Le Québécois Carl Breau vivant en Chine explique comment sa PME a survécu à la crise et quelles leçons on peut en tirer.
Les entreprises québécoises pâtissent de l’épidémie du coronavirus, et plusieurs dirigeants, fatigués et stressés, s’arrachent les cheveux pour trouver des liquidités. Malgré tout, il faut s’accrocher et garder espoir, car la tempête a une fin, assure un entrepreneur québécois en Chine, dont les activités sont revenues à la normale après deux mois de crise.
«Vous vivez cette crise deux mois après la Chine. Ici, on est plutôt optimistes, car on sent vraiment qu’on a passé à travers, sans qu’aucun de nos employés ne tombe malade!», raconte au bout du fil Carl Breau, le patron de Saimen, une PME œuvrant dans la fabrication et le divertissement qu’il a fondée en Chine en 2012.
La situation s’est donc stabilisée en Chine, même si de nouveaux cas sont réapparus tout récemment dans le pays (incluant à Hong Kong) en raison de personnes arrivant de l’étranger, selon le Financial Times. Pour autant, l’Europe est devenue l’épicentre de la pandémie mondiale du coronavirus, tandis que les nouveaux cas de contamination progressent toujours en Amérique du Nord, dont au Québec.
Établie à Shanghai, Saimen (l’union des mots «porte» et «compétition» en chinois) est un holding qui affiche habituellement des revenus de 16 millions de dollars canadiens et qui emploie environ 80 personnes, dont quatre à 4 Montréal. Elle a une usine à Shanghai et un atelier à Shenzhen.
Dans la fabrication, la PME réalise des mandats de production de prototypes pour des start-up chinoises, mais aussi nord-américaines. Dans le divertissement, Saimen joue un rôle de promoteur pour aider des entreprises culturelles nord-américaines à présenter des spectacles en Chine, comme le Cirque du Soleil.
Il va sans dire que l’apparition du coronavirus en Chine en décembre et sa propagation à grande échelle dans le pays en janvier a bouleversé la vie de cet entrepreneur qui parle mandarin, de son entreprise et de ses employés.
«En janvier et février, nos revenus ont chuté de 30%», confie-t-il.
Malgré tout, Saimen a résisté à la tempête, et la PME n’a mis qu’une personne à pied, un employé duquel elle voulait de toute façon se séparer.
Comment l’entreprise y est-elle arrivée?
Carl Breau affirme qu’il a suivi 10 principes.
Principe #1 – Prenez soin de votre monde
«Le plus important, c’est de s’assurer que vos employés et leur famille ne soient pas malades», insiste l’entrepreneur québécois.
Non seulement ceux qui le pouvaient ont fait du télétravail, mais Saimen a aussi fourni des masques et des gants à ses employés, ainsi que des petits masques et des petits gants pour leurs enfants afin qu’ils n’attrapent pas le coronavirus dans les parcs.
Principe #2 – Entrepreneur, prenez soin de vous
«Quand on entre dans une crise comme celle du coronavirus, ce n’est pas facile et il faut donc apprendre à mieux gérer son stress, car c’est assez éprouvant», dit Carl Breau.
Personnellement, il s’est remis à l’exercice à la maison, en faisant du tapis roulant et des redressements assis. «J’ai fondu un peu. Disons que j’ai plus de muscles», dit-il en riant.
Principe #3 – Évaluez la santé financière de votre entreprise
Comme les liquidités sont le nerf de la guerre, il faut plus que jamais les protéger en temps de crise, insiste le patron de Saimen.
Il a suivi de très près plusieurs ratios financiers clés, à commencer par le ratio du fonds de roulement, soit l’actif à court terme sur le passif court terme. «À un moment, ç’a été serré un peu, mais on a tenu le coup», dit-il, en précisant qu’il a notamment essayé de repousser un peu le paiement de certains fournisseurs.
Une ancienne règle comptable stipule qu’il doit s’établir entre 1 et 2. Par contre, aujourd’hui, plusieurs sociétés affichent un ratio inférieur à 1 afin de minimiser les fonds investis dans l’actif à court terme.
Or, Saimen a toujours visé un ratio de 1 durant la crise.
La PME a bien entendu réduit ses dépenses. Elle a aussi eu la surprise d’avoir des réductions inattendues comme les frais de déplacement. «En février, on a eu 200$ de frais de déplacement. Habituellement, ça nous coûte 25 000$ par mois!», dit-il.
Principe #4 – Appuyez-vous sur les «Gate Keepers»
Le patron de Saimen les appelle les «Gate Keepers». À vrai dire, ce sont des employés qui se démarquent et insufflent une bonne dose de courage, d’énergie et d’optimisme au reste de l’équipe, explique Carl Breau.
«On a vraiment besoin de ces employés quand ça commence à chauffer. Ils ont négocié un paquet de choses avec nos clients et nos fournisseurs, et ils sont demeurés calmes malgré tout», confie-t-il, en précisant qu’il en a découvert trois au sein de sa PME.
«C’est ce petit groupe de personnes qui va vous permettre essentiellement de passer à travers la crise», affirme-t-il.
(Photo : Getty images)
Principe #5 – Soutenez vos départements moins habitués à la pression
Dans une entreprise, le département des ventes est souvent habitué à subir de la pression en raison des hauts et des bas de la demande. Aussi, les employés de ce département sont mieux outillés dans la crise actuelle du coronavirus.
Par contre, ce n’est pas nécessairement le cas du département des ressources humaines, estime Carl Breau. «C’est un énorme stress. Certaines personnes des RH étaient au bord de la crise nerf», dit-il.
À ses yeux, il faut aussi porter une attention particulière aux gens des finances, car ils subissent aussi de la pression puisqu’ils doivent négocier plusieurs choses, et ce, du prix du loyer aux obligations avec les institutions financières.
«C’est un stress supplémentaire pour eux», souligne le patron de Saimen.
Principe #6 – Implantez le télétravail efficacement
Dire qu’on va faire du télétravail est une chose, le faire efficacement afin de limiter les pertes de productivité en est une autre.
«Si des employés n’ont pas d’ordinateurs à la maison, il faut les en doter rapidement, tout en s’assurant qu’ils s’intègrent bien aux systèmes de l’entreprise», insiste Carl Breau, précisant que Saimen a eu des difficultés et qu’il a fallu les régler rapidement.
La clé, dans la mesure du possible, c’est que les employés puissent à terme travailler presque aussi efficacement que s’ils étaient au bureau, malgré par exemple la présence d’enfants à la maison en raison de la fermeture des écoles.
Principe #7 – Gardez un oeil sur votre environnement d’affaires
«En temps de crise, il faut garder l’œil sur trois choses en même temps : le marché, votre chaîne d’approvisionnement et le gouvernement», dit l’entrepreneur québécois.
Par exemple, des entreprises (des fournisseurs ou des clients) peuvent faire faillite si leur santé financière est fragile et que la crise dure trop longtemps. Aussi, il faut en être conscient et déjà penser à des plans B.
Quant aux gouvernements, oui, ils multiplient les annonces pour aider les entreprises, mais il faut garder en tête qu’il faut ensuite appliquer sur ces programmes, ce qui prend du temps et l’argent, insiste Carl Breau.
En Chine, pour donner de l’oxygène aux entreprises, le gouvernement central a notamment suspendu le remboursement de certaines taxes, en plus de réduire les coûts de location d’espace dans les parcs industriels.
Principe #8 – Profitez de la crise pour bonifier vos projets
La baisse de l’activité économique en Chine a libéré du temps pour améliorer des produits ou des événements dont le lancement ou la présentation avaient été reportés en raison de la crise.
«Profitez du fait que vous êtes à la maison pour réfléchir en profondeur à vos projets durant des heures consécutives, et ce, sans vous faire déranger constamment par des collègues», dit le patron de Saimen.
Il suggère d’ailleurs de lire l’essai Deep Work (Rules for Focused Success in a Distracted World), publié en 2016 par l’auteur Cal Newport, pour maximiser votre réflexion.
Principe #9 – Visualisez la sortie de crise
Même si les entreprises québécoises sont au cœur de la tempête, il faut garder le cap et rester optimiste, car il y aura une fin à cette crise, assure l’entrepreneur. «Chez nous, il s’est créé un momentum, et on se disait : on va passer à travers cette crise.»
Au fil des semaines, la tempête a perdu de son intensité, et les choses sont revenues graduellement à la normale. «Aujourd’hui, on se fait des high five, en se disant, on l’a fait!», explique-t-il.
Principe #10 – Ne gaspillez jamais une bonne crise
Carl Breau dit enfin s’inspirer du célèbre leader Winston Churchill, qui a déjà dit: on ne doit jamais gaspiller une bonne crise.
Aux yeux du patron de Saimen, les entreprises doivent profiter de cette crise du coronavirus -aussi pénible soit-elle- pour réfléchir à leur stratégie d’affaires et aux nouvelles occasions à saisir, à commencer par le commerce électronique ou les télécommunications à distance.
«Il y a de nouveaux marchés qui apparaissent. Il faut être vigilant», insiste-t-il.
À ses yeux, une crise est aussi l’occasion de «faire le ménage» dans une organisation afin de laisser tomber des pratiques un peu désuètes, mais qu’on tolérait puisqu’on avait l’habitude de les faire en temps normal.