(Photo: Josh Hild pour Unsplash)
GROSSE DÉPENSE. L’appel du grand air, provoqué par la pandémie, a propulsé le prix des chalets à des sommets historiques. Est-il trop tard pour vouloir devenir propriétaire d’une résidence secondaire ?
Offres multiples, surenchère des prix, forte pression pour acheter sans inspection… décidément, les acheteurs en quête d’un chalet vivent, ces temps-ci, des émotions dignes de montagnes russes. Parlez-en à Marie-Claude (nom fictif) qui souhaite, avec son conjoint, acheter un chalet près des pentes de ski. Au moment où ces lignes étaient écrites, le couple, dans la vingtaine, venait d’échapper une occasion d’acquérir un chalet à Saint-Sauveur-des-Monts. La propriété, convoitée par quatre autres acheteurs, a finalement été vendue près de 100 000 $ de plus que le montant préalablement affiché (429 000 $).
« On aurait pu payer la surenchère. On a les capacités d’emprunt, mais on a préféré jeter la serviette. Du moins pour cette fois-ci. On doute que ce chalet maintienne une valeur marchande d’un demi-million de dollars d’ici 10 ans. Enfin, l’avenir nous le dira », soutient cette jeune professionnelle du milieu financier qui, avec son amoureux, a décidé de poursuivre ses recherches.
« Boom de la cour arrière »
Jusqu’où va aller cette course folle et de quelle façon prendra-t-elle fin ? « En attendant, on vit carrément un boom de la cour arrière », souligne Stéphane Rochon, directeur et chef stratège aux services de recherche aux particuliers à BMO Gestion privée. Un boom, précise-t-il, qui est palpable à plusieurs endroits en Amérique du Nord.
« Cette frénésie pour les résidences secondaires s’explique en grande partie par le télétravail qu’a imposé la crise sanitaire depuis un an », dit-il. Tant qu’à pouvoir travailler de la maison, c’est encore mieux de le faire dans un environnement stimulant tel un endroit de villégiature ou à la campagne, note le stratège. « Et parce que la COVID-19 a, sur le plan économique, épargné en majeure partie les professionnels qui sont bien rémunérés, notamment les médecins, les avocats, les comptables, les employés des institutions financières, les informaticiens, sans oublier les fonctionnaires, le marché immobilier résidentiel hors des grands centres urbains dispose d’une clientèle prête à payer le prix pour se rapprocher de la nature », constate Stéphane Rochon.
Cette clientèle aisée bénéficie en plus de taux d’intérêt au plancher et de marges hypothécaires qui servent de levier d’emprunt. « Les dépenses discrétionnaires de ces acheteurs (pas de voyage à l’étranger, pas de resto, pas de sorties culturelles) ont largement été limitées depuis un an. L’évasion à la campagne est donc devenue leur porte de salut, une source idéale de désennui », dit-il.
Susan Boxer, directrice des ventes du domaine Vertendre, à Eastman, se trouve aux premières loges de ce marché devenu complètement fou. « Le même terrain de deux acres que je vendais 150 000 $, il y deux ans, se vend aisément 300 000 $ aujourd’hui. Malgré tout, je vends deux fois plus de terrains qu’avant », indique-t-elle, fascinée par la situation. « Je soupçonne ces acheteurs de piger généreusement dans leurs épargnes pour acquérir à tout prix un lieu à la campagne », soulève Susan Boxer. Le taux d’épargne au pays a d’ailleurs franchi le cap des 25 % l’été dernier, fait savoir le stratège Rochon. « Il continue de se maintenir à plus de 15 %. De l’argent qui, effectivement, donne des ailes au marché immobilier », dit-il.
Faites inspecter
Gare, toutefois, à celles et à ceux qui prennent le risque d’acheter un chalet sur un coup de tête, avertit Charles Brant, directeur du Service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ). Le marché, prévient-il, n’a jamais compté autant de propriétés qu’il qualifie de peu désirables, vendues à très fort prix. « Les propriétaires de ces immeubles savent très bien que c’est le moment ou jamais de vendre leur bien à gros profits. »
Un acheteur, poursuit-il, ne devrait d’ailleurs jamais acquérir un chalet sans une inspection préachat, sans garantie légale ou encore sans avoir pris le temps de s’informer sur de multiples autres facteurs tels l’approvisionnement en eau potable, la santé du lac, les servitudes, les voisins… D’où l’importance, ajoute-t-il, de faire affaire avec un courtier immobilier.
Y avez-vous pensé ?
L’acquisition d’un chalet risque aussi d’en faire déchanter plusieurs qui sous-estiment les coûts qu’implique ce type de transaction. « Acheter un chalet ne se résume pas qu’à payer une deuxième hypothèque », signale Jean-François Demers, fondateur du site chaletsalouer.com. À moins d’en faire sa résidence principale, il faut désormais payer en double tous les principaux paiements liés à une résidence, dit-il. Certes, les taxes municipales et les taxes scolaires seront généralement moins élevées qu’en ville, mais il y a aussi la facture d’électricité, de l’Internet, des assurances, les coûts d’entretien du bâtiment et le déneigement. Certains devront également prévoir des travaux de conformité pour leur fosse septique, qui peuvent s’élever à plus de 15 000 $.
Bien que la location laisse miroiter de possibles revenus aux nouveaux acheteurs pour couvrir une bonne partie des frais, cette avenue vient aussi avec sa part de coûts. « Cette liste comprend entre autres l’entretien intérieur de l’immeuble entre les différents locataires, l’entretien extérieur, dont la gestion parasitaire, l’achat d’un permis de la Corporation de l’industrie touristique du Québec — devenu obligatoire pour tout propriétaire qui loue son chalet pour des séjours de moins de 31 jours —, dans certains cas l’ajout d’une taxe municipale commerciale, sans oublier la déclaration des revenus à l’impôt », fait savoir Jean-François Demers. De plus, le prix de la police d’assurance peut doubler, ajoute-t-il.
« Il faut aussi tenir compte de la dynamique familiale qui évolue », insiste Jean-François Demers. Avoir un chalet avec des enfants en bas âge, c’est génial. Jusqu’à ce qu’ils deviennent des ados. Entrent alors dans l’équation les amis, le travail à temps partiel, les tournois et autres activités et loisirs. « Un tas de facteurs qui pourraient éventuellement limiter les déplacements de la famille vers le chalet », note-t-il.
Prudence recommandée
Enfin, que vous succombiez ou non à l’actuelle course folle au chalet, « ne percevez surtout pas votre achat comme un investissement. Ça demeure une dépense de loisirs qui implique des frais récurrents et de l’impôt sur le gain en capital », avise Joanie Fontaine, économiste principale chez JLR Solutions foncières. « Ce marché va poursuivre sa hausse en 2021, estime-t-elle, mais je doute fort qu’il conserve son rythme effréné. Les rendements de 15 %, 25 % ou 35 % auxquels nous avons assisté en 2020 dans les régions ne seront pas éternellement au rendez-vous. »
Selon l’économiste, les taux d’intérêt variables devraient demeurer bas pour les deux prochaines années. S’ils devaient s’emballer à plus long terme, plusieurs devront toutefois refaire leurs calculs. « Surtout ceux qui ont étiré leur emprunt au maximum. » Et les frontières, ajoute-t-elle, vont finir par rouvrir, tout comme les restos, les salles de théâtre…
Charles Brant, de l’APCIQ, est justement d’avis qu’il y aura plusieurs retours de propriétés récréatives sur le marché cette année, probablement dès ce printemps. « Emballés, plusieurs acheteurs ont élaboré des projections financières qui n’ont pas toujours de sens », dit-il. Cela dit, il ne faut pas s’attendre à voir le marché basculer en faveur des acheteurs. « Ce retour devrait tout de même se traduire par une certaine détente du marché », conclut le représentant de l’APCIQ.
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Acheter ou louer ?
L’Autorité des marchés met à la disposition des acheteurs une calculette pour soupeser la question. L’outil n’est pas le seul élément à prendre en compte, mais il permet tout de même d’apporter des éclaircissements aux futurs acheteurs de chalet. https://bit.ly/2ZlTPLH
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Moins de chalets à vendre
Selon les données du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, le nombre de chalets a fondu de 10 % depuis 2010 au Québec. Ce nombre est passé de 155 842 à moins de 140 692. Plusieurs de ces chalets ont changé de vocation pour devenir des résidences permanentes. À cette diminution se greffe une chute marquée du nombre de nouvelles inscriptions sur le marché immobilier. Selon les statistiques de Centris.ca, les inscriptions de maisons unifamiliales (qui incluent les chalets) en vigueur ont fondu de plus de 30 % au cours de l’année 2020 pour l’ensemble de la province.
Même ceux et celles qui détiennent déjà un terrain voient leur projet de construction être ralenti par plusieurs obstacles. La hausse des coûts de matériaux de construction (le 2 po X 4 po est passé de 3,89 $ à plus de 6,50 $ en moins d’un an) et les problèmes d’approvisionnement de matériaux et de main-d’œuvre en font partie. S’ajoutent aussi de nouveaux règlements municipaux et régionaux qui freinent l’étalement des résidences secondaires, signale Martin Provencher, auteur, conférencier et développeur en immobilier depuis 30 ans. De nouveaux schémas d’aménagement ont récemment été mis en place pour éviter les développements tous azimuts sur les territoires, dit-il. Changement de zonage, limitation d’abattage des arbres, protection des rives et du littoral, réduction du pourcentage de la pente du chemin d’accès, tous ces changements mineurs viennent accentuer la pression sur le marché des chalets.
« Morale de cette histoire, si vous avez l’argent, vous savez ce que vous voulez, vous avez fait vos devoirs et que la bonne occasion se présente, achetez ! » suggère fortement cet expert. « À quoi bon attendre ? Surtout, attendre après quoi ? Il n’y aura pas plus de chalets, ni de lacs, ni de rivières dans les années à venir », conclut cet expert.