Seulement 20% des économistes avaient prédit que la Banque du Canada allait procéder à une hausse.
La Banque du Canada indique que l’inflation s’est arrêtée à 4,4% en avril, encore loin de son objectif de 2%, et que la croissance des prix des biens est supérieure à celle de l’énergie. (Photo: 123RF)
La dernière hausse du taux directeur de la Banque du Canada, qui l’a fait passer de 4,50% à 4,75%, ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté économique.
Seulement 20% des économistes avaient d’ailleurs prédit que la Banque du Canada déciderait d’y aller avec une neuvième augmentation du taux directeur en moins de deux ans, rappelle Geoff Phipps, gestionnaire de portefeuille et stratège en bourse chez Picton Mahoney Asset Management. Il qualifie la hausse « d’inattendue ».
« Nos économistes avaient prévu une hausse en raison des plus récents chiffres du produit intérieur brut (PIB), mais ils croyaient que la Banque du Canada allait bouger en juillet, indique pour sa part Alexandre Bélanger, directeur de district Spécialistes hypothécaires mobiles à la Banque TD. Ça marque la fin de la pause des augmentations du taux plus rapidement que prévu, mais nous pensons tout de même qu’une hausse de 0,25% est justifiée. »
Jean-François Perrault, vice-président sénior et chef économiste de la Banque Scotia, félicite la Banque du Canada pour cette décision. Malgré les difficultés anticipées des Canadiens face à cette hausse, elle était prévisible et nécessaire pour relancer l’économie. Grâce entre autres au marché du travail très actif, « l’activité économique est plus forte que ce qu’on pensait » précise-t-il.
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Pas la bonne chose
Mario Iacobacci, associé-conseil en économie chez Deloitte, va plus loin et estime que la Banque du Canada n’aurait pas dû procéder à une autre augmentation.
« Nous ne sommes pas entièrement surpris, mais nous ne croyons pas qu’elle a fait la bonne chose, laisse-t-il tomber. Je crois que la Banque voulait démontrer son sérieux et qu’il y avait également une question d’optique pour le marché. »
Il estime que la Banque aurait dû attendre avant d’y aller avec une autre hausse parce que l’inflation est un indicateur retardataire et que, avec le marché du travail, elle est l’une des dernières choses à incorporer les effets de telles augmentations. Il croit qu’il faut donner le temps aux hausses de prendre effet.
« Est-ce que c’était nécessaire? Je ne pense pas, avance-t-il. La Banque du Canada a elle-même affirmé que ça pouvait prendre entre 18 et 24 mois avant de percevoir les effets des hausses de taux que nous avons eues jusqu’en janvier. La Banque a laissé la porte ouverte à d’autres hausses du taux directeur, je pense qu’il y a des risques que la récession qu’on aura peut-être l’an prochain sera plus lourde. »
L’institution plaide toutefois que l’inflation s’est arrêtée à 4,4% en avril, encore loin de son objectif de 2%, et que la croissance des prix des biens est supérieure à celle de l’énergie.
Si le marché du travail venait à considérablement ralentir, Mario Iacobacci prédit que les ménages québécois pourraient avoir des problèmes en raison des taux d’intérêt élevés.
Autres hausses?
Les experts interrogés par Les Affaires n’ont pas tous le même avis face à l’annonce d’une autre augmentation en juillet.
Alexandre Bélanger indique que la TD ne s’attend pas à une autre hausse à très court terme. Mario Iacobacci soutient que la décision de Banque du Canada sera axée sur les prochains chiffres d’inflation et qu’il est possible que surviennent encore une ou deux autres augmentations d’ici la fin de l’année.
« Nous pensons que la décision de juillet arrive trop rapidement pour que les chiffres changent suffisamment pour que l’annonce d’aujourd’hui soit la seule, souligne Jay Zhao-Murray, analyste de marché chez Monex Canada. Nous croyons maintenant que la Banque du Canada va procéder à une autre hausse en juillet pour faire grimper le taux à 5%, ce qui devrait lui procurer un rempart contre une remontée de l’inflation. »
Le directeur principal, économie canadienne chez Desjardins, Randall Bartlett, est du même avis. Il s’attend à ce que la Banque du Canada relève à nouveau le taux directeur de 25 points de base à sa réunion de juillet puisque les progrès réalisés d’ici là au chapitre des prix à la consommation seront vraisemblablement peu nombreux.
Plusieurs secteurs touchés
La montée du taux directeur de 4,50% à 4,75% ne sera pas sans effet pour les consommateurs et les investisseurs.
Alexandre Bélanger de la TD s’attend à ce que le secteur des services, notamment les restaurants, les bars et les agences de voyages, voit sa croissance ralentir à court terme en raison des finances plus serrées des ménages.
« Ceux qui doivent renouveler leur prêt hypothécaire sous peu ou qui en ont un à taux variable verront inévitablement une différence, ajoute-t-il. L’effet sera aussi direct sur les financements automobiles, les prêts personnels et les marges de crédit. »
Mario Iacobacci de Deloitte mentionne que le coût pour les investisseurs immobiliers va encore grimper en même temps que les taux d’intérêt et que la dette des ménages va elle aussi prendre de l’expansion.
« Il y a probablement une petite proportion des ménages qui sera poussée plus près de la faillite », prévient-il.
Il y a également des implications dans la construction des portefeuilles boursiers, laisse entendre Michael White, gestionnaire de portefeuille et stratège d’actifs chez Picton Mahoney Asset Management.
« Nous croyons que les investisseurs pourront bénéficier d’une exposition ancrée dans l’inflation des portefeuilles, explique-t-il. Bien que l’inflation soit actuellement en baisse, il est clair qu’elle est volatile et imprévisible, d’où la nécessité d’une allocation stratégique. »
Marché immobilier
Le marché immobilier, lui, ne devrait pas tellement souffrir d’une nouvelle hausse des taux d’intérêt, avance Marc Lefrançois, courtier immobilier agréé chez Royal LePage Tendance à Mont-Royal.
« Je ne pense pas que ça aura un impact à court terme, précise-t-il. Depuis deux mois, nous sommes plus occupés au fil des semaines. Nous avons même recommencé à voir des ventes avec offres multiples. Je ne crois pas que ce sont 25 points de base de plus qui vont inquiéter les acheteurs. »
– Avec la collaboration de Jade Trudelle