Éolien: le nouveau modèle d’Hydro inquiète le secteur privé
François Normand|Mis à jour le 18 juin 2024Afin d’accélérer le déploiement de 10 000 MW de nouvelles capacités énergétiques d’ici 2035, Hydro-Québec a annoncé qu’elle deviendra maître d’œuvre des projets éoliens de 1000 MW et plus. (Photo: courtoisie)
La décision d’Hydro-Québec de contrôler la grande éolienne pour accélérer et coordonner l’ajout de 10 000 mégawatts (MW) de puissance installée d’énergie d’ici 2035 surprend et inquiète le secteur privé, et ce, des producteurs privés aux consommateurs industriels d’électricité en passant par des instituts d’analyse économique.
Ce jeudi, le PDG de la société d’État, Michael Sabia, a créé toute une onde de choc en présentant la nouvelle stratégie de développement éolien d’Hydro-Québec, alors que la société d’État réalisera désormais des projets de 1000 MW avec les Premières Nations et les municipalités.
Cette annonce survient environ une semaine avant que le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, dépose un ambitieux projet de loi sur l’énergie à l’Assemblée nationale.
Michael Sabia affirme que le modèle actuel de développement de parcs éoliens au Québec – qui repose sur de petits projets privés fonctionnant par appels d’offres – n’est plus adapté au nouveau contexte de la transition énergétique.
À ses yeux, le Québec a donc besoin d’une locomotive pour coordonner et réaliser de plus grands projets éoliens plus rapidement, et ce, au meilleur coût possible tout en décarbonant l’économie et en créant de la richesse.
«Le modèle actuel n’est pas une locomotive pour l’avenir. L’industrie continuera à jouer un rôle, mais probablement moins important que la locomotive, a déclaré Micheal Sabia, lors du point de presse qui a suivi sa présentation.
Les producteurs privés ne veulent pas être écartés
Joint par Les Affaires pour commenter cette annonce qui l’a surpris, Luis Calzado, PDG de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER) a fait preuve d’une grande prudence.
À ses yeux, la production des producteurs privés «doit faire partie intégrante» de la stratégie éolienne d’Hydro-Québec à tous les niveaux. «Pour les plus grands projets, on s’attend à ce qu’on fasse appel à nous», a-t-il dit.
En revanche, il n’a pas voulu indiquer si la stratégie d’HQ aurait une incidence positive ou négative sur l’industrie éolienne privée, qui a contribué à développer près de 4000 MW de puissance installée au Québec depuis près de 25 ans.
C’est une question importante, car l’AQPER compte parmi ses membres environ 80 entreprises qui œuvrent dans l’industrie éolienne, avec des producteurs d’énergie bien connus comme Innergex, Boralex ou Kruger Énergie.
Dans le modèle actuel, la taille des parcs éoliens s’établit en moyenne à 90 MW. Dans le nouvelle stratégie d’HQ, il y aura encore des appels d’offres pour les producteurs privés, mais pour les projets allant de 300 à 350 MW.
Reconnaissant qu’Hydro-Québec n’a pas une grande expertise dans la production d’énergie éolienne, Michael Sabia a fait remarquer que la société d’État aura encore besoin de l’expertise du secteur privé pour construire de grands parcs éoliens totalisant 10 000 MW d’ici 2035.
Il a d’ailleurs donné l’exemple des projets hydroélectriques de la Baie-James, une approche qui n’est pas très loin de la nouvelle stratégie de développement éolien.
«Ce n’est pas Hydro-Québec qui a construit les barrages. Nous avons eu recours aux entrepreneurs et aux entreprises de la construction», a fait remarquer Michael Sabia.
Crainte d’une pression à la hausse sur les prix
De son côté, l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité (AQCÉI) s’est dite non seulement surprise, mais inquiète à propos de la nouvelle stratégie éolienne d’Hydro-Québec et de son impact potentiel sur les tarifs d’électricité.
«Il faudra voir comment ça va s’articuler pour protéger toutes les classes de consommateurs, incluant les consommateurs industriels, afin d’avoir les meilleurs prix possibles pour l’électricité», dit son président Jocelyn B. Allard.
Selon lui, le projet de loi que s’apprête à déposer le ministre Fitzgibbon la semaine prochaine pourrait donner des éléments de réponse.
Dans le modèle actuel, ce sont les appels d’offres d’Hydro-Québec qui défendent en quelque sorte les intérêts des consommateurs en raison de la concurrence qui exerce une pression à la baisse sur les prix de l’électricité.
Or, dans la grande éolienne, on se retrouvera dans une situation de monopole. Qui s’assurera que les prix de l’énergie soient établis dans l’intérêt des consommateurs?, s’interroge Jocelyn Allard.
En conférence de presse, Michael Sabia a expliqué que la nouvelle stratégie permettra de réaliser des économies d’échelle, en obtenant par exemple de meilleurs prix auprès des équipementiers de turbines – selon les estimations de la société d’État, ces économies pourraient réduire les coûts de production d’environ 20%.
«Ces économies d’échelle sont tellement importantes. C’est une façon pour nous de réduire la pression sur les tarifs», affirme Michael Sabia.
Quelle place pour l’autoproduction?
S’inquiétant sur la disponibilité future de l’énergie, l’Institut économique de Montréal (IEDM) affirme pour sa part que la décision d’Hydro-Québec de se lancer elle-même dans la production éolienne «risque de coûter très cher» à la population québécoise.
«Les Québécois et Québécoises paient très cher pour les erreurs de planification de la demande d’Hydro-Québec», indique dans un communiqué de presse Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’IEDM.
«Afin d’arrêter de refuser des projets de développements économiques, il faut laisser les producteurs indépendants jouer un plus grand rôle», ajoute-t-il.
Dans sa nouvelle stratégie, Hydro-Québec se prononce sur l’autoproduction, en affirmant que, dans un contexte de rareté de ressources, «celles-ci doivent être allouées prioritairement aux projets éoliens qui permettront de répondre à des besoins d’intérêt collectif».
La société d’État affirme qu’elle travaillera avec le gouvernement pour analyser les projets d’autoproduction au cas par cas.
Cette position de la société d’État est vertement critiquée par l’IEDM.
«L’autoproduction est l’un des seuls moyens dont nos entreprises disposent pour s’assurer que leurs besoins en énergie soient comblés malgré les erreurs dans les prévisions d’Hydro-Québec, indique Gabriel Giguère. Hydro-Québec ne paie pas pour son développement, son transport ou sa production, et par conséquent ne devrait pas être à la table lorsque ces projets sont évalués.»