Trudeau: patientez avant que les prix des logements baissent
La Presse Canadienne|Publié le 20 Décembre 2023«Quiconque promet de régler le logement en six mois vend quelque chose qu’ils ne seront pas capables de livrer», croit Justin Trudeau, en entrevue avec La Presse Canadienne. (Photo: La Presse Canadienne)
Ottawa — Construire assez de logements afin de répondre à la crise du coût de la vie ne se fait pas en claquant des doigts, reconnaît le premier ministre Justin Trudeau, qui demande «quelques années» de patience aux Canadiens pour que les prix baissent à un niveau abordable.
«Les jeunes veulent savoir qu’une telle opportunité s’offre à eux dans les années à venir et, de plus en plus, ils pourront le constater», dit-il en entrevue avec La Presse Canadienne.
Cherchant à se montrer déterminé de mener une bataille vers un quatrième mandat, Justin Trudeau défend son bilan en matière de logement, sujet de prédilection de son rival, le chef conservateur Pierre Poilievre.
Les mesures prises par son gouvernement porteront leurs fruits «sous de multiples angles», assure le premier ministre dans cet entretien de fin d’année.
«Espérons que cela ne prendra pas huit ans, mais cela prendra encore quelques années, car nous construisons toutes ces choses en ce moment», affirme-t-il après avoir été interpellé sur le temps qui s’est écoulé depuis son élection, en 2015.
Justin Trudeau, qui fait désormais du coût de la vie une priorité, convient que les derniers mois ont été «difficiles» alors que l’actualité allait de rebondissements en rebondissements, ce qui risquait de faire dérailler son plan.
Mais composer avec des «crises multiples», le premier ministre fait valoir qu’il connaît bien cela. «Depuis 2015, on a eu Trump, la pandémie, la guerre en Ukraine (et) maintenant, la guerre au Proche-Orient», énumère-t-il.
Cet automne, alors que l’«abordabilité» a été un sujet chaud, il se félicite d’avoir «annoncé et commencé la construction de centaines de milliers de nouveaux logements».
Justin Trudeau a enchaîné, depuis septembre, une série de points de presse aux côtés de maires de différents coins du pays pour dévoiler, à la pièce, quelle part leur ville recevrait d’une enveloppe pancanadienne de 4 milliards de dollars (G$) promise depuis le printemps 2022.
Cette somme, prévue dans le cadre du Fonds pour accélérer la construction de logements de trois ans, doit servir à la construction de 100 000 unités d’habitation au Canada.
Pour toucher l’argent, toute municipalité doit conclure une entente avec Ottawa, chaque accord exigeant que la ville en question «mette fin au zonage d’exclusion et encourage la construction d’appartements à proximité des transports en commun», selon les modalités mentionnées par Ottawa.
Au Québec, le fédéral ne pouvait pas négocier directement avec les municipalités en raison de dispositions législatives exigeant de passer d’abord par la province. Un accord est survenu en octobre avec le gouvernement de François Legault.
Promesse ressuscitée et revisitée
Les libéraux fédéraux ont également mis de l’avant, tout au long de la session parlementaire, leur promesse ressuscitée et revisitée d’annuler la taxe sur les produits et services (TPS) pour la construction de nouveaux immeubles locatifs. Avec l’adoption du projet de loi C-56, survenue tout juste avant la relâche des Fêtes, cette mesure est devenue réalité.
L’objectif espéré: engendrer une baisse des loyers en augmentant, à terme, le bassin d’appartements disponibles sur le marché. Comment? En incitant les entrepreneurs à privilégier ce type de projets de construction puisqu’avec le remboursement de la TPS, le coût des matériaux et de la main-d’œuvre diminue.
«Nous nous attendons [à ce que cela] crée 200 000, 300 000 unités de logement dans la prochaine décennie», a dit la semaine dernière le ministre du Logement, Sean Fraser, à La Presse Canadienne.
L’élu venait de dévoiler qu’il lancera des consultations pour donner une seconde vie à un concept d’après-guerre. Il dépoussière ainsi une initiative qu’avait brandie la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) dans les années 1950, celle d’un catalogue de modèles de maisons préapprouvés afin d’accélérer le processus de construction pour les promoteurs.
Sean Fraser, responsable du dossier du logement depuis l’été, considère que «des progrès significatifs» ont été réalisés, bien qu’il reste «un long chemin à parcourir».
La SCHL évalue que le Canada doit construire environ 3,5 millions de logements de plus d’ici 2030 s’il veut rétablir l’abordabilité. Combler l’écart est possible, selon le ministre, mais le fédéral «aura besoin de la participation d’autres ordres de gouvernement et d’autres acteurs de la construction d’habitations».
«Je suis rempli d’un sentiment d’espoir et d’optimisme implacable, et non d’une foi aveugle, que demain sera un jour meilleur», a-t-il déclaré.
M. Trudeau revient en entrevue sur des mesures lancées par son gouvernement dans ses deux premières années au pouvoir, comme la Stratégie nationale sur le logement de plus de 70G$.
Toutefois, il laisse entendre que cela risque de prendre encore du temps pour constater une sortie de la crise du logement.
«Quiconque promet de régler le logement en six mois vend quelque chose qu’ils ne seront pas capables de livrer», croit-il.
«Ils n’ont pas de plan»
Le premier ministre reconnaît aussi qu’«absolument» le message de ses adversaires résonne beaucoup plus auprès de la population.
Les conservateurs de Pierre Poilievre ont notamment mis cet automne l’accent presque exclusivement sur le thème du coût de la vie et l’accès au logement.
Ce mois-ci, M. Poilievre a mis en ligne une infopublicité —la présentant comme un «documentaire»— intitulée «L’enfer du logement» dans laquelle il attribue le blâme à M. Trudeau.
«J’adorerais avoir un vrai débat avec les conservateurs pour savoir qui a le meilleur plan de logement. Mais ils n’ont rien. Ils n’ont aucun plan», réplique le premier ministre.
Selon lui,ces derniers —qui mènent largement dans les sondages nationaux depuis des mois— ne font que «répandre des mensonges et de la désinformation» en amplifiant «les peurs et les angoisses» sans proposer de véritables solutions.
Pierre Poilievre a déposé son propre projet de loi, cet automne, en matière de logement. Il y propose, lui aussi, une exemption de TPS, mais dans une formule différente. Le chef de l’opposition officielle promet aussi que, s’il devient premier ministre, les municipalités n’augmentant pas d’au moins 15 % le nombre de permis de construction délivrés se feront couper une partie de leur financement fédéral. En contrepartie, celles qui dépasseraient la cible recevraient un bonus.
La politologue Geneviève Tellier estime que Pierre Poilievre «a le beau jeu de critiquer le gouvernement fédéral», qu’il «le fait très bien» et de façon «très efficace».
Les libéraux veulent «se montrer un peu plus raisonnés», analyse la professeure à l’Université d’Ottawa.
«Ils vont dire « Voici comment on fait les choses, il faut faire les choses correctement, on va mettre de l’argent ». Mais là, on a, d’un côté, la raison, puis, de l’autre, les émotions. Puis, c’est clairement les émotions qui gagnent en ce moment», dit-elle en y voyant un avantage pour le chef conservateur.
Elle ajoute une nuance: «La situation économique influence la popularité du gouvernement». Ainsi, un scénario éventuel où «l’inflation est maîtrisée, les taux d’intérêt commencent à baisser (et) les salaires augmentent» pourrait jouer en la faveur des troupes de Justin Trudeau.
«Stabiliser» les prix
Quant aux prix de la nourriture, autre cheval de bataille de M. Poilievre, le gouvernement libéral promet aussi aux Canadiens qu’ils seront récompensés au fil du temps.
Dans ce secteur, les prix ont fortement progressé au cours des dernières années. Selon Statistique Canada, la facture du panier d’épicerie a augmenté de 22,6 % en quatre ans, tandis que l’Indice des prix à la consommation en excluant les aliments a cru de 15,1 % sur la même période.
Ottawa a d’ailleurs consacré un volet majeur de C-56 à réformer la Loi sur la concurrence. Et au premier jour de la session, le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avait convoqué les grands patrons des chaînes d’épicerie pour les sermonner.
M. Champagne avait ensuite soutenu, peu avant le congé de l’Action de grâce, que son plan pour «stabiliser les prix» fonctionnait déjà, à en croire sa lecture des «circulaires». Il n’en fallait pas plus pour que débute un débat sur le prix de la dinde aux Communes, M. Poilievre affirmant qu’elles se vendent «jusqu’à 120 $».
Appelé à revenir sur ces moments marquants de la session parlementaire, le ministre Champagne a assuré que sa convocation des PDG d’épicerie n’avait été que «le début d’un combat».
Si «personne (ne) peut crier ‘’Mission accomplie’’» à l’heure actuelle, la rencontre a permis de mettre de la pression, jure-t-il. «Regardez le président de Sobeys qui dit, depuis ce temps-là , « nous, on a pris des mesures ». […] Vous savez, ces gens-là ne se sont pas fait brasser depuis des décennies.»
Comme M. Trudeau, il invite à la patience, plaidant qu’en France, «ça ne s’est pas fait en une semaine, (ni) en un mois (ni) sur un an».
Michel Saba et Émilie Bergeron