L'optimisme n'est pas toujours la meilleure des choses [Ph: Kristopher Roller/Unsplash]
Être optimiste dans la vie, c’est la source de nombre de bienfaits : le quotidien est plus agréable, au travail comme à la maison ; l’avenir nous paraît souriant, à tel point qu’il nous semble tout naturel de tenter de nouvelles expériences et de lancer de nouveaux projets (ex. : apprendre l’espagnol avant d’aller cet été au Mexique…) ; etc.
Le hic ? C’est que l’optimisme présente une face cachée aussi insoupçonnable que redoutable ! Oui, une face hideuse dès qu’il s’agit de… finances personnelles. Explication.
Une récente étude signée par René Morissette, directeur adjoint, division de l’analyse sociale et de la modélisation, de Statistique Canada, montre qu’il existe «une forte corrélation» entre l’optimisme des gens et leur niveau d’endettement. Après avoir analysé les données de l’Enquête sur la sécurité financière de 1999, 2005 et 2016 au Canada, le chercheur a en effet mis au jour le fait que :
– Une dette non hypothécaire nettement plus élevée. Ceux qui s’attendent à ce que leur situation financière s’améliore au cours des deux prochaines années ont, en général, une dette non hypothécaire supérieure de 6800 $ à celle des autres. Ce qui représente plus du tiers de la dette non hypothécaire moyenne de ceux qui ne sont pas optimistes, laquelle se chiffre aujourd’hui à 18.100$.
– Une dette hypothécaire nettement plus élevée. Ceux qui s’attendent à ce que leur situation financière s’améliore au cours des deux prochaines années ont, en général, une dette hypothécaire supérieure de 27 900 $ à celle des autres. Ce qui représente 38% de la dette hypothécaire moyenne de ceux qui ne sont pas optimistes, laquelle se chiffre aujourd’hui à 74.400$.
– Un ratio dette/revenu nettement plus élevé. Ceux qui s’attendent à ce que leur situation financière s’améliore au cours des deux prochaines années affichent, en général, un ratio de la dette au revenu supérieur de 32 points de pourcentage par rapport à celui des autres, lequel s’élève en moyenne à 89%.
C’est clair, les optimistes s’endettent beaucoup plus que les autres. «Ceux qui s’attendent à ce que leur revenu augmente dans un avenir rapproché accroissent à l’avance leurs dépenses de consommation et assument des montants de dette supérieurs», résume le chercheur.
À noter un point important qui ressort de l’étude : les optimistes sont nombreux chez nous ! Ils représentent aujourd’hui 44% des Canadiens. Et leur proportion semble stable dans le temps puisque le même pourcentage était de 46% en 1999.
Autrement dit, près de 1 Canadien sur 2 est optimiste, et par le fait même, excessivement endetté.
Hum, minute… «par le fait même» ? La corrélation entre l’optimisme et le niveau d’endettement est-elle vraiment un lien de cause à effet ? M. Morissette fait preuve – avec raison – de prudence à ce sujet : ses données sont insuffisantes pour pouvoir être catégorique sur ce point, et il le souligne dans sa conclusion.
D’où l’intérêt de cette autre étude, intitulée Wishful thinking et signée par deux professeurs d’économie : Andrew Caplin, de l’Université de New York (États-Unis), et John Leahy, de l’Université du Michigan à Ann Arbor (États-Unis). Regardons ensemble de quoi il retourne…
Les deux chercheurs ont concocté un modèle de calcul économétrique permettant de voir comment réagiraient des gens dont la particularité serait leur indéfectible optimisme, dans différents cas de figure. Par exemple, lorsqu’ils reçoivent une somme d’argent : leur premier réflexe est-il de la dépenser, ou plutôt de l’économiser ? Idem, lorsqu’ils sont face à un tout nouveau gadget électronique : ont-ils tendance à l’acquérir sans trop réfléchir au prix, ou veillent-ils à peser le pour et le contre d’une telle dépense?
Résultats ? Voici les trois principaux :
– Gros consommateurs, maigres épargnants. Ceux qui sont optimistes quant à l’appréciation à court terme de leur revenu consomment davantage et épargnent moins que les autres. En conséquence, leur richesse évolue moins vite dans le temps que les autres.
– Des biais cognitifs dommageables. Les optimistes souffrent davantage de biais cognitifs que les autres, en particulier de la procrastination (la tendance à remettre à plus tard ce qu’on peut faire à l’instant même), du biais de confirmation (la tendance à chercher et interpréter des faits qui nous confortent dans nos idées) et de l’aversion à la dépossession (le fait d’attacher plus de valeur à un bien qui nous appartient qu’au même bien qui ne nous appartient pas). Et cela peut les empêcher de faire le meilleur choix, notamment lorsqu’il s’agit d’effectuer une transaction financière.
– Risque de bulle. Les optimistes ont tendance à faire passer la passion avant la raison. C’est ainsi qu’ils sont disposés à payer le gros prix pour une nouveauté technologique. Ce qui, si jamais les optimistes se révèlent nombreux à agir de la sorte au même moment dans une niche précise, fait courir le risque de créer une «bulle» : les prix d’échange sont dès lors excessivement élevés par rapport à la valeur réelle du bien en question ; et cette exubérance peut se traduire, un beau jour, par un effondrement brutal des prix, et du coup, par la ruine de ceux qui ont massivement investi dans cette niche-là.
Bref, l’optimisme mène droit aux mauvais choix financiers. Ce qui montre qu’il y a bel et bien un lien de cause à effet entre l’optimisme et le niveau d’endettement. Vous en voilà avisés.
En passant, le psychiatre français Boris Cyrulnik a confié lors d’un entretien accordé au Figaro Magazine, le 2 janvier 2015 : «Il faut comprendre que le pessimisme ou l’optimisme n’ont rien à voir avec la réalité ; ils sont fonction de la représentation que l’on se fait du réel».
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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