«De petites PME vont subir des pertes de revenus», selon MEQ
François Normand|Édition de la mi‑septembre 2024Véronique Proulx (Photo: courtoisie)
MANUFACTURIER. Renégociation du libre-échange canado-américain, imposition de tarifs, adoption de l’Inflation Reduction Act (IRA)… Depuis une dizaine d’années, les entreprises manufacturières du Québec qui exportent au sud de la frontière en ont vu de toutes les couleurs.
Dans ce contexte, pour faire le point sur les défis de l’industrie québécoise et des pistes de solution qui s’offrent à elle, nous avons interviewé Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ),
Les Affaires – Le protectionnisme est une constance de l’histoire économique des États-Unis, mais son ampleur varie dans le temps. Ces dernières années, MEQ a-t-il noté une résurgence du protectionnisme américain. Si oui, avez-vous des exemples concrets?
Véronique Proulx — Oui, on pense que le protectionnisme continue d’augmenter. Le premier exemple qui me vient en tête, c’est l’Inflation Reduction Act, qui est entré en vigueur en 2022. Cette loi comprend une mesure fiscale qui vise à stimuler l’investissement vert aux États-Unis, mais c’est avant tout une mesure protectionniste. Par exemple, dans le secteur de l’énergie éolienne, pour bénéficier de l’IRA, les fabricants de tours d’éolienne doivent désormais les fabriquer aux États-Unis. Par conséquent, on ne peut plus les exporter du Canada. C’est d’ailleurs pourquoi le fabricant québécois de tours, Marmen, a une usine aux États-Unis.
L.A. – Quelle est l’incidence du protectionnisme américain sur l’ensemble des entreprises québécoises qui exportent aux États-Unis ?
V.P. — Des entreprises vont moins investir au Québec et investir davantage aux États-Unis pour maintenir leur accès au marché. Ce sont des entreprises, pour la plupart, qui vont maintenir leurs volumes de vente, parce qu’elles investissent du côté américain. Par conséquent, l’impact du protectionnisme aux États-Unis sur notre économie, c’est qu’on perd des investissements au détriment du marché américain.
L.A. – Quelles sont les répercussions sur les entreprises exportatrices qui n’ont pas les moyens d’investir aux États-Unis ou celles qui ne pensent pas vraiment à cette stratégie ?
V.P. — Celles qui choisissent de ne pas investir aux États-Unis ou les plus petites PME qui n’en ont pas les moyens vont subir des pertes de revenus.
L.A. – Au niveau macroéconomique, que peuvent faire les gouvernements pour limiter les conséquences du protectionnisme aux États-Unis, s’ils peuvent du reste quelque chose ?
V.P. — C’est difficile. Si on regarde les dernières années, il n’y a pas eu de gestes ou d’actions concrètes qui ont eu une incidence positive pour limiter l’effet du protectionnisme américain au Québec et au Canada. La seule chose qui peut être faite, et qui n’a pas encore été faite, c’est de s’assurer que les contrats publics, tant fédéraux que provinciaux, puissent faire une discrimination pour les produits qui sont fabriqués ici. On ne veut pas mettre en place des mesures protectionnistes, car est en faveur du libre-échange. En revanche, dans les contrats publics au Canada, on pourrait insérer des critères, notamment pour le développement durable. Ainsi, une entreprise qui est plus près du marché et qui émet moins de gaz à effet de serre dans ses activités de transport serait favorisée par rapport à une entreprise américaine.
L.A. – Vous dites que vous êtes en faveur du libre-échange. Or, les États-Unis adoptent des mesures protectionnistes, tout comme les pays européens et la Chine. Dans ce contexte, ne serait-il pas avisé d’être parfois également protectionniste au Canada avec les Américains afin de les faire réfléchir ?
V.P. — Je pense que c’est nous qui risquons le plus de perdre au change. Par exemple, quand on regarde les contre-mesures tarifaires mises en place par le Canada pour réagir aux tarifs imposés par Washington sur les importations d’acier et d’aluminium, ce sont les PME québécoises et canadiennes qui ont été les plus pénalisées. Elles n’étaient pas nécessairement capables de refiler à leurs clients la hausse de leurs coûts pour importer certains produits en provenance des États-Unis. C’est pourquoi je préfère l’approche des contrats publics au Canada qui pourrait favoriser, entre guillemets, les entreprises qui fabriquent des produits ici. C’est d’ailleurs permis dans le cadre des accords de libre-échange. Je n’appellerais pas ça du protectionniste, mais on favoriserait les entreprises qui fabriquent localement.