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Ce ne sera pas un long fleuve tranquille

François Normand|Mis à jour le 01 août 2024

Ce ne sera pas un long fleuve tranquille

Vue aérienne d’une mine de lithium à Amboy, en Californie. (Photo: David McNew Getty Images)

FILIÈRE BATTERIE. La création d’une filière batterie au ­Québec ne sera pas un long fleuve tranquille: de l’Allemagne à la ­Chine, en passant par les ­États-Unis et l’Ontario, les usines de batteries pour véhicules électriques poussent comme des champignons. La tâche s’annonce donc difficile.

Cela dit, même si le ­Québec n’est pas le seul territoire à posséder des as dans son jeu, il a néanmoins des atouts qui rendent son économie très attrayante.

C’est pourquoi les ­General ­Motors de ce monde ont décidé de construire des usines de batteries dans le parc ­industrialo-portuaire de ­Bécancour, sur la rive sud de ­Trois-Rivières.

Passons rapidement sur les incitatifs fiscaux, qui peuvent faire pencher la balance, mais qui relèvent avant tout de la volonté politique. Ils ne sont donc pas fondamentalement structurants pour attirer des entreprises.

En fait, le ­Québec a deux atouts structurants: son énergie renouvelable et ses vastes ressources de minéraux critiques et stratégiques (MCS), dont plusieurs sont essentiels pour fabriquer des batteries (lithium, graphite, nickel, etc.).

Commençons par notre énergie verte, qui repose avant tout sur l’hydroélectricité. Le ­Québec offre non seulement une énergie à un tarif industriel compétitif en ­Amérique du ­Nord, mais il offre aussi une énergie n’émettant pas de gaz à effet de serre (GES).

Or, cette caractéristique procure deux avantages concrets aux entreprises.

Premièrement, une cohérence qui plaît souvent aux consommateurs dans leur réflexion pour acheter une voiture électrique: rouler dans une voiture zéro émission, dont un composant important, la batterie, a aussi été fabriqué avec une énergie zéro émission.

Deuxièmement, la possibilité pour les entreprises de la filière batterie d’obtenir des prêts plus avantageux auprès des banques qui considèrent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) des emprunteurs. Une étude publiée en février par l’Université de l’Oklahoma («­ESG ­Shifts in ­Lending and ­The ­Cost of ­Bank ­Loans») documente ce phénomène.

Même si on retrouve des ­MCS à peu près partout dans le monde, le ­Québec en dispose en grande quantité et de manière diversifiée. En fait, notre ­sous-sol abrite à peu près tout ce dont la planète a besoin pour la transition énergétique.

On compte 10 mines de ­MCS en activité et 23 projets de ­MCS, selon le ministère des ­Ressources naturelles et des ­Forêts. Si on exclut le ­Mexique, le ­Québec abrite la seule mine de graphite (Northern ­Graphite) et la seule mine de lithium (Sayona ­Québec) en activité en ­Amérique du ­Nord.

De plus, cinq projets de graphite et six projets de lithium sont sur la table, dont la mine de ­Nouveau ­Monde ­Graphite (à ­Saint-Michel-­des-Saints) et celle de ­Nemaska ­Lithium (à la baie ­James) — ces deux mines devraient être mises en service en 2025‑2026.

Certes, du jour au lendemain, les acteurs de la filière batterie au ­Québec ne pourront pas tous s’approvisionner ici, car la demande en ­MCS surpassera l’offre. Toutefois, sur un horizon de 10 à 25 ans, le ­Québec deviendra à coup sûr une source importante d’approvisionnement.

Deux concurrents redoutables

Malgré ses atouts structurants, le ­Québec a deux concurrents redoutables dans la filière batterie, soit l’Ontario et la ­­Battery ­Belt, dans le ­sud-est des ­États-Unis, dont l’épicentre est l’État de la ­Géorgie.

L’Ontario a deux atouts majeurs: des ­MCS, mais surtout une industrie automobile, autour de laquelle gravite une foule de fournisseurs de pièces et d’équipements.

C’est un classique dans les grappes industrielles: les fournisseurs ont tendance à s’installer physiquement près des grands donneurs d’ordres (­Original ­Equipment ­Manufacturer ou ­OEM, en anglais).

Outre les généreux incitatifs fiscaux, la décision de la japonaise ­Honda de construire une ­méga-usine de batteries en ­Ontario — incluant la fabrication de cathodes, une portion que le ­Québec souhaitait obtenir — est sans doute liée à cette synergie, car la province fabrique des véhicules électriques.

En revanche, l’Ontario a peu d’énergie renouvelable, soit 33% de l’électricité produite (59% vient du nucléaire zéro carbone, mais qui n’est pas considéré renouvelable en raison des déchets radioactifs).

De leur côté, les États de la ­Battery ­Belt ne peuvent ni compter sur la présence de ­MCS ni sur la présence d’énergie renouvelable. En revanche, le ­sud-est des ­États-Unis dispose de trois atouts importants.

Au fil des décennies, les constructeurs automobiles américains, européens et asiatiques y ont construit de nombreuses usines de fabrications de véhicules. Cette grappe industrielle incite de nombreux fabricants de batteries à s’implanter près des ­OEM, d’où le surnom de Battery ­Belt.

Cette région des ­États-Unis est située au cœur des marchés où les consommateurs achètent déjà et achèteront beaucoup de voitures électriques — sans parler du grand port d’exportation de ­Savannah, en ­Géorgie, stratégique pour les entreprises.

Le pays a une politique bipartisane d’achat local, dont la fameuse disposition du ­Buy ­American, qui incite les entreprises manufacturières étrangères à installer leur usine sur le territoire américain, notamment les fabricants de batteries.

C’est donc dans cette grande toile de fond que s’inscrit la volonté du ­Québec de devenir un joueur important dans l’industrie mondiale de la batterie. L’Ontario et les ­États-Unis ne nous feront pas de cadeaux, sans oublier la concurrence de l’Europe et de l’Asie.

Cela dit, même s’il n’abrite pas d’industrie automobile, le ­Québec peut néanmoins faire sa place dans cet écosystème émergent en s’appuyant sur son énergie renouvelable et ses ­MCS.

Nous avons aussi un joker dans notre jeu: les entreprises qui s’installent au ­Québec peuvent exporter aux ­États-Unis et dans l’Union européenne sans payer de tarifs douaniers, et ce, en raison des accords de ­libre-échange conclus par le ­Canada.

Un avantage dont ne disposent pas, en revanche, les entreprises qui s’installent dans la ­Battery ­Belt pour exporter notamment en ­Europe, car les ­États-Unis n’ont pas de traité de ­libre-échange avec l’UE.