(Photo: Eva Blue)
Après un faux départ professionnel et dotée d’une vaste expérience dans l’industrie de la finance, Zoya Shchupak dit avoir enfin trouvé sa place: à la tête d’Innovobot Résonance Ventures, un fonds visant à mettre la technologie au service du bien commun.
La vie voulait en faire une comptable; elle en a décidé autrement. À la fin des années 1980, Zoya Shchupak commence un baccalauréat en comptabilité à l’UniversitéConcordia. À l’époque, cela lui semblait le seul choix sensé. «Ma famille a immigré ici d’un pays soviétique quand j’avais deux ans, raconte-t-elle. Là-bas, l’entrepreneuriat n’existait pas, tout comme beaucoup d’autres professions. La comptabilité, c’était simplement quelque chose de concret que je pouvais comprendre.»Et elle comprenait très bien:au moment de terminer ses études, en 1990, elle remporte deux médailles. La première, pour avoir été la meilleure étudiante en commerce. La seconde, pour avoir été la meilleure en comptabilité.
Elle poursuit ses études à McGill, dans le même domaine, où elle s’illustre aussi rapidement. À son examen pour l’obtention du titre de comptable agréé — auquel sont soumis 5000 étudiants —, elle se hisse au troisième rang dans la province et au neuvième rang au pays.
Forte de ces résultats, elle décroche son premier emploi en 1990:comptable chez Ernst & Young, une entreprise faisant partie du Big 8, soit les huit plus grands cabinets mondiaux du secteur. «Après avoir commencé à travailler, j’ai vite réalisé que j’étais performante, que c’était facile pour moi, dit-elle. J’ai aussi réalisé que c’était ennuyeux.»Pire encore, les choses ne semblaient pas être en voie de s’améliorer.
«En regardant le travail que faisaient les associés qui étaient dix ans devant moi dans leur carrière, je me suis dit “Non, c’est toujours sans intérêt”», se souvient-elle. Il fallait changer de carrière.
Faire sa place avec audace
Zoya Shchupak est bien consciente de ses forces en mathématiques et en finance, mais elle réalise qu’elle désire un rôle plus pratique, plus impliqué, plus opérationnel, dans lequel elle aurait l’occasion de créer de la valeur.
Elle décide donc de faire le saut dans le monde des banques d’investissement (investment banking). Mais comment faire un premier pas dans cette industrie ? «En 1991, ce n’était pas évident», retrace Zoya Shchupak. Elle décide d’y aller avec la force brute et déniche les numéros des directeurs généraux de toutes les banques d’investissement à Montréal. «Très tôt le matin, avant que leurs assistantes arrivent au bureau et ne bloquent mon coup de fil, je les ai appelés un par un», se rappelle-t-elle. La stratégie fonctionne: la Banque Scotia la veut dans son équipe. «Il y avait peu de femmes dans le secteur. Quand j’ai commencé, j’étais la deuxième à Montréal et on était quatre au pays. Alors mon appel en a étonné plusieurs. D’autant plus qu’ils aimaient l’approche, je pense.»Car dans ce domaine de la finance, constate Zoya Shchupak, il faut être agressif et oser. Savoir enfoncer les portes, interpeler les gens, faire sa place.
«Ce n’est pas un milieu pour les gens gênés ou plus introvertis. Je pense que ça a joué en ma faveur. Ils ont dû se dire que si j’avais le cran (guts) de les appeler, j’aurais la capacité d’approcher les clients.»
En route vers Innovobot
Les années suivantes ont été riches en expériences. Alors que commence le nouveau millénaire, Zoya Shchupak décide de passer de la vente (sell-side) aux achats (buy-side) et fait sa place chez Desjardins Capital de risque en tant que directrice des investissements.
Son rôle: trouver les meilleures entreprises où investir. L’atmosphère était assez différente de ce qu’elle connaissait, puisqu’elle travaillait avec de petites sociétés plutôt qu’avec de grandes entreprises cotées en Bourse, comme dans son poste précédent. «J’ai été très heureuse d’être en contact avec les entrepreneurs; on était proche d’eux, dit-elle. J’ai tellement aimé être impliquée dans les opérations que je me suis ensuite lancée là-dedans.»En 2005, elle grossit les rangs d’Engenuity Technologies, une entreprise à capital ouvert fournissant des logiciels de simulation pour les industries aérospatiale et automobile, en tant que cheffe de la direction financière (CFO). Elle passe ensuite chez CitiFinancial Canada, toujours dans le même rôle. Elle a notamment été impliquée dans la vente de l’entreprise.
«J’ai été CFO durant 12 ou 13 ans», calcule Zoya Shchupak. Par la suite, elle décide qu’elle veut retourner dans le monde de l’investissement pour aider les entrepreneurs à avoir du succès.
Après un an chez Sagard Holdings, un gestionnaire d’actifs, elle atterrit chez Innovobot en 2020. «Ce sont deux contacts qui nous connaissaient, les associés d’Innovobot et moi. Ils savaient que l’entreprise voulait lancer un fonds et ils nous ont dit la même semaine que l’on devrait faire connaissance», dit-elle. Ils ont accepté. Les cafés étant fermés, comme les restaurants, les premières discussions ont eu lieu en vidéoconférence. Zoya Shchupak affirme avoir été interpelée par le projet d’Innovobot, qui consistait à lancer un fonds voué à financer des entreprises proposant des technologies de pointe pour répondre aux défis socioenvironnementaux.
«On a vite dû se rencontrer en personne pour ficeler les détails, souligne-t-elle. On a donc passé l’été à marcher dans un parc, à deux mètres de distance, pour élaborer la stratégie et la vision de ce nouveau fonds.»À l’aube de l’automne, il a été décidé de lancer Innovobot Résonance Ventures, dont elle est depuis associée et directrice générale.
Objectif 40 M $
Innovobot Résonance Ventures a annoncé en décembre dernier qu’elle clôturait son fonds initial d’amorçage, nommé Deep Tech for Good, avec des engagements de 14 millions de dollars (M $).
Mais la directrice générale avoue qu’il ne s’agit que du montant minimal nécessaire pour commencer à travailler avec les sociétés qu’elle cible. Son défi est d’atteindre un objectif de financement de 40 M $. Si elle reconnaît que le contexte économique actuel n’est pas le meilleur, elle estime néanmoins qu’elle pourra y arriver avant la fin de l’année.
Ses autres défis consisteront à bâtir son équipe pour pouvoir lancer un deuxième, puis un troisième fonds. Une tâche difficile.
«C’est une vocation pour moi, assure Zoya Shchupak. On a tous les mêmes objectifs, la même vision. On est presque une famille. C’est valorisant de pouvoir avoir l’impact que l’on a.»Elle parle avec fierté de CarbiCrete, une entreprise dans laquelle Innovobot a investi, qui produit du béton à empreinte carbone négative. «Considérant que la production de béton est le deuxième plus grand émetteur de CO 2 au monde, c’est une technologie innovante qui pourrait avoir un impact énorme», avance-t-elle. Pour le moment, Zoya Shchupak admet ne pas avoir de plan concret pour sa carrière après Innovobot. Entourée d’une équipe qu’elle estime formidable, et occupée par des objectifs empreints de sens, elle se voit où elle est pour un bon moment encore.
Et quand elle réfléchit à son parcours professionnel jusqu’ici, c’est avec une grande confiance qu’elle dit n’avoir aucun regret. Sauf un. «Si j’avais à changer quelque chose, j’éviterais la comptabilité», dit-elle en riant.