Un rendez-vous de 60 minutes peut facilement se traduire par une facture de plus de 400 $, soit l’équivalent du coût d’un bilan médical annuel avec une prise de sang. (Photo: 123RF)
Les cliniques médicales privées prennent leurs aises au Québec. D’une poignée il y a 20 ans, elles sont, aujourd’hui, près de 200 dans la province. Combien ça coûte d’y mettre les pieds ?
En survolant les grilles tarifaires affichées sur le site web de quelques-uns de ces établissements privés (Lacroix, La cité médicale, Humani, Praxis…), on constate rapidement que les coûts diffèrent d’un endroit à l’autre. La simple consultation d’une vingtaine de minutes auprès d’un médecin de famille, qu’elle soit en personne ou virtuelle, peut aisément varier de 125 $ à plus de 275 $. La grille du réseau des cliniques Lacroix affiche un prix de 299 $ si le rendez-vous survient la fin de semaine. À la clinique Humami, à Rosemère, la même consultation un samedi fait figure d’aubaine, à 140 $, soit 10 $ de plus qu’un rendez-vous régulier en semaine.
Notez que ce sont des tarifs de base dont les prix sont modifiables sans préavis. Si la visite auprès du médecin dépasse les minutes allouées, le compteur se met en marche. Un rendez-vous de 60 minutes peut facilement se traduire par une facture de plus de 400 $, soit l’équivalent du coût d’un bilan médical annuel avec une prise de sang. Et encore, certaines cliniques vont exiger davantage pour ce type de visite. Martin, un professionnel quadragénaire sans médecin de famille, raconte avoir payé un peu plus de 800 $ dans une clinique de l’ouest de l’île de Montréal afin d’obtenir un bilan de santé complet.
Gare aux retards
Mieux vaut être ponctuel dans ces établissements. Sur le site web de la clinique SanoMed, de Pointe-Claire, il est écrit que les patients omettant de fournir un avis d’annulation ou de modification d’un rendez-vous se verront facturer des frais de consultation complets. Idem pour les patients qui arrivent 15 minutes en retard. En plus de voir leur consultation reportée, les retardataires seront, eux aussi, facturés le plein tarif pour le rendez-vous manqué.
Forfait et abonnement
En plus d’offrir une série de soins et de services de santé à la carte (le lavage d’oreilles, le changement de pansement, des points de suture ou des chirurgies mineures pour moins d’une centaine de dollars), plusieurs cliniques proposent des forfaits dont les prix varient, eux aussi, d’un endroit à l’autre. Dans les centres médicaux Pauzé Ferdais, qui ont pignon sur rue à Bromont et à Sherbrooke, un forfait signature, incluant notamment trois consultations et un bilan annuel, est affiché à 1495 $.
Certains établissements favorisent la formule abonnement. C’est le cas notamment à La cité médicale, qui propose un volet privé dans ses cliniques de Montréal, Charlesbourg et Sainte-Foy. Un tarif annuel de 335 $ pour une personne (575 $ pour une famille dont les membres vivent à la même adresse) permet ainsi de bénéficier d’une réduction de 50 $ sur chaque consultation (205 $ prix régulier) et d’une réduction de 165 $ sur les examens médicaux annuels dont le prix régulier affiché est de 405 $.
Au moins, il n’y a pas de taxes applicables sur les consultations médicales requises par l’état de santé, peut-on lire sur le site web d’OptionMD, une clinique privée de Victoriaville. Des taxes seront toutefois applicables sur les rendez-vous ayant pour but de remplir un formulaire de SAAQ ainsi que la rédaction de formulaires, les services médico-légaux et les services médicaux à la demande de l’employeur, précise la note de la clinique.
Des soins spécialisés
Des dizaines de cliniques privées, principalement dans les grands centres ou à proximité de ces derniers, vont proposer diverses interventions avec des médecins spécialistes. Il peut s’agir de coloscopies, d’IRM, de vasectomies ou d’autres chirurgies mineures. Des soins dont les coûts oscillent facilement entre 500 $ et 1000 $ selon les adresses. Multipliez le montant de la facture par 10, 20 et même 30 s’il s’agit d’une opération lourde, comme le remplacement de hanches. À leur avantage, ces interventions s’effectuent sans ou avec très peu de délais. Rien à voir avec le système public, où les temps d’attente s’étirent sur des mois, pour ne pas dire plus d’un an.
Des entreprises médicales
Comment expliquer néanmoins les différences de tarifs d’une adresse à l’autre ? « Gérer une clinique privée, c’est comme gérer une entreprise. Nous sommes des fournisseurs de services qui établissons nos prix en fonction du coût de nos équipements, des salaires du personnel, du matériel médical, sans oublier la localisation de l’établissement » répond Gaëlle Meyer, directrice générale de la clinique Les 4 chemins, à Laval. À la tête d’une ancienne clinique privée qui s’est inscrite à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) en 2020, cette gestionnaire est l’une des rares sur la dizaine contactée qui a accepté notre demande d’entrevue.
Cette infirmière de formation se questionne néanmoins sur les grands écarts entre des établissements qui offrent les mêmes soins et services. Selon elle, l’essor du marché des cliniques privées au Québec prend quelque peu des airs de Far West. « En l’absence de règles au sein de cette industrie florissante, chaque clinique privée établit ses propres tarifs et ses façons de les appliquer. C’est dommage, car malgré les nombreux avantages que procure ce type de clinique, notamment de désengorger les urgences dans les hôpitaux, ce manque de cohérence nuit à cette industrie », soulève-t-elle.
Une industrie qui prend d’ailleurs du volume. De plus en plus de médecins omnipraticiens optent désormais pour le régime privé parce qu’ils réalisent qu’ils peuvent pratiquer leur métier dans de bien meilleures conditions, dit-elle. Les chiffres de la RAMQ lui donnent raison. En 2005, la Régie recensait à peine une cinquantaine de médecins omnipraticiens désengagés du système public. Aujourd’hui, ce nombre frôle les 400.
Payer en surplus
Le principal avantage de la formule privée est de pouvoir obtenir des soins et des services rapidement. Émilie, une adjointe administrative dans le secteur de la construction, n’a pas hésité à débourser près de 300 $ pour obtenir deux consultations en clinique privée cet automne afin de soigner la pneumonie de son garçon âgé de quatre ans. « Non seulement j’ai obtenu ces deux rendez-vous en moins de 24 heures, mais mon fils a aussi eu accès à un service de radiologie afin de confirmer le diagnostic. Le personnel médical a été impeccable », raconte-t-elle.
Ce qui frustre toutefois cette maman, c’est qu’il s’agit de soins et de services de santé offerts par le régime public pour lesquels elle paie déjà une généreuse part à titre de contribuable. Ce que confirme le fiscaliste Charles Desharnais, du cabinet comptable Mallette. « En 2021-2022, c’est 38 % de l’impôt provincial que verse annuellement le contribuable québécois qui alimente, en effet, le système de santé public. Et ce pourcentage tendra à augmenter au cours des prochaines années selon ce que révèle le budget du Québec 2022. »
Puisque ces impôts ne suffisent pas, on ajoute une cotisation annuelle versée au Fonds des services santé (FSS) pour les travailleurs autonomes et le contribuable qui reçoit un dividende. Depuis 1993, cette cotisation varie en fonction du revenu admissible pour tout particulier qui gagne plus de 15 360 $ par année, explique le fiscaliste. Ce montant peut varier entre quelques dollars jusqu’à un maximum de 1000 $ pour les particuliers qui gagnent 138 410 $ et plus, dit-il.
Mince consolation, les frais médicaux privés, qui ne sont pas remboursables par la RAMQ, peuvent être admissibles à un crédit d’impôt. Jusqu’à 15 % au fédéral et jusqu’à 20 % au provincial. « Mais encore là, le calcul s’effectue à partir des frais médicaux admissibles qui excèdent le moins élevé de 3 % du revenu net du particulier ou 2421 $ au fédéral. Au provincial, ce sont les frais qui excèdent 3 % du revenu net familial », avise Charles Desharnais.
Sans oublier que même le contribuable qui bénéficie d’un régime privé d’assurance médicale offert par son employeur paie, lui aussi, un surplus afin de bénéficier de ces soins et services de santé payants. Ces régimes, avertit le fiscaliste, sont, en vertu des lois fiscales, considérés comme des avantages imposables au Québec.
Qui a dit que la santé n’avait pas de prix ?