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Un remède contre l’inflation pire que le mal?

AFP|Publié le 19 septembre 2022

Outre la puissance du remède adopté et ses effets secondaires, le débat se concentre aussi sur les causes du mal.

Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en zone euro, mais aussi dans la plupart des économies émergentes, les hausses de taux directeurs se succèdent à un rythme effréné afin de ralentir l’inflation. Mais les critiques montent sur le risque de casser ainsi la croissance.

«Cela me rappelle ce qui se passait avec les saignées», a affirmé le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz au cours d’un entretien à l’AFP, en référence à la pratique dès l’Antiquité consistant à faire saigner un malade pour le guérir. 

«Lorsque l’on faisait une saignée à un patient, généralement il ne guérissait pas, sauf miracle. Alors on le saignait encore plus, et sa santé s’aggravait d’autant plus. Je crains que les banquiers centraux soient en train de faire la même chose en ce moment», a critiqué l’économiste.

Cette semaine encore, les banques centrales américaine, britannique et européennes devraient sans surprise poursuivre leur resserrement. La Fed pourrait ainsi relever ses taux mercredi de 0,75 voire un point entier de pourcentage, après déjà quatre hausses depuis mars.

Celles d’Afrique du Sud, du Brésil et de Suède devraient aussi afficher un ton résolu à s’attaquer à l’inflation. 

L’objectif est d’augmenter le coût du crédit accordé aux ménages et aux entreprises, de ralentir le marché de l’emploi, les progressions des salaires, et au bout du compte la hausse des prix.

 

«Frein à la consommation»

Mais après six mois de guerre en Ukraine et des conséquences dévastatrices sur certaines régions du monde, certains s’inquiètent des conséquences de politiques si restrictives et intervenant de manière synchronisée.

«Est-ce que l’économie avait vraiment besoin de cela pour freiner ?», s’interroge Éric Dor, directeur des Études économiques à l’école de commerce IESEG.

Selon lui, «l’inflation a créé elle-même la baisse de l’activité, les ménages perdent du pouvoir d’achat, l’augmentation des salaires est inférieure à l’inflation, et représente un frein à la consommation», particulièrement pour l’Europe où les hausses de taux risquent de fragiliser encore davantage l’économie.

«Est-ce que ça entraînera un peu de perte de croissance? C’est possible», a d’ailleurs reconnu vendredi la patronne de la Banque centrale européenne Christine Lagarde au cours d’une conférence à Paris. Mais pour elle, «c’est un risque que l’on doit prendre en l’ayant bien mesuré».

La priorité est de juguler la hausse des prix, a affirmé aussi la ministre de l’Économie et des Finances de Joe Biden Janet Yellen, tout en reconnaissant «un risque» de récession aux États-Unis. Le spectre de l’inflation des années 1970 et 1980 n’est jamais loin dans les esprits, lorsque les prix avaient flambé pendant près de dix ans.

La Banque mondiale a pour sa part estimé jeudi que la hausse simultanée des taux d’intérêt renforçait le risque d’une récession mondiale l’an prochain, et tout particulièrement dans les pays émergents et en développement, tout en appelant les banques centrales à poursuivre leurs efforts pour réduire l’inflation. 

 

Prix des loyers

Outre la puissance du remède adopté et ses effets secondaires, le débat se concentre aussi sur les causes du mal.

Selon Joseph Stiglitz, la flambée inflationniste a moins pour origine un excès de demande que les hausses de prix énergétiques et alimentaires et les blocages persistants sur les chaînes d’approvisionnement. Des phénomènes contre lesquels les banquiers centraux ont un champ d’action beaucoup plus réduit.

Ils «utilisent un remède issu d’un mauvais diagnostic», martèle l’économiste, avertissant qu’on pourrait voir aux États-Unis les prix des loyers continuer à flamber sous l’effet de la hausse des taux, et donc l’inflation persister. 

«Le risque est que sans avoir de réel impact sur l’inflation, cette politique aggrave le coût en terme d’activité et d’emploi», renchérit Éric Dor concernant l’Europe.

«Une politique monétaire plus stricte aura inévitablement des coûts économiques», avait reconnu pour sa part en juillet le chef économiste du Fonds monétaire international Pierre-Olivier Gourinchas, précisant que «tout retard ne fera que les exacerber».

Devant les limites des politiques monétaires, ce dernier avait préconisé «un soutien budgétaire ciblé» de la part des gouvernements, une solution sur laquelle un consensus se dégage à travers le monde malgré son coût élevé sur les finances publiques déjà fortement dégradées.