Tout, tout, tout sur les dessous de la finance!
L'économie en version corsée|Publié le 02 Décembre 2019Largo Winch est un aventurier de la finance (Photo: courtoisie Dupuis)
CHRONIQUE. La finance. Oui, la finance. Qu’évoque pour vous ce terme? Quelquechose d’étrange? D’incompréhensible? D’inaccessible? Bref, une terra incognita dans laquelle seuls les aventuriers les mieux équipés – intellectuellement et technologiquement – peuvent se risquer?
Eh bien, si tel est le cas, permettez-moi de vous détromper. La finance est un univers qui vous est tout à fait accessible. C’est ce que j’ai saisi lors du dernier Salon du livre de Montréal, lorsque mon regard s’est posé sur une bande dessinée (BD) intitulée «Largo Winch – Introduction à la finance» (Dupuis, 2019) et signée par Olivier Bossard, directeur général du master Finance de HEC Paris. Un ouvrage pétillant d’intelligence…
Pour commencer, connaissez-vous Largo Winch? Il s’agit du héros de la BD éponyme, qui a hérité, jeune, d’un empire financier d’une dizaine de milliards de dollars, le Groupe W. Tractations, coups montés, fusions-acquisitions, magouilles et autres détournements de fonds sont les ingrédients de son quotidien dans l’univers «impitoyable» de la haute finance. Et c’est grâce à ses amis les plus chers qu’il parvient, chaque fois, à s’en sortir sans trop de casse.
La façon d’aborder ainsi la finance est si palpitante qu’Olivier Bossard a eu l’idée, un beau jour de 2004, de projeter en cours des images tirées de la BD pour expliquer certains concepts financiers à ses étudiants; d’un coup, la finance s’est mise à «parler» aux apprentis financiers. Une initiative payante aussi pour lui puisqu’il a fini par décrocher le prix Vernimmen du Meilleur professeur de HEC Paris.
En octobre 2017, Olivier Bossard a carrément eu une révélation : «Ça s’est produit en lisant la BD intitulée «L’Étoile du matin», basée sur le trading algorithmique, la haute fréquence, les super ordinateurs, dit-il. Une plongée vertigineuse de Largo dans la finance moderne. J’ai alors saisi qu’il fallait que Largo devienne mon meilleur allié pour démocratiser la finance, pour la rendre accessible à tous.»
Résultat? Cette «Introduction à la finance», dans laquelle le professeur de HEC Paris présente une série de fiches explicatives sur les concepts fondamentaux de la finance; vous saurez ainsi tout sur, par exemple, l’origine des marchés financiers (nés – tenez-vous bien – des marchés au riz japonais), les offres publiques d’achat (OPA) hostiles, ou encore le krach le plus rapide de l’Histoire, celui du 6 mai 2010. Et chaque fiche est illustrée d’extraits de la BD Largo Winch, lesquels fournissent des informations complémentaires aussi claires que nettes.
C’est bien simple, grâce à cette BD, la moindre nouvelle financière devient compréhensible pour chacun de nous. Comme par magie.
Bon, vous me connaissez, je ne résiste pas au plaisir de vous en apporter une illustration concrète. Prenons un cas qui paraît a priori complexe, et que vous allez saisir en un rien de temps : «La prédation du trading haute fréquence (THF)»…
L’extrait dessiné est on ne peut plus éloquent, en voici le dialogue:
– Chaque microseconde, des centaines de sociétés THF dans le monde se livrent à une guerre invisible, dit l’interlocuteur de Largo Winch. Leurs ordinateurs sont programmés pour s’intoxiquer, en envoyant des millions d’ordres d’achat pour les annuler dans la foulée. Et ce, uniquement dans le but d’influencer le marché.
– Quel intérêt ? demande Largo Winch.
– Le plus rapide empoche le pactole. Un exemple: votre ordinateur détecte un actif qui se vend 100$ à New York et s’achète 100,002$ à Chicago. Il acquiert 100.000 titres sur la première place pour les revendre à toute vitesse sur la seconde. Gain: 0,002$ l’unité, soit 200$.
– 200$ ? Mais, ce sont des miettes.
– Vraiment ? 200$ empochés en une micro-fraction de seconde! Multipliez ce genre d’opération à la seconde, à la minute… À la fin de la journée, même si ça ne marche pas à tous les coups, les gains se chiffrent en millions. Vos miettes se transforment en gros gâteau.
Vous voyez? À côté de cela se trouvent les explications du professeur de HEC Paris…
«Le trading à haute fréquence (THF) désigne un type spécifique de trading algorithmique, à très haute vitesse et au ratio très élevé d’ordres envoyés par rapport au nombre d’exécutions, note Olivier Bossard. Le THF donne lieu à plusieurs stratégies de prédation:
> Le front-running électronique
«Cette stratégie consiste à prendre de vitesse un ordre important passé par un client sur une place boursière, en achetant toutes les actions disponibles sur d’autres places pour les lui revendre ensuite avec un léger profit.»
> Le «sonar» à grande vitesse
«Ça revient à disposer de petits ordres (en général, une centaine de titres seulement) portant sur un large éventail d’actions, afin de débusquer très tôt des ordres de grande taille. (…) Une fois alerté d’un ordre d’achat important, le THF devance à toute vitesse cet ordre au détriment de l’acheteur, qui verra son ordre exécuté à un prix moins favorable.» (…)
«Le comportement prédateur des THF, qui prospèrent sur le dos des autres acteurs du marché, est fortement décrié. Les détracteurs du THF critiquent également la proportion exorbitante des ordres annulés (plus de 85% sur le marché américain!), qui introduit une incertitude sur la liquidité effective du marché, et peut être à l’origine de krachs éclair.»
Voilà. En quelques paragraphes, vous venez de découvrir ce que font, en douce, les algorithmes chargés de faire fructifier l’argent qui leur est confié. Et d’apprendre, j’imagine, que la quasi-totalité des ordres passés sur les marchés américains ne sont, en vérité, que des «pièges» que les algorithmes se tendent les uns aux autres dans l’optique de «transformer des miettes en gros gâteau».
Fascinant, n’est-ce pas? Si vous souhaitez, par conséquent, comprendre un peu mieux le monde dans lequel nous vivons – en particulier sa dimension financière -, n’hésitez plus, dévorez sans tarder l’ouvrage d’Olivier Bossard et de son acolyte Largo Winch.
En passant, le journaliste français Jean-François Kahn a dit dans son Dictionnaire incorrect : «Pourquoi dit-on communément «requin de la finance», et jamais «mérou» ou «saumon» de la finance? Demandez aux petits poissons et aux petits actionnaires.»
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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