Une déferlante de whisky québécois s’apprête à inonder le marché
Émilie Parent-Bouchard|Publié le 15 juin 2022Étalage de whiskys québécois dans un commerce spécialisé. (Photo: courtoisie)
INDUSTRIE DES ALCOOLS DU QUÉBEC. C’est un secret mal gardé : plusieurs distillateurs du Québec cachent des barriques à l’abri des regards, souvent au sous-sol. Non pas dans l’esprit de méfiance de la prohibition, mais bien parce que bon nombre d’entre eux attendent patiemment de pouvoir présenter leurs whiskys aux Québécois.
La peine minimale : trois ans et un jour. C’est la durée de vieillissement en baril pour que le «moonshine», alcool de grain maintes fois copié au temps de la prohibition, puisse prétendre au terme whisky.
Alors que l’industrie québécoise de la distillation est passée d’une poignée d’initiés au tournant des années 2010 à plus de 80 détenteurs de permis industriels en 2022, on s’attend à ce que la vague du whisky submerge le Québec au cours des prochaines années.
«Il y a des distilleries qui ont trois ou quatre ans d’existence qu’on considère comme vétéranes », rigole Simon Bourbeau, directeur des spiritueux et des produits de célébration à la Société des alcools du Québec (SAQ). S’il croit que « 2023 va encore être une bonne année de croissance », il estime surtout que c’est en 2024 qu’il y aura « un essor important».
Sur les tablettes de la SAQ, 36 whiskys québécois sont présentement offerts. Plus de 36 000 «caisses standards» (36 000 fois neuf litres ou 12 bouteilles de 750 ml) ont été vendues cette année. Parmi elles, sept nouveautés (le Sivo Sélection Rye, le St-Laurent 3 ans Rye ou encore le Monkeenuts, aromatisé au beurre d’arachide) qui contribuent à un accroissement des ventes de l’ordre de 6 % dans cette catégorie de produit.
«Pour aller visiter des distilleries, je vois les barils. À la distillerie Côte des Saints, à Mirabel, [ce sont] des centaines de barils qui vont être prêts à être commercialisés sous peu, raconte Simon Bourbeau. D’autres font vieillir des produits pour faire des tests ou des petits lots à vendre exclusivement au lieu de fabrication. » Il souligne qu’«il y a un engouement pour les whiskys ; les gens demandent de la nouveauté, même à l’international ».
Deux écoles de pensée
Chez les distillateurs, le whisky continue de séduire. Certains joueurs y placent d’emblée tous leurs jetons. L’investissement initial — qui implique des équipements destinés à la production «du grain à la bouteille» et donc les pieds carrés nécessaires à la fermentation et au vieillissement — incite cependant la plupart d’entre eux à s’appuyer d’abord sur d’autres «vaches à lait», comme le gin.
«On veut s’assurer d’avoir fait nos classes et d’avoir atteint une rentabilité avant d’embarquer dans le projet de whisky », fait valoir Daniel Corriveau, copropriétaire de Spiritueux Alpha Tango, microdistillerie ouverte à Val-d’Or à la fin de 2020.
Le succès rapide des gins primés d’Alpha Tango — l’un à base de quenouilles et l’autre infusé aux framboises — permet à cette entreprise père-fils de flirter avec la rentabilité. Et donc de continuer de renifler les effluves du «projet whisky embryonnaire».
«Le gin a justifié le roulement pour le whisky», confirme pour sa part Michael Briand, copropriétaire de la distillerie O’Dwyer, pour qui le whisky fait partie des plans «depuis le début» du projet, en 2017.
Sauf que la «part des anges», soit la quantité d’alcool qui s’évapore en cours de vieillissement, est encore trop importante dans le climat sec de Gaspé pour même penser à commercialiser ce produit à grande échelle. Michael Briand dit ainsi perdre 20 litres par baril, soit l’équivalent d’un salaire, calcule-t-il.
«La perte acceptable pour la part des anges, c’est 3 %. Oui, on produit du whisky, mais avant d’en mettre [de grandes quantités] dans les barils, il faut qu’on trouve une solution à ce problème. Sinon, c’est jeter de l’argent par les fenêtres», fait-il valoir.
La «part des anges» du gouvernement
Autre embûche sur la route du whisky : la majoration. Même s’ils vendent leurs produits directement chez eux, les distillateurs québécois doivent verser une «majoration à la vente sur place» au gouvernement. Un paiement qui gruge les marges déjà minces des producteurs d’alcool, croit l’Union québécoise des microdistilleries du Québec (UQMD).
Geneviève Laforest, agente de développement à l’UQMD — qui représente 58 distillateurs de la province —, croit que la modification du cadre règlementaire pourrait permettre au Québec de devenir un «leader de la distillation» dans le monde.
«Je pense vraiment que si on est innovants et que le ministre de l’Économie et de l’Innovation (Pierre Fitzgibbon) endosse cette industrie-là, on pourrait développer — autant dans le whisky que dans les liqueurs, la vodka, le gin et l’acerum — une fierté locale absolument incroyable qui puisse se comparer à n’importe quels produits dans le monde», conclut-elle.