Les agriculteurs canadiens doivent payer un tarif de 35% sur les importations d’engrais russes. (Photo: La Presse Canadienne)
Les agriculteurs canadiens subissent les contrecoups des sanctions canadiennes contre la Russie tandis qu’ils doivent payer un tarif de 35% sur les importations d’engrais russes. Un regroupement de producteurs canadiens demande une intervention du fédéral pour amoindrir le choc.
Le regroupement qui comprend les associations représentant les producteurs de grains du Québec, de l’Ontario et des provinces de l’Atlantique estime qu’«environ» 660 000 à 680 000 tonnes d’engrais azotés sont importées de la Russie dans les trois régions canadiennes. Cela représenterait entre 85% et 90% de l’ensemble des engrais azotés utilisés.
«Ça amène des coûts supplémentaires importants pour les producteurs agricoles, réagit le président du conseil d’administration de Sollio Groupe coopératif, Ghislain Gervais, en entrevue. On demande un soutien de la part du gouvernement fédéral pour qu’il dédommage les producteurs agricoles en lien avec ces tarifs-là.»
M. Gervais, qui est aussi producteur de poulet et de céréales, estime que les tarifs auront entraîné des coûts supplémentaires d’entre 10 000$ et 15 000$ à son entreprise. Pour l’ensemble des producteurs membres de Sollio, cela pourrait représenter des coûts supplémentaires de 30 millions $. «En combinant la hausse des prix des engrais et les tarifs, on parle d’une hausse des prix qui peuvent aller de deux à trois fois.»
Les approvisionnements du Canada ont été perturbés par l’invasion russe en Ukraine, explique Maurice Doyon, professeur titulaire à la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. «Le Canada est un important producteur de potasse, mais lorsqu’on parle d’engrais azoté, on en importait beaucoup. Ça venait de Russie et de l’Ukraine. On se retrouve dans une situation plus difficile en termes de ce qui est disponible pour nos agriculteurs.»
Trouver d’autres fournisseurs ne serait pas de grand secours pour les producteurs de grains, ajoute le professeur qui souligne que les prix sont déterminés par le marché mondial. «Par exemple, nous sommes des producteurs de potasse. Si la potasse se fait plus rare sur les marchés mondiaux, ça fait monter les prix sur la planète et nous devrons aussi payer ce prix-là.»
Une autre tuile pour les producteurs agricoles
Les tarifs décrétés en mars, dans la foulée de l’invasion russe en Ukraine, s’ajoutent à un contexte déjà difficile pour les agriculteurs qui doivent composer avec la hausse de leurs intrants comme le carburant et la machinerie, déplore le président des Producteurs de grains du Québec, Christian Overbeek. «On n’a pas besoin de subir cette taxe supplémentaire là. Déjà, la valeur du bien de base [l’engrais azoté] avait doublé, voire triplé [avant les tarifs] par rapport à 2021.»
La sortie des producteurs ne remet pas en cause l’importance de soutenir le peuple ukrainien, insiste M. Overbeek. «Les producteurs comprennent, mais ils ne veulent pas en faire les frais uniquement sur leur dos. Si c’est une décision sociétale, c’est normal que ce soit l’ensemble de la société qui en supporte les frais.»
Le tarif de 35% sur l’engrais russe n’explique pas à lui seul la flambée des prix des aliments à l’épicerie, mais il s’ajoute à une série de facteurs qui se répercutent dans le prix de l’assiette des Canadiens, dit le représentant des producteurs de grains. «Isolé, chaque facteur peut avoir un effet minime, mais quand on les additionne, ça amène l’impact qui est constaté par les consommateurs qui font l’épicerie.»
La ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Marie-Claude Bibeau, n’a pas commenté directement la sortie des producteurs de grains. Elle a toutefois souligné que le gouvernement avait déjà mis en place différents programmes d’aide, notamment des changements au Programme de paiements anticipés, qui amèneraient «des économies moyennes de 5500$ en frais d’intérêt au cours des deux prochaines années» pour les participants du programme.
«Les productrices et producteurs continuent d’avoir accès à une série de programmes de gestion des risques de l’entreprise, écrit-elle dans un courriel. Nous continuerons de fournir à nos agriculteurs les outils et les ressources nécessaires pour permettre au Canada de faire sa part en cette période d’insécurité alimentaire mondiale.»
Ottawa se trouve dans une posture difficile quand vient le temps de trouver le juste équilibre entre soutenir le peuple ukrainien et soutenir l’agriculture du pays, croit le professeur Doyon.
Les sanctions russes surviennent à un moment où la guerre en Ukraine entraîne des enjeux quant à l’accès et l’abordabilité des grains à travers la planète, ajoute-t-il. «Si je réduis le tarif, j’aide les agriculteurs canadiens et je vais avoir une moins forte hausse sur le prix des grains. D’un autre côté, j’envoie de l’argent aux Russes.»