Cette loi est le premier mécanisme législatif mis en place pour déployer la Stratégie gouvernementale des marchés publics visant à « favoriser l’achat de biens et de services québécois ». (Photo: 123RF)
MOIS DE LA PME. Il demeure ardu pour les PME du Québec de remporter des appels d’offres sur de grands projets. La règle du plus bas soumissionnaire en exclut souvent plusieurs. Cependant, l’entrée en vigueur, le 2 décembre prochain, des principales dispositions de la Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics pourrait favoriser le changement. Que va-t-elle changer concrètement ?
Cette loi est le premier mécanisme législatif mis en place pour déployer la Stratégie gouvernementale des marchés publics visant à « favoriser l’achat de biens et de services québécois », qui a été annoncée le 3 février dernier.
À l’occasion de son dévoilement, la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, a rappelé que l’État québécois injectait plus de 16 milliards de dollars (G$) dans l’économie par l’intermédiaire des marchés publics. Or, dans le secteur des biens, seuls 38 % des parts de marché vont à des entreprises d’ici.
Avec cette loi, Sonia Lebel veut donc non seulement « favoriser l’accès de nos entreprises québécoises aux marchés publics », mais également « rééquilibrer » l’attribution des contrats entre les entreprises situées dans les grands centres et celles en région.
« Les organismes publics pouvaient déjà le faire sur une base volontaire, explique Me Sébastien Laprise, avocat spécialisé en droit des contrats publics et associé au cabinet juridique Langlois Avocats. Or, avec la nouvelle loi, ça devient une figure imposée. Lorsqu’un organisme ne privilégiera pas les joueurs québécois — dans la mesure des accords de libéralisation des marchés —, il devra justifier sa décision. »
Concrètement, les entreprises d’ici pourront bénéficier d’une « marge préférentielle d’au plus 10 % en fonction de la valeur ajoutée québécoise ». Toutefois, ce biais en faveur du Québec inc ne pourra s’appliquer qu’aux appels d’offres « comportant une dépense inférieure au seuil minimal applicable » dans les accords existants. Dans le cas de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC), il s’agit des contrats de moins de 121 200 $. « C’est une façon de suivre la tendance mondiale qui est de favoriser les achats internes ou nationaux », explique Me Sébastien Laprise. Dans un contexte de relance postpandémique, ajoute-t-il, tous les États cherchent à être autonomes et à maximiser « localement » les retombées économiques de leurs marchés publics.
Une brèche dans le principe du plus bas soumissionnaire
Un autre élément important de la loi est la volonté de s’éloigner du principe du plus bas soumissionnaire. « Dans les principes généraux de la loi, on introduit le concept de “meilleure valeur dans l’intérêt public”, qui va au-delà du prix demandé par l’organisme », explique Me Jean-Benoît Pouliot, associé au cabinet Langlois Avocats. Cette notion peut inclure le cycle de vie d’un produit, sa durabilité et son impact environnemental, détaille-t-il. Est-ce qu’on révolutionne la règle du plus bas soumissionnaire ? « Ce n’est pas fait encore, dit-il. Mais on vient jeter les bases. »
Ce changement pourrait avoir une conséquence directe sur la capacité des PME du Québec à promouvoir leurs produits. Nicolas Roquigny, coordonnateur de la veille des marchés publics pour l’organisme Sous-traitance industrielle Québec (STIQ), constate que la règle du plus bas soumissionnaire joue contre les fabricants d’ici. « Plusieurs nous affirment avoir des produits de gamme supérieure, bénéficiant d’un “coût total de possession” moindre, parce plus durables, mais ils ne parviennent pas à se distinguer dans une compétition basée principalement sur le “coût initial d’acquisition”. »
Notons, par ailleurs, que la loi prévoit la création d’un « espace d’innovation », dans lequel les organismes pourront prioriser des critères environnementaux ou d’innovation pure et simple dans leurs appels d’offres.
Des ficelles à attacher
Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), salue l’initiative gouvernementale. Elle regrette toutefois que la notion d’« achat québécois » ne soit pas explicitement définie. « Est-ce qu’on parle d’une entreprise qui fabrique ses produits ici ou d’une entreprise québécoise qui importe des produits étrangers ? Il existe désormais une certification pour des produits fabriqués au Québec. Il serait logique d’utiliser ce critère pour définir un achat québécois. »
Me Pouliot note que des termes restent à définir ou à préciser au moment de l’écriture du règlement. « La loi fait mention des “petites entreprises”, sans en préciser la taille. Aussi, comment le Conseil du trésor définira-t-il les pourcentages préférentiels en fonction de la valeur ajoutée québécoise ou canadienne ? Ça reste à voir. »
L’avocat y voit malgré tout un changement législatif « marquant » pour les PME et aussi pour les régions du Québec, par le simple fait de consacrer une section au « développement économique du Québec et de ses régions ». Il rappelle que la loi oblige le gouvernement à publier annuellement les résultats de ses appels d’offres. Il sera donc possible de savoir, dans les prochaines années, si la stratégie porte ses fruits.
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Au terme de la Stratégie gouvernementale des marchés publics, en 2026 :
— 50 % de la valeur des contrats « de biens » sera accordé à des entreprises québécoises.
— 60 % des contractants proviendront de l’extérieur des régions de Montréal
et de la Capitale-Nationale ;
— 100 % des établissements de santé et d’éducation auront une cible d’achat d’aliments québécois.