Les personnes qui travaillent à domicile, même une partie du temps, sont beaucoup plus susceptibles d’envisager de travailler alors qu’elles sont malades que celles qui travaillent au bureau. (Photo: La Presse Canadienne)
Alors que de nombreux lieux de travail ont adopté des configurations hybrides dans la foulée de la pandémie, des experts en emploi estiment que les travailleurs devraient être prudents avant d’utiliser cette flexibilité supplémentaire pour travailler à domicile lorsqu’ils se sentent malades.
C’est une situation qui, selon certains observateurs des tendances du télétravail, pourrait devenir plus répandue à mesure que les entreprises rendent leurs dispositions sur le travail hybride de plus en plus permanentes.
«Il y a un léger retour à (…) un niveau de confort pour les gens qui veulent faire quelque chose même s’ils ne se sentent pas à 100%, mais ce n’est certainement pas le cas de tout le monde», a observé John Trougakos, professeur de comportement organisationnel et de gestion des ressources humaines à l’Université de Toronto.
Alors que les cas de COVID−19 grimpent au Canada en raison de l’arrivée de deux nouveaux variants — et à l’approche de la saison habituelle du rhume et de la grippe —, l’avocate en droit du travail Brittany Taylor a souligné qu’il était crucial que les employeurs et les employés prennent maintenant le temps de réfléchir à la manière de gérer les congés de maladie.
«Je m’attends à ce que ces questions soient davantage discutées à l’approche de l’automne», a estimé Mme Taylor, associée chez Rudner Law.
La popularité croissante des modalités de travail hybrides a été documentée tout au long de la dernière année. En mai, 41% des travailleurs canadiens effectuant du télétravail avaient des horaires hybrides, partageant leur temps entre le bureau et leur domicile, selon un rapport publié le mois dernier par Indeed Canada. En comparaison, ils étaient 25% dans cette situation un an plus tôt.
La société de recrutement Robert Half a constaté que les modalités de travail hybrides étaient favorisées par 54% des responsables du recrutement, contre 49% des professionnels interrogés. Cet alignement croissant pourrait signifier que la combinaison de travail au bureau et de télétravail est là pour de bon.
Stephen Harrington, responsable national de la stratégie en matière de main−d’œuvre chez Deloitte Canada, a souligné que même si de nombreuses organisations canadiennes avaient des plans sur la manière dont leurs employés peuvent travailler de manière flexible, il n’avait pas vu beaucoup de règles au sujet des congés de maladie.
«Les organisations en sont aux premiers jours en ce qui a trait à la détermination exacte du fonctionnement (de ce système) pour elles−mêmes et pour leur personnel», a indiqué M. Harrington.
Les personnes qui travaillent à domicile, même une partie du temps, sont beaucoup plus susceptibles d’envisager de travailler alors qu’elles sont malades que celles qui travaillent au bureau, a-t-il souligné.
Mais cela présente des risques pour le travailleur, qui pourrait aggraver sa maladie en ne se reposant pas correctement, a observé M. Harrington. C’est également un risque pour l’employeur, car il est prouvé que les gens ne sont pas aussi efficaces et sont plus enclins à commettre des erreurs lorsqu’ils travaillent tout en étant malades.
«Je pense qu’il y a peut−être des organisations qui sous−estiment les pressions sociales et culturelles lorsque les gens ont des échéances au travail, ou lorsqu’ils se sentent obligés», a précisé M. Harrington.
Clarifier les règles
Les employés dans des situations de travail hybride devraient demander de manière proactive à leurs supérieurs des précisions sur le niveau d’accommodement auquel ils doivent s’attendre en cas de maladie et de télétravail, a poursuivi Mme Taylor, en particulier lorsqu’il n’est pas pratique ou dangereux d’entrer au bureau.
Ils devraient, par exemple, vérifier s’ils sont autorisés à travailler à leur domicile lorsqu’ils sont malades une journée où ils devraient être au bureau, et si c’est le cas, si cela signifie qu’ils doivent se présenter au bureau une autre journée en remplacement.
«Est−ce que ce sera un scénario d’un pour un, ou est−ce que ce sera beaucoup plus flexible?» a-t-elle demandé.
«En fin de compte, à moins que le contrat de travail (d’un employé) ne lui donne le droit de travailler à domicile à sa discrétion, l’employeur a le droit de fixer les règles au sujet du lieu de travail, y compris les moments où le télétravail est autorisé. Donc, comprendre ces règles en tant qu’employé est la clé.»
M. Trougakos a estimé que les entreprises feraient bien d’adopter des modèles de travail hybrides moins «rigides» quant aux jours où le personnel doit se présenter au bureau.
«Si ce n’est pas un modèle bien pensé et qu’il est simplement mis à l’emporte−pièce en disant: “Eh bien, vous devez être là pendant ’x’ jours sans aucune flexibilité”, alors ils se heurteront à une certaine résistance de la part des employés», a-t-il estimé.
«Il y aura un problème lorsque les gens seront inévitablement touchés par la prochaine vague de COVID, de grippe, ou d’autres maladies qui apparaîtront.»
Sunira Chaudhri, fondatrice et associée de Workly Law, a noté que même si les lieux de travail avaient fait des efforts pour offrir des accommodements ces dernières années, l’équilibre des pouvoirs a commencé à revenir vers l’employeur. Certains employeurs utilisent même des logiciels pour surveiller la productivité de leurs employés lorsqu’ils travaillent à distance.
«Je pense que la flexibilité a un coût», a estimé Mme Chaudhri.
«Les employeurs ont tendance à ne plus se montrer aussi indulgents ou tolérants à l’égard des politiques de congés et de congés de maladie plus importantes avec les travailleurs à distance.»
Mme Chaudhri a ajouté qu’il était important que les employeurs fixent des limites claires quant à savoir s’ils autoriseront même les membres de leur personnel à travailler lorsqu’ils sont malades. Elle a exhorté les employés à respecter ces limites lorsqu’elles sont définies.
Proposer de travailler à domicile en cas de maladie peut brouiller les lignes, a estimé Mme Chaudhri.
«Aucun employé ne devrait travailler pendant qu’il est malade. Un jour de maladie devrait être un jour de maladie, et le fait de confirmer cela et d’être très clair (…) augmente en fait le moral. Cela augmente la communication et réduit les frictions potentielles.»
Sammy Hudes, La Presse Canadienne