Vente de la Banque Laurentienne: pertes d’emplois à prévoir
La Presse Canadienne|Publié le 12 juillet 2023La possibilité d’une acquisition a été bien accueillie par les investisseurs qui ont donné un élan de près de 27% à l’action, mercredi. (Photo: La Presse Canadienne)
MONTRÉAL — Si elles se concrétisent, les démarches de la Banque Laurentienne pour se mettre en vente pourraient entraîner des pertes d’emplois, selon des experts.
L’institution financière, qui compte près de 3000 employés, a confirmé qu’elle avait lancé un processus de révision stratégique, dans un communiqué diffusé mardi après la fermeture des marchés. Le processus pourrait aboutir à la vente de la Laurentienne.
Pour un acquéreur, les réductions de coûts représenteraient un facteur important dans sa décision de présenter une offre, croit l’analyste Gabriel Dechaine, de Financière Banque Nationale.
Dans une industrie bancaire dominée par les grandes institutions, la taille de la Laurentienne représentait un frein, car les investissements technologiques sont souvent aussi importants que pour une grande institution, mais ils sont répartis sur un plus petit bassin de clientèle.
L’analyste estime que les synergies pourraient représenter 50% de la base de coût de la Laurentienne. «La décertification du syndicat en 2021 fait en sorte qu’une réduction des effectifs est plus facilement réalisable.»
La Banque Laurentienne a fait savoir qu’elle n’avait pas l’intention d’émettre plus de commentaires avant la fin du processus.
Si la banque régionale était acquise par un acteur bien implanté au Québec, l’acquéreur réduirait vraisemblablement les effectifs, ajoute Louis Hébert, professeur spécialisé en fusions et acquisitions à HEC Montréal. «Ça vient avec un coût parce qu’on va se retrouver peut−être avec trop de succursales et trop de personnel, explique-t-il en entrevue. Si ça devait arriver, ça serait une acquisition de consolidation avec sans doute une recherche de synergies de coûts assez élevée.»
L’avenir du siège social montréalais de la Laurentienne faisait déjà l’objet d’inquiétudes compte tenu que la présidente et cheffe de la direction, Rania Llewellyn, réside à Toronto. M. Hébert croit que le siège social de la Laurentienne est encore plus «en danger» avec une possible vente. «Toutes les promesses de maintien de siège social ont une date de préemption.»
Cette perspective survient tandis que le marché de l’emploi se refroidit dans l’industrie bancaire. Les grandes banques canadiennes avaient déployé d’importants efforts de séduction dans un contexte de rareté de main−d’œuvre et de concurrence avec les employeurs du secteur technologique.
La tendance s’est inversée tandis que la Laurentienne, le Mouvement Desjardins et la Banque de Montréal ont procédé dernièrement à des mises à pied. En mai, le président et chef de la direction de la Banque Royale, Dave McKay, avait reconnu que la première banque du pays avait surestimé ses besoins «par des milliers de personnes» au plus fort des problèmes de manque de personnel durant la pandémie.
Une action à la hausse
La possibilité d’une acquisition a été bien accueillie par les investisseurs qui ont donné un élan de près de 27% à l’action, mercredi.
L’institution financière devra toutefois trouver un acquéreur et la partie n’est pas gagnée, croit l’analyste Meny Grauman, de la Banque Scotia. «Même s’il y a un potentiel haussier pour l’action si une entente est conclue, nous ne sommes pas sûrs que ce soit possible.»
Il met en doute l’attrait stratégique d’une acquisition pour les six grandes banques du pays. «Nous croyons que la valeur stratégique de ses activités est limitée, car nous croyons que le risque de rétention de la clientèle est élevé, particulièrement au Québec.»
M. Dechaine croit au contraire que les actifs de la Laurentienne vont susciter l’intérêt des grandes banques en raison d’un potentiel de synergies «considérable». Il admet toutefois que la banque connaît des difficultés, même si elle est en avance sur les cibles de son plan stratégique.
«Elle n’a pas de base solide de déposants, elle est plus exposée aux prêts dans l’immobilier commercial et ses prêts aux particuliers ont stagné depuis quelques années pour ne nommer que quelques enjeux.
«Ironiquement, les raisons qui font en sorte que la banque pourrait être vendue sont les mêmes qui font en sorte que la croissance à long terme est limitée», ajoute-t-il.
Quel acheteur?
Les acheteurs potentiels voudront vraisemblablement rester discrets pour ne pas démontrer un trop grand enthousiasme et nuire à leur pouvoir de négociation, souligne M. Hébert.
La Laurentienne pourrait intéresser les deux grandes institutions québécoises, soit la Banque Nationale ou le Mouvement Desjardins, pour «consolider le marché montréalais», évoque M. Hébert. «Ça pourrait être une occasion pour se débarrasser d’un concurrent», dit−il en entrevue.
M. Grauman met aussi le Mouvement Desjardins en tête des acquéreurs potentiels. «Encore plus que la Banque Nationale, qui écarte la possibilité d’une acquisition à chaque fois qu’elle en a l’occasion.»
L’idée que la Banque RBC passera vraisemblablement son tour semble faire consensus, car elle n’a pas encore conclu l’acquisition des activités canadiennes de la HSBC pour 13,5 milliards $.
Pour sa part, l’analyste Doug Young, de Desjardins Marché des capitaux, croit que les acheteurs ne se bousculeront pas au portillon. «RBC est occupée avec HSBC, la TD a déjà renforcé ses activités canadiennes, BMO intègre la Bank of the West et la Nationale ne fait pas des acquisitions une priorité dans le déploiement de son capital.»
«Il reste la Scotia et la CIBC, mais nous ne sommes pas certains des raisons qui feraient en sorte qu’elles seraient intéressées, ajoute-t-il. Fait notable, les deux banques ont participé aux enchères sur les actifs de la Silicon Valley Bank, en faillite.»
Notons que la présidente et cheffe de la direction, Mme Llewellyn, a fait carrière à la Banque Scotia avant de faire le saut à la Laurentienne en octobre 2020.
M. Dechaine voit aussi la Scotia comme un acquéreur potentiel, car la transaction lui permettrait de réduire le poids relatif de son empreinte aux États−Unis. Il semble moins convaincu pour la CIBC. «La CIBC participerait probablement au processus, mais nous croyons qu’elle voudra plutôt étendre son empreinte aux États−Unis», commente l’analyste de la Financière Banque Nationale.
Ce dernier juge que la Banque TD serait aussi une bonne candidate tandis que l’annulation de l’acquisition de First Horizon Corp. soulève des questions sur ce qu’elle fera de son capital.
L’action de la Laurentienne bondit de 8,93 $, ou 26,63%, à 42,46 $ à la Bourse de Toronto, à la fin de la séance de mercredi.