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Des secteurs inquiets, d’autres non après le discours de Biden

François Normand|Publié le 08 février 2023

Des secteurs inquiets, d’autres non après le discours de Biden

Le président Joe Biden prononçant son discours sur l'état de l'Union, mardi soir, lors d'une réunion conjointe du Congrès dans la Chambre des représentants du Capitole. (Photo by Drew Angerer/Getty Images)

La rhétorique protectionniste du président Joe Biden lors du discours sur l’état de l’Union divise les entreprises canadiennes qui exportent aux États-Unis. Certaines sont inquiètes, d’autres n’y voient qu’une stratégie politique pour séduire l’électorat américain.

Mardi soir, devant le Congrès, Joe Biden a déploré que les administrations précédentes aient «trouvé des moyens de contourner» le Buy American — une disposition qui favorise les achats de biens du gouvernement fédéral destinés à l’usage public (articles, matériaux ou fournitures), dont la valeur est supérieure au seuil des microachats.

«Ce soir, j’annonce également de nouvelles normes exigeant que tous les matériaux de construction utilisés dans les projets d’infrastructures fédéraux soient fabriqués aux États-Unis. Bois de construction américain, verre, cloisons sèches, câbles à fibres optiques», a-t-il déclaré.

Joe Biden a aussi ajouté que «sous ma surveillance, les routes américaines, les ponts américains et les autoroutes américaines seront construits avec des produits américains».

Jointe par Les Affaires, Catherine Cobden, présidente et cheffe de la direction de l’Association canadienne des producteurs d’acier (ACPA), a indiqué que les commentaires du président «préoccupent» ses membres.

«Le Buy American a inclus l’acier depuis le tout début et, récemment, nous avons vu cette tendance se poursuivre, avec les États-Unis étendant également les dispositions de type Buy American en vertu de la Loi sur la réduction de l’inflation», souligne-t-elle.

Selon elle, ces politiques sont très préjudiciables.

«Les producteurs d’acier canadiens sont des partenaires commerciaux équitables et fiables de l’Amérique du Nord, et les États-Unis sont un marché d’une importance cruciale pour nous», insiste Mme Cobden.

Même inquiétude du côté de Manufacturiers exportateurs du Québec (MEQ), même si l’association souligne que le Canada est souvent exempté des dispositions du Buy American sous certains seuils.

La PDG de MEQ, Véronique Proulx, dit craindre en particulier une sorte d’impact psychologique du discours de Joe Biden sur les acheteurs des biens au sein des agences et ministères du gouvernement fédéral.

«Ça pourrait faire en sorte qu’ils aient tendance à acheter davantage aux États-Unis. Bref, ça ferait augmenter le protectionnisme de manière générale», dit-elle.

 

Une stratégie préélectorale

D’autres associations qui représentent des exportateurs ne s’inquiètent pas du discours protectionniste du président Biden. C’est le cas du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) et de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC).

À leurs yeux, cette rhétorique vise avant tout à marquer des points auprès de l’électorat américain. La cote de popularité de Joe Biden est d’ailleurs basse dans les sondages.

Par exemple, seulement 38% des Américains estiment qu’il fait un bon travail pour stimuler l’économie, selon la moyenne de plusieurs sondages effectués par la firme RealClearPolitics.

De plus, ces associations soulignent que «la réalité du marché» fait en sorte que l’économie américaine ne peut tout simplement pas se priver de produits canadiens.

«Toute la production américaine de bois est consommée à l’interne, ce qui permet de répondre à environ 70% de leurs besoins locaux. Les États-Unis ont donc besoin d’importer du bois d’œuvre pour répondre à l’ensemble de leurs besoins», souligne Michel Vincent, économiste au CIFQ.

Selon l’organisme, le Canada comble de 85 à 90% de ces besoins supplémentaires en bois, suivis par d’autres pays producteurs comme l’Allemagne, la Suède, le Brésil ou le Chili.

L’AAC — représentant Alcoa, Alouette et Rio Tinto, qui exportent leurs produits aux États-Unis — fait la même analyse que le CIFQ: les Américains ne peuvent pas se priver des importations canadiennes.

«Il faut regarder la réalité derrière la politique, laisse tomber le président et chef de la direction de l’AAC Jean Simard. Les États-Unis produisent à peu près le tiers de leur consommation totale d’aluminium. Ils sont donc très dépendants des importations d’aluminium, à commencer par celles en provenance du Canada.»

En 2021 (l’année complète la plus récente), le Canada comptait pour 70% des importations d’aluminium primaire des États-Unis, selon la United States International Trade Commission, une agence fédérale américaine.

Les Émirats arabes unis se classaient au deuxième rang (10%), tandis que la Russie était au 3e rang à 5% — avant l’invasion russe de l’Ukraine, en février 2022.

 

Ottawa suivra de près la situation

Par ailleurs, Ottawa suivra de près l’évolution de la situation aux États-Unis, a souligné dans un courriel à Les Affaires la ministre canadienne du Commerce international, Mary Ng.

«Les entreprises, les fabricants et les travailleurs canadiens sont depuis longtemps la pierre angulaire d’une infrastructure américaine solide et fiable — et nous les défendrons toujours», affirme la ministre.

Elle rappelle que le Canada est le principal exportateur dans 30 des 50 États américains.

Aussi, dans ce contexte, la ministre rappelle l’importance d’avoir «des systèmes commerciaux équitables» qui appuient la création d’emplois au Canada, créent de la stabilité pour les travailleurs et stimulent la croissance économique des deux côtés de la frontière.