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Vos likes sur Facebook trahissent… votre salaire!

L'économie en version corsée|Publié le 04 février 2020

Vos likes sur Facebook trahissent… votre salaire!

En ligne, nous sommes... totalement nus. (Photo: Marvin Meyer/Unsplash)

CHRONIQUE. Personne n’aime parler de l’argent qu’il gagne. C’est déplacé, pour ne pas dire indécent. Un peu comme si on se mettait à parler de sa vie sexuelle aux autres. D’ailleurs, une récente étude a mis au jour le fait que, sur les sites de rencontres amoureuses, moins de 10% des gens fournissent de l’information concernant leurs revenus…

Mais ce que vous ne savez pas – et moi non plus avant de tomber sur l’étude dont je vais vous parler –, c’est qu’il n’y a rien de plus simple que d’avoir une idée assez juste de votre salaire. Si, si… Il suffit de regarder ce que vous likez et ce que vous publiez sur Facebook. C’est tout. Juste ça.

C’est du moins ce qui ressort de l’étude intitulée Predicting individual-level income from Facebook profiles, laquelle est signée par : Sandra Matz, professeure de management à l’École de commerce Columbia de New York (États-Unis); Jochen Menges, professeur de leadership et de management à l’Université de Zurich (Suisse); David Stillwell, professeur de big data à l’École de commerce Judge de Cambridge (Grande-Bretagne); et H. Andrew Schwartz, professeur de science informatique à l’Université Stony Brook de New York (États-Unis). Regardons cela ensemble…

Les quatre chercheurs ont noté que le flux d’informations était purement ahurissant sur Facebook : chaque minute, plus de 510.000 commentaires, de 293.000 posts et de 136.000 photos y sont mis en ligne. Et ils se sont dit qu’il fallait sûrement peu de données précises pour avoir une juste idée du profil de chacun de ses utilisateurs. Ce qui leur a donné envie d’effectuer une petite expérience pour le vérifier.

Ainsi, ils ont demandé à 2.623 Américains volontaires de bien vouloir répondre à un questionnaire détaillé sur eux-mêmes. D’une part, celui-ci permettait de connaître, entre autres, leur sexe, leur âge, leur code postal, leur niveau scolaire et leur salaire. D’autre part, il permettait d’avoir une idée du profil de la personnalité de chacun d’eux, en fonction du modèle Big Five (qui détermine des traits de caractère tels que l’extraversion et l’agréabilité).

Puis, ils ont demandé l’autorisation à chacun d’eux d’accéder à l’entièreté de leur page Facebook, et donc, à tout ce qu’ils avaient mis en ligne, commenté, liké, etc. Pourquoi ça? Pour permettre à l’intelligence artificielle (IA) qu’ils avaient concoctée d’analyser en profondeur deux catégories de données : les likes et les posts.

Autrement dit, une IA s’est plongée dans ce que des individus ont commenté à l’aide d’émoticônes (J’aime, Fâché, Triste,…) et dans ce qu’ils ont rédigé dans leurs posts – sans rien savoir d’autre sur eux que ces deux seules catégories de données –, et cela dans l’optique de prédire combien ces individus-là gagnaient. Des prédictions aisément vérifiables par les chercheurs puisqu’ils disposaient, eux, de l’information.

Résultats? Tenez-vous bien :

– L’IA a été capable de prédire les salaires de chaque participant avec une précision de r=0,43. Ce qui correspond à un niveau de précision qui n’est pas «parfait», mais «adéquat».

«Il s’agit d’un niveau de précision supérieur à celui qu’on a lorsqu’on s’appuie juste sur les données du Big Five, et d’un niveau de précision comparable à celui qu’on a lorsqu’on s’appuie sur le profil sociodémographique (qui combine sexe, âge, ethnie, code postal, niveau d’éducation et profession)», notent les chercheurs dans leur étude.

Et d’ajouter : «Un tel niveau de précision est suffisant pour effectuer une campagne de marketing ciblée auprès de chacun des participants, une campagne qui rencontrerait a priori autant de succès que celles effectuées à la suite d’une combinaison de multiples autres données tirées des médias sociaux et d’ailleurs».

Bref, vous êtes pudique dès qu’il s’agit de salaire, mais sachez qu’en vérité vous êtes tout nu sur Facebook à ce sujet!

Il suffit qu’un «petit malin» branche une IA sur votre page Facebook en lui disant de se pencher sur vos likes et vos posts, et vous voilà à poil en un clin d’œil. Votre salaire n’est plus un mystère pour ce «petit malin», et libre à lui de vendre cette précieuse information à qui se montrera intéressé – c’est-à-dire à tous les annonceurs qui veulent dépenser le moins possible pour pouvoir toucher avec précision les cibles qui les fascinent.

Les quatre chercheurs se sont amusés à répertorier les likes qui trahissaient le plus le niveau de salaire des gens. Et ça m’a donné l’idée de vous présenter ça sous la forme d’un petit test. Ça vous tente? OK.

Le principe est simple : considérez chacune des phrases ou termes suivants, et indiquez, sans réfléchir, si c’est quelque chose que vous likeriez si ça passait sur votre fil Facebook…

– «Chaque fois que je texte quelqu’un qui est dans la même pièce que moi, je le surveille du coin de l’œil pour voir sa réaction.»

– «Quand quelqu’un me passe une gomme en douce, je fais semblant qu’il est en train de me refiler de la drogue.»

– Koriass

– [Une image drôle]

– [Une information incroyable]

– «Ne brise JAMAIS une promesse amoureuse. C’est SACRÉ.»

– «Aujourd’hui, j’ai eu une journée pantalon mou-coton ouaté-queue de cheval-zéro maquillage»

Alors? Combien de likes? Si ceux-ci sont vraiment nombreux, eh bien, c’est le signe que votre salaire figure fort probablement parmi ceux qui sont les plus bas qui soient.

Autre test, qui, maintenant, va vous paraître évident:

– Place des Arts

– Château Frontenac

– Biz

– Plus on est de fous, plus on lit

– Google Sheets

– Okaïdi

– Clean & Clear Acné

Et là? Combien de likes? Vous l’avez déjà deviné, si vous en avez beaucoup, c’est une indication claire que les chances sont fortes que votre salaire figure parmi les plus élevés qui soient.

Voilà. Vous comme moi, nous sommes transparents en ligne. Complètement transparents. Comme dans le conte des Habits neufs de l’empereur d’Andersen : nous fanfaronnons tous sur les médias sociaux, convaincus de ne paraître que sous notre meilleur jour aux yeux de tous; mais, en vérité, nous y sommes nus comme des vers, à l’image de l’empereur qui, croyant être vêtu d’une «incroyable étoffe», paradait à poil devant tout le monde… jusqu’au jour où un enfant a fini par éclater de rire.

La question saute aux yeux : allons-nous, comme l’empereur, continuer de parader comme si de rien n’était, en dépit de l’hilarité générale? Ou allons-nous (enfin) réagir? Par exemple, en ne communiquant en ligne qu’au sein de petits groupes à accès privé. En exigeant une forme de rémunération en échange des données personnelles que nous partageons sur les médias sociaux. Ou encore, en nous débranchant carrément de Facebook et autres Instagram.

À vous de voir. Ou plutôt, à nous de voir. Et si cela commençait par un mouvement de pression sur nos gouvernements afin d’exiger une réglementation contraignante digne de ce nom à l’égard des géants du web…

En passant, l’écrivain et politicien français Max Gallo aimait à dire : «La pression médiatique, associée à celle de l’opinion, rend l’exercice du pouvoir très compliqué».

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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