Serratus a exploité la puissance du nuage d’Amazon Web Services (AWS) pour passer au peigne fin 5,7 millions d’échantillons biologiques recueillis dans le monde entier. (Photo: 123RF)
Une initiative internationale pilotée par un chercheur canadien pourrait permettre aux scientifiques de la planète d’identifier en seulement quelques minutes le virus inconnu qu’ils ont détecté chez un patient, ce qui pourrait ensuite permettre d’éviter une nouvelle pandémie.
Cette initiative a permis en l’espace de quelques jours seulement d’identifier neuf nouveaux coronavirus et de décupler le nombre de virus à ARN connus.
Serratus, du nom d’une montagne de la Colombie-Britannique, a exploité la puissance du nuage d’Amazon Web Services (AWS) pour passer au peigne fin 5,7 millions d’échantillons biologiques recueillis dans le monde entier, ce qui représente 20 millions de gigaoctets de données — soit l’équivalent de 60 millions de minutes de vidéo.
Après seulement 11 jours d’analyse, et au coût ridicule de 24 000 $, le nombre de virus à ARN connu est passé de 15 000 à 132 000, des résultats qu’un seul ordinateur aurait mis 2000 ans à générer. De plus, neuf coronavirus jusqu’à présent inconnus des chercheurs — et dont certains sont radicalement différents de ce que la science connaissait jusqu’à présent — ont été détectés.
«On a découvert que chez (des) animaux aquatiques, non seulement le coronavirus existe, mais qu’il existe sous une forme nouvelle, a dit le chercheur Rayan Chikhi, du département de biologie computationnelle de l’Institut Pasteur, à Paris.
«Et pourtant, le coronavirus est l’une des espèces de virus les plus étudiées à ce jour et les mieux décrites. Mais dans l’absolu, tous les virus sont encore extrêmement mal décrits et mal étudiés par la communauté scientifique.»
Les échantillons analysés avaient été récoltés au cours des 13 dernières années et étaient librement disponibles au sein de la communauté scientifique. Ils provenaient d’une multitude de sources, des carottes de glace aux excréments d’animaux.
Comme il n’est évidemment pas possible d’échantillonner tous les animaux de la planète, a ajouté M. Chikhi, des projets comme Serratus visent à combler ce manque de connaissances en créant une base de données mondiale où se trouvent les virus.
Le projet Serratus est né d’une idée du chercheur Artem Babaian, un biologiste informaticien de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC). M. Babaian a sollicité la collaboration du Cloud Innovation Centre de l’université, un partenariat public/privé entre UBC et AWS.
Identification formelle
Maintenant que ces virus ont été formellement identifiés, il deviendra plus facile de les reconnaître et de savoir dans quels réservoirs naturels ils se cachent si jamais ils semblent vouloir se transformer en menace, que ce soit pour les humains, le bétail, les cultures ou les espèces menacées. Rappelons qu’après deux ans de pandémie, l’origine exacte du SRAS-CoV-2 n’a pas encore été établie avec certitude.
Concrètement, si un patient se présente à l’hôpital avec une fièvre et qu’un virus inconnu est découvert dans son organisme, il ne faudra que quelques secondes pour relier ce virus, par exemple, à une infection survenue il y a dix ans dans un animal de l’autre côté de la planète.
Les virologues pourront maintenant examiner les nouvelles données pour déterminer si certains virus méritent une vigilance plus particulière, a dit M. Chikhi, qui estime qu’il est très «rassurant» d’avoir identifié autant de nouveaux virus dont on ne savait auparavant presque rien et dont, dans certains cas, on ignorait même l’existence.
«On peut mieux les surveiller si on suspecte leur existence, a-t-il expliqué. Les virologues savent depuis des dizaines d’années qu’il existe un nombre incalculable d’espèces de virus, sauf qu’ils étaient invisibles à l’œil nu et à l’œil des ordinateurs jusqu’à notre analyse. Donc, c’est entièrement rassurant et on espère que notre système de surveillance globale permettra d’éviter les futures pandémies.»
La base de données et les séquences sont connues sous le nom d’Open Virome. Les résultats sont accessibles au public afin qu’ils puissent être intégrés aux outils de diagnostic et à la recherche en virologie, créant ainsi un système mondial de surveillance virale.
Les résultats de ce projet ont été publiés par la prestigieuse revue scientifique Nature.