agitation et cette angoisse, «l’économie est en bonne santé, il n’y a pas de faillites et les bénéfices sont toujours excellents. Y a-t-il un problème fondamental plus important ? Je ne suis pas sûr que nous puissions l’affirmer».

Sur le front de l’immobilier, Josh Varghese, associé fondateur d’Axia Real Assets, n’est pas déstabilisé par les affirmations de Grantham. «Dans l’immobilier commercial, dit-il, nous n’avons pas vu d’excès et les banques sont très rationnelles dans leurs prêts. Dans la technologie, les actions pourraient souffrir parce que les entreprises n’ont pas beaucoup de trésoreries, mais je considère encore que la vague technologique est structurellement là pour rester.»

Anthony Scilipoti, président du groupe de sociétés Veritas, ne s’attend pas à un krach boursier, mais il prévoit un «marché très volatil pour les spécialistes du choix d’actions, qui nécessitera de séparer le bon grain de l’ivraie». Il est prêt à faire une prédiction: «Je m’attends à ce que le Canada surpasse les États-Unis parce que nous sommes moins exposés aux technologies et aux soins de santé, et plus exposés à l’énergie et aux matières premières.»

Conclusion: nébuleuse

Personne ne sait si nous sommes dans un krach ou dans une correction. Au moment de la rédaction de cet article, les valeurs technologiques semblaient être en mode de reprise. Attention, prévient Andrew Slimmon, gestionnaire de portefeuille principal chez Morgan Stanley Investment Management. Acheter au creux de la vague, comme le font systématiquement les négociateurs boursiers depuis quelques années, peut s’avérer risqué. «Une fois que la fièvre est retombée, les séquelles durent longtemps», dit-il.