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Entrepreneuriat autochtone: vers une plus grande égalité

François Normand|Publié le 21 juin 2022

Entrepreneuriat autochtone: vers une plus grande égalité

Gilbert Dominique, Chef des Pekuakamiulnuatsh, lors du Cercle économique régional des Premières Nations – Mashteuiatsh 2022, qui s’est déroulé les 15 et 16 juin. (Photo : courtoisie)

Les entrepreneurs innus de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, auront sensiblement les mêmes droits que l’ensemble des entrepreneurs du Québec. Ils pourront bientôt se servir de biens immobiliers afin de financer la création ou l’expansion d’une entreprise en vertu d’une entente conclue entre cette communauté et Ottawa.

«Cela va permettre aux Autochtones d’aller voir une institution financière pour hypothéquer une maison ou un bail», explique à Les Affaires Gilbert Dominique, Chef des Pekuakamiulnuatsh, en marge du Cercle économique régional des Premières Nations — Mashteuiatsh 2022, qui s’est déroulé les 15 et 16 juin.

Pour l’essentiel, l’entente intervenue entre la communauté de Mashteuiatsh et le gouvernement du Canada découle de la ratification de l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières Nations (la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations).

En mai 2021, lors d’un référendum, la population de Mashteuiatsh s’est prononcée à ce sujet, en votant en faveur de l’adoption d’un Code foncier et de l’Accord distinct de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh.

Présents au Lac-Saint-Jean et sur la Côte-Nord, les Innus forment l’une des 11 nations autochtones au Québec.

«Ce type d’entente est une première au Québec», souligne le chef Dominique.

Lors du Cercle économique, le gouvernement local et Desjardins ont aussi annoncé qu’ils travaillaient sur un projet «en lien avec le financement hypothécaire des Premières Nations qui permettra une plus grande accessibilité au financement hypothécaire» pour les résidents de la communauté.

Concrètent, l’entente Mashteuiatsh-Ottawa permettra de limiter — du moins dans cette communauté innue — la discrimination systémique dont sont encore victimes les entrepreneurs autochtones comparativement aux entrepreneurs allochtones (non-autochtones).

 

Une loi discriminatoire

En vertu de l’article 89 de la Loi sur les Indiens, un Autochtone ne peut pas hypothéquer la maison qu’il habite, puisque les membres des Premières Nations sont privés du droit de propriété sur les réserves.

Cet article représente donc un frein à l’entrepreneuriat, parce que les membres des Premières Nations ont de la difficulté à lever de l’équité. Dans ce cadre légal, seul un Autochtone peut saisir les biens d’un Autochtone.

C’est la raison pour laquelle les institutions financières hésitent encore à financer des entrepreneurs autochtones qui vivent dans leurs communautés (les réserves), car elles ne peuvent pas saisir des actifs en cas d’insolvabilité d’une entreprise.

Si l’entente entre la communauté de Mashteuiatsh et le gouvernement fédéral est une première au Québec, il existe en revanche d’autres exemples d’autodétermination et d’autonomie gouvernementale ailleurs au Canada, selon l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL).

Il y en a en Colombie-Britannique et au Yukon. Et, en avril dernier, en Ontario, Ottawa et la nation Anishinabek ont conclu ce type d’entente.

Gilbert Dominique estime à terme que l’entente conclue entre sa communauté et Ottawa marque un tournant. À ses yeux, elle favorisera la création d’entreprises, l’investissement en capital et la création d’emplois à Mashteuiatsh et ses environs, et ce, dans une communauté somme toute déjà dynamique.

Selon une étude réalisée par le Groupe Performance Stratégique, la communauté de plus de 2000 habitants (selon le recensement de 2021) compte 105 entreprises actives. Celles-ci créent 1 137 emplois directs, dont 702 emplois occupés par des Autochtones et 435 emplois occupés par des non-Autochtones.

Alain Paul, président et fondateur de Granules LG, un producteur innu de granules de bois et de bûches écoénergétiques qui exporte 40% de sa production, fait partie de ces entrepreneurs qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu malgré la Loi sur les Indiens.

Et il est optimiste pour la suite des choses. «La communauté veut se prendre de plus en plus en main et participer au développement économique», dit-il, en précisant noter une amélioration des relations entre les gens d’affaires autochtones et allochtones.

 

Un meilleur partage des richesses

L’un des objectifs du Cercle économique était d’ailleurs de favoriser une meilleure intégration des entreprises autochtones à l’ensemble de l’économie québécoise.

Lors de l’événement, la Commission de développement économique des Premières Nations du Québec du Labrador (CDEPNQL) et la Société de développement économique Ilnu (SDEI) de Mashteuiatsh ont indiqué qu’elles souhaitaient créer une plateforme numérique de réseautage entre les gens d’affaires allochtones et ceux des Premières Nations.

Comme Alain Paul, le journaliste et auteur innu Michel Jean, qui animait l’événement à Mashteuiatsh, note une amélioration des relations entre les Autochtones et les Allochtones au Québec depuis quelques années.

Malgré tout, beaucoup de choses restent à faire, selon lui.

«Il faut partager la richesse», insiste-t-il. Certes, les gouvernements et les entreprises privées établissent de plus en plus de partenariats avec des communautés et des entreprises autochtones, souligne Michel Jean.

En revanche, la plupart du temps, ces ententes sont à l’initiative des Premières Nations, et ce, après qu’elles ont eu vent de projets et qu’elles aient ensuite insisté pour y être des parties prenantes, fait-il remarquer.