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Le taux de propriété baisse pour une première fois au Québec

Charles Poulin|Publié le 14 novembre 2022

Le taux de propriété baisse pour une première fois au Québec

Le Québec avait réussi à réduire l’écart avec la moyenne du pays à tous les recensements depuis 1971 avant celui de 2021. L’écart était alors passé de 12,9 points à 6,5 points. (Photo: 123RF)

Le taux de propriété a reculé de 1,4% entre 2016 et 2021, la toute première baisse du genre de son histoire.

C’est ce que révèlent les chiffres du dernier recensement rendus publics par Statistique Canada à la fin septembre. Le taux de propriété est passé de 61,3% en 2016 à 59,9% en 2021, la toute première diminution depuis que les données ont commencé à être compilées, en 1971.

«Les hausses de prix des propriétés des deux dernières années, et donc la diminution de l’abordabilité, est le plus grand facteur qui explique cette baisse, indique le directeur du service économique de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), Paul Cardinal. D’autres facteurs comme l’immigration et le peu d’inventaire de propriétés ont aussi favorisé la baisse du taux de propriété.»

Retard

Fidèle à son habitude, le taux de propriété au Québec se retrouve sous la moyenne canadienne, qui est de 66,5%. La province se classe bonne dernière, très loin devant Terre-Neuve et le Labrador, qui sont au premier rang avec 75,7%, mais aussi, loin derrière la Nouvelle-Écosse, qui est en neuvième place avec 66,8%.

Dans son dernier Bulletin de l’habitation, l’APCHQ souligne que le Québec avait réussi à réduire l’écart avec la moyenne du pays à tous les recensements depuis 1971 avant celui de 2021. L’écart était alors passé de 12,9 points à 6,5 points. Entre 2016 et 2021, le taux de propriété au Québec a ainsi reculé de 0,1% par rapport à la moyenne canadienne.

Programmes d’accession à la propriété

L’APCHQ estime que la fin des programmes d’accession à la propriété provinciaux à partir de 1996 a fortement contribué à la diminution du taux de propriété et, par le fait même, le déficit de création de richesse au Québec.

«Les propriétaires ont connu une augmentation de leur valeur nette de 102% de 1999 à 2019, comparativement à 86% pour les locataires, indique l’APCHQ dans son étude. C’est évidemment la propriété qui constitue le principal actif de la plupart des ménages. Or, c’est aussi principalement à cause de la hausse importante de la valeur des propriétés que les propriétaires se sont enrichis davantage.»

L’organisme met de l’avant deux scénarios pour démontrer l’impact d’une augmentation du taux de propriété. Dans le premier, elle avance une hypothèse où le taux aurait grimpé de 1% tous les cinq ans entre 1996 et 2021. Dans ce scénario, un peu plus de 170 000 ménages supplémentaires seraient aujourd’hui propriétaires. Ces personnes auraient ainsi réalisé une plus-value d’environ 35,6G$, soit environ 209 000$ par nouveau propriétaire.

«Ce scénario met également en lumière l’impact sur le parc locatif, souligne Paul Cardinal. Potentiellement, ce sont 170 000 logements qui auraient été libérés, ce qui correspond à une diminution du taux d’inoccupation de 1,8%. Le taux serait donc de 4,3% plutôt que le 2,5% actuel. La pression sur le prix des loyers aurait été beaucoup plus basse.»

Dans son second scénario, l’APCHQ soumet une augmentation du taux de propriété qui serait allé rejoindre celui de l’Ontario. Dans ce cas-ci, le nombre de ménages supplémentaires devenus propriétaires passerait à 277 000, avec une plus-value totale de 57,9G$.

«Certes, il est facile de tirer des conclusions après coup, mais stimuler l’accession à la propriété aurait été un choix plus judicieux que d’abandonner les efforts en ce sens, tranche l’APCHQ dans son rapport. On a raté une belle occasion d’accroître le niveau de richesse de plusieurs dizaines de milliers de Québécois. Stimuler davantage l’accession à la propriété aurait pu contribuer à l’enrichissement collectif des Québécois et du même coup, à réduire notre écart de richesse par rapport à d’autres provinces.»

Solutions

Paul Cardinal propose trois solutions pour tenter de rehausser le taux de propriété au Québec.

La première, et la plus simple, serait de permettre que les prêts assurés par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) soient amortis sur 30 ans au lieu de 25 ans, ce qui aurait comme effet de réduire la mise de fonds initiale.

«La majorité des propriétés non assurées sont celles des premiers acheteurs, remarque-t-il. Ce sont aussi eux qui bénéficieraient le plus de cette mesure. Alors, pourquoi ne pas le permettre?»

La deuxième suggestion serait de s’attaquer aux dépenses afférentes, notamment le droit de mutation. Paul Cardinal rappelle qu’en Ontario et en Colombie-Britannique, la municipalité réduit le montant de la «taxe de bienvenue», et le gouvernement provincial compense le manque à gagner des administrations municipales.

La dernière mesure serait un RAP intergénérationnel, qui pourrait peut-être passer par le CELIAPP.

«De plus en plus de parents et de grands-parents veulent aider leur enfant ou petit-enfant à accéder à la propriété, note Paul Cardinal. Si on a de l’épargne immobilisée, il devient pénalisant au point de vue fiscal de retirer des montants. Est-ce qu’il n’y aurait pas une façon de faire qui permettrait de minimiser l’impôt que les parents auraient à payer?»

Par exemple, l’enfant pourrait peut-être faire utiliser le RAP en se servant du RÉER de ses parents. L’enfant pourrait alors rembourser le RÉER de ses parents au fil du temps sans devoir accumuler le capital au préalable.

Pour l’avenir

Le directeur du service économique de l’APCHQ est conscient que le marché actuel n’est pas idéal pour lancer ce type de mesures. Faciliter l’accession à la propriété dans une période de forte inflation est contre-productif.

Il concède également que pour accueillir de nouveaux propriétaires, il faut avoir des propriétés sur le marché. L’inventaire de propriétés disponibles a recommencé à augmenter depuis quelques mois, mais pas au point de pouvoir absorber un grand influx de nouveaux acheteurs.

Par contre, plaide-t-il, ces solutions ne s’implantent pas du jour au lendemain.

«Il faut commencer à y penser maintenant, croit-il. Parce que si on se repose la question dans 18 mois, nous serons probablement dans une situation où non seulement il n’y aura plus de forte inflation et les prix auront diminué.»