Zones d’innovation: 21 hommes et seulement 3 femmes sur les CA
Dominique Talbot|Publié hier à 10h53 | Mis à jour il y a 1 minuteCe sont les organisations elles-mêmes qui choisissent qui les représenteront sur le CA. (Photo: 123RF)
Lancées en grande pompe par le gouvernement du Québec depuis 2022, les zones d’innovation font peu de place aux femmes sur leurs conseils d’administration. Sur les 24 membres des CA de la Vallée de la transition énergétique et de Technum Québec, à peine trois femmes y ont un siège.
Malgré qu’elle intègre l’inclusion parmi ses trois objectifs prioritaires et ses sept principes fondateurs, la Vallée de la transition énergétique (VTE), compte aujourd’hui 13 hommes et une seule femme sur son CA (8%).
Sur les quatre sièges additionnels réservés à des membres observateurs, sans droit de vote, deux sont occupés par des femmes: ceux du ministère de l’Économie et d’Investissement Québec.
Par ailleurs, au cours des premiers mois de son existence, le CA de la VTE ne comptait aucune femme parmi ses membres.
À Bromont, la zone d’innovation Technum Québec, qui se spécialise dans les technologies numériques, compte deux femmes sur les 10 membres de son CA (20%).
Dans ce cas-ci, sur les cinq sièges réservés à des membres observateurs, un seul est occupé par une femme, celui d’investissement Québec.
Au cœur de la filière batterie
Dans le Centre-du-Québec et en Mauricie, Québec a injecté 8,5 millions de dollars (M$) pour le lancement de la VTE, dans laquelle se trouve le cœur de la filière batterie, à Bécancour. Sur cette somme, pas moins de 3 M$ ont été consentis pour sa gouvernance et son fonctionnement.
Les villes de Shawinigan, Trois-Rivières, Bécancour, ainsi que l’Université du Québec à Trois-Rivières, ont chacune un siège à titre de partenaires fondateurs, explique Pierre Ducharme, président du CA. Ce dernier n’est pas rémunéré pour cette fonction. Des sièges sont également réservés aux «organismes manufacturiers et d’enseignement qui ont un fort intérêt dans la mission de la Vallée», poursuit-il.
Ce sont les organisations elles-mêmes qui choisissent qui les représenteront sur le CA. «Nous n’avons jamais été spécifiques dans notre demande d’exiger une présence féminine de leur part. Nous avons limité notre demande à une personne qui présentait le savoir-faire, le savoir-être et le désir de contribuer à la zone. Par naïveté, nous n’avons pas souligné ce point-là», dit Pierre Ducharme.
Le président du CA admet s’être fait reprocher de ne «pas avoir réussi à établir un équilibre (hommes-femmes). C’est un sujet qui est très présent. Je ne peux pas casser les jambes des gens qui m’offrent des personnes de qualité pour venir travailler avec nous. Mais le sujet de la parité est clairement un sujet sur lequel nous voulons améliorer notre position», dit-il, ajoutant que la parité pourrait être atteinte dans quelques années.
Un «argument vieux comme le monde»
Chez Technum Québec, le président du CA, Philippe Babin, justifie le petit nombre de femmes sur celui-ci par leur faible représentation dans le domaine.
«Dans le secteur des semi-conducteurs, malheureusement, il n’y a pas beaucoup de femmes, dit-il. Si on regarde dans les statistiques de représentation [des femmes] dans notre secteur, on tourne en bas de 25 %.»
«Il y a quand même beaucoup d’entreprises privées autour de la zone d’innovation. Si vous regardez la distribution des genres, c’est représentatif de ce qu’il y a sur le CA. Malheureusement», exprime-t-il.
Un argument que rejette du revers de la main Caroline Codsi, femme d’affaires et présidente de l’organisation La gouvernance au féminin.
«Cet argument est vieux comme le monde. On ne va pas nier qu’il y a beaucoup moins de femmes dans certains domaines. Mais il n’y a aucun domaine où il n’y a pas de femmes. Dans ce cas, qu’est-ce que vous êtes en train de faire pour attirer plus de femmes? Est-ce que c’est nécessaire que 100% des membres aient les mêmes qualifications, ou on essaie de voir la valeur d’une femme qui a peut-être d’autres qualifications?», demande-t-elle.
Elle dénonce de manière plus générale certaines façons de faire qui perdurent dans le temps et qui ne sont pas dans l’intérêt des organisations à long terme.
«Ça va toujours plus vite pour Roger d’appeler Bernard. Et Bernard va dire oui. Mais pour aller chercher Martine, il y a toujours un peu plus d’efforts à faire, illustre-t-elle. Mais c’est un effort à faire en amont pour avoir des résultats bien meilleurs. Ce n’est pour rendre service aux femmes, c’est pour rendre service aux organisations. »
Que les «bottines suivent les babines»
La présidente de La gouvernance au féminin s’explique mal comment des zones d’innovation créées par le gouvernement en arrivent à un tel déséquilibre dans leur structure de gouvernance.
«On parle ici d’innovation. Alors que l’on sait très bien que l’innovation se nourrit de la complémentarité des talents, des perspectives et des points de vue. Je ne suis pas en train de dire que les femmes sont plus innovantes. Ou les hommes. Je suis en train de dire que cette complémentarité de talents et de façons de voir les problèmes, et leurs solutions, fait que nous avons plus d’innovation.»
«Le gouvernement a le pouvoir d’influence nécessaire pour établir des critères de parité», insiste-t-elle. «C’est trop facile d’écrire sur un site web que nous mettons de l’avant l’inclusion. Mais ce que nous voulons voir, c’est si les bottines suivent les babines», poursuit Caroline Codsi.
À Québec, le cabinet de la ministre de l’Économie de l’Innovation et de l’Énergie, Christine Fréchette, fait valoir que les zones d’innovation «ont constitué leur CA de manière indépendante», et que le ministère «n’a pas été impliqué dans le recrutement des individus ni dans l’approbation de leur nomination».
«Il faut encourager la présence des femmes dans les secteurs de l’innovation et de l’économie. Le nombre de femmes sur les CA des zones d’innovation n’est pas soumis à un quota et ce n’est pas l’intention, mais nous nous attendons à ce que de plus en plus de femmes soient nommées dans ces postes décisionnels», commente le cabinet de la ministre.
De son côté, le prédécesseur de Christine Fréchette, Pierre Fitzgibbon, considère que la situation actuelle « ne représente pas comment on évolue au Québec depuis plusieurs années ».
En entrevue avec Les Affaires, l’ex-ministre du gouvernement Legault dit avoir constaté « une fois après les faits » la quasi-absence des femmes sur ces deux CA des zones qu’il a lui-même créées, bien qu’il n’ait pas signalé la situation. « Ça doit se corriger dans le temps. Dans le domaine technologique, il y a principalement des hommes, mais il n’y a pas de raison qu’il n’y ait pas d’ajustement qui se fasse », dit-il cependant.
Parité à Sherbrooke, attente dans la région de Montréal Des trois zones d’innovation actives en ce moment, seule celle sur le quantique, DistriQ, à Sherbrooke, navigue en zone de parité. Sur 9 membres, 4 sont des femmes, dont la présidente du CA. Quant à la zone d’innovation en aérospatial annoncée le printemps dernier, qui s’établira dans la région de Montréal, son conseil d’administration n’est pas encore constitué. |